“La Planète sauvage”, comment ce film de science

Des aliens géants à la peau bleue sur une planète très lointaine, ça n’est pas Avatar de  James Cameron mais La Planète sauvage, véritable OVNI du cinéma français sorti en 1973, signé René Laloux et  Roland Topor. Une fable poétique et politique qui a influencé les plus grands réalisateurs d’animation, comme  Miyazaki.

Pour Xavier Kawa-Topor, spécialiste du cinéma d’animation et co-auteur du livre L’Odyssée de “La Planète sauvage” avec Fabrice Blin (Capricci, 2023), ce film est une sorte “de révolution dans le cinéma d’animation. Pour la première fois, en France, un long-métrage d’animation dame le pion à  Walt Disney. Et ce n’est pas un long-métrage adapté d’une bande dessinée, c’est une création originale d’auteur.

Cannes 1973, La Planète sauvage remporte le prix spécial du jury. René Laloux, le réalisateur raconte le synopsis à la télévision : “c’est une histoire de géants qui vivent sur une planète imaginaire, qui ont ramené d’un voyage galactique des petits animaux domestiques qui sont des hommes. Le film, c’est l’aventure de l’un de ces petits hommes.” Les hommes sont asservis par les Draags, des êtres géants à la peau bleue, dotés d’une intelligence et d’une spiritualité bien supérieure. Mais les hommes finissent par avoir accès au savoir des Draags et se révoltent.

Les Émois

Une fable écolo

Cette fable de science-fiction se déroule sur la planète Ygram, dans un futur indéterminé, mais dont on suppose qu’il n’a pas été très favorable à l’humanité…

Pour Xavier Kawa-Topor (qui n’a aucun lien de parenté avec Roland Topor), “on voit à un moment donné dans le film, c’est effectivement les ruines de notre civilisation. On peut penser effectivement l’activité humaine, le développement de la société humaine a conduit l’humanité à sa perte. Il y a chez René Laloux une préoccupation sur le devenir de l’humanité, mais cette préoccupation, elle passe plutôt par un discours plus cynique, plus provocateur qu’un appel à la préservation de la nature, etc.”

René Laloux, à la réalisation, a déjà travaillé avec Roland Topor, l’illustre dessinateur à l’humour noir, sur deux courts-métrages. Leur nouveau projet, La Planète sauvage, est une adaptation d’un roman de science-fiction français, Oms en série de Stefan Wul. Mais la SF n’est pas la seule inspiration du film. La Planète sauvage s’inscrit dans la lignée des contes philosophiques de Voltaire comme Micromégas ou Les Voyages de Gulliver de Jonathan Swift.

Fictions / Théâtre et Cie

Il est aussi le reflet de son époque de bouleversements politiques, explique le spécialiste d’animation. “C’est vraiment une délocalisation du regard par le jeu sur les dimensions, par le changement de perspective entre l’humain et l’animal, qui amène une réflexion métaphysique sur le sens de nos existences, le sens des sociétés. Son propos est suffisamment vaste et à la fois pointu pour qu’on puisse, si on le veut, y voir l’écho de la dictature de  Pinochet, de la répression du printemps de Prague. La fabrication du film (ndlr : le film est tourné à Prague) en aura été impactée d’ailleurs.”

Des influences médiévales

Laloux et Topor écrivent ensemble le scénario. Topor dessine tous les objets et donne vie aux créatures du récit.

Dans le trait du dessinateur, on retrouve l’influence de la gravure du XIXe siècle, le caricaturiste Grandville et l’illustrateur  Gustave Doré. Il y aussi un peu de peinture symboliste et de surréalisme, dont  Dali, notamment.”Il intervient beaucoup dans la composition du cadre, dans la présence permanente de la ligne d’horizon comme effet structurant de l’espace, dans les représentations architecturales, dans les représentations de la flore.  Et puis il y a des références beaucoup plus anciennes comme Jérôme Bosch, Le Jardin des délices, en particulier, auquel on peut penser en regardant le bestiaire fantastique de La Planète sauvage, qui semble tout droit sorti de l’iconographie médiévale et de la Renaissance.”

Mais le projet avance trop lentement pour Roland Topor qui finit par le délaisser. René Laloux réalise le storyboard et tient la barre de la production. La réalisation est délocalisée à Prague, pour faire des économies, mais aussi parce que la Tchécoslovaquie, à l’époque, possède un certain savoir-faire en matière d’animation. Des équipes d’illustrateurs travaillent minutieusement sur les dessins de Topor avec une nouvelle technique : la papier découpé et non le celluloïd, la technique traditionnelle des productions Disney ou le dessin est décalqué sur des feuilles transparentes.

Mais La Planète sauvage, c’est aussi une bande-son qui détonne à l’époque. Une sorte de jazz fusion hybride couplé à la guitare wah wah et autres effets bizarroïdes. Elle est signée Alain Goraguer, pianiste de jazz et arrangeur pour  Gainsbourg Boris Vian ou  Serge Reggiani.

La Grande table (1ère partie)

À sa sortie, La Planète sauvage marque profondément une génération de futurs réalisateurs d’animation, dont Michael Dudok de Wit, futur réalisateur de La Tortue rouge, Florence Miailhe ou Jérémie Périn

Mais il a aussi une grande influence au Japon, comme le rappelle Xavier Kawa-Topor, où Laloux sera célébré “aussi bien par Go Nagai, le créateur de Goldorak que Tesuka, le créateur d’Astro le robot. On sait aussi que Miyazaki a vu très tôt le film, avant sa sortie au Japon, que c’est un film qui l’a marqué. Il y a sans doute des citations de La Planète sauvage dans Nausicaä de la vallée du vent qui est quand même le film avec lequel commence la formidable aventure du studio Ghibli.”

À écouter : Les bons génies du studio Ghibli : Hayao Miyazaki et Isao Takahata

Les Nuits de France Culture

“La Planète sauvage”, comment ce film de science-fiction français a révolutionné le cinéma d’animation ?