Dévotion, polyphonie et spiritualité franciscaine dans son œuvre religieuse : épisode • 14/18 du podcast Entretiens avec Francis Poulenc

Quels rapports entretient  Francis Poulenc à son œuvre religieuse ? Et à la foi ? En 1953-1954, le producteur et musicologue Claude Rostand propose une série de dix-huit entretiens sur Paris Inter consacrés au compositeur. L’occasion pour lui de se révéler à travers sa vie, son œuvre. Une œuvre éclectique dans laquelle se dégagent d’un côté des pièces légères, humoristiques au ton enjoué comme dans son Bal Masqué ou Les Mamelles de Tirésias ; et de l’autre, une œuvre liturgique, intense, grave, jusqu’à la noirceur de ses Litanies à la Vierge noire de Rocamadour.

Dans ce quatorzième volet, le compositeur revient plus en détail sur sa musique sacrée : sa Messe, les Quatre Motets pour un temps de pénitence, les Petites Prières de Saint François d’Assise, et le Stabat Mater, inspiré par l’Ordre des Franciscains et habité d’une croyance au-delà du dogme.

La “Messe en Sol Majeur” : foi et influence du style roman

En 1937,  Francis Poulenc souhaite composer une messe pour chœur mixte, sa première œuvre liturgique a cappella. Pour cette pièce, il confie que “de souche aveyronnaise, montagnarde et déjà méditerranéenne, le style roman a toujours eu tout naturellement mes préférences”, cherchant à refléter ce caractère rude et direct dans ce qu’il considère “un acte de foi”. Une certaine dureté se dégage de son Kyrie initial car aux origines de l’église les non baptisés pouvaient aussi chanter cet hymne avec les prêtes et les fidèles baptisés, d’où “le côté sauvage” de ce Kyrie. Pour le Sanctus, “un carillon de voix”, il s’inspire des têtes d’anges entremêlées peintes par Gozzoli dans la fresque du Palais Riccardi à Florence. Quant à l’Agnus Dei final, la voix aiguë soprano est “le symbole de l’âme chrétienne confiante dans la vie céleste.”

Sur le plan technique, cette œuvre s’avère très difficile, un chef de chœur bien connu la déclarant même au début inchantable, puis presque toutes les chorales internationales se mettent ensuite à l’interpréter. Soulignant l’exécution particulièrement réussie de la Chorale Robert Shaw de New York, le compositeur propose l’écoute de son Agnus Dei allant jusqu’à révéler : “Pardon de mon immodestie, mais c’est sûrement une des pages de ma musique où j’ai le plus sûrement réalisé ce que je voulais.”

“Quatre Motets pour un temps de pénitence” : polyphonie de la Renaissance et simplicité de l’écriture

Très inspiré après l’écoute de la Cantate Les Deux Cités de Darius Milhaud interprétée par les Petits Chanteurs à la Croix de Bois pendant la Semaine Sainte de 1938, Francis Poulenc entreprend en 1938-1939 la composition de ses Quatre Motets pour un temps de pénitence pour chœur mixte a cappella. L’œuvre témoigne de son intérêt incontestable pour la polyphonie des grands maîtres du passé, en particulier Tomas Luis de Victoria, prêtre catholique, organiste et compositeur, reconnu comme l’un des plus célèbres polyphonistes de la Renaissance espagnole. “J’ai sans cesse pensé à Victoria pour lequel j’ai une admiration sans borne. Pour moi c’est le Saint Jean de la Croix en musique”.

Les années 1951-1952 voient la naissance de ses Quatre Motets pour le temps de Noël pour choeur mixte a cappella, avec une écriture toujours polyphonique, beaucoup moins complexe que celle de sa Messe en Sol Majeur. Francis Poulenc suggère l’audition du premier motet, O Magnum Mysterium, évoquant l’absence de division des quatre parties et l’utilisation simple de la tonalité (retour continu à la tonalité initiale de si bémol mineur).

“Les Quatre Petites prières de Saint François d’Assise” : humilité et Ordre Franciscain

Claude Rostand revient également sur les Quatre Petites prières de Saint François d’Assise composées par Francis Poulenc à Noizay en septembre 1948 pour chœur d’hommes a cappella. Au regret du producteur de voir cette pièce moins jouée que les autres œuvres liturgiques, le compositeur répond : “Rien ne peut me faire plus plaisir que lorsqu’on aime ces Petites Prières. Car il ne faut pas croire que je néglige certaines de mes œuvres mineures. Au contraire.”

Un jour, un jeune Franciscain et petit-neveu du compositeur lui envoie quatre petites prières lui demandant de les mettre en musique pour la chorale de son couvent. Francis Poulenc, fortement marqué par la spiritualité franciscaine, accepte, “l’esprit franciscain m’a toujours profondément ému”, allant même jusqu’à admettre : “Si j’étais entré dans les ordres, vocation qu’hélas je n’ai jamais eue, c’eût été sûrement chez les Franciscains. J’ai pour Saint Antoine de Padoue, franciscain illustre, une extraordinaire dévotion, et cela depuis ma plus tendre enfance. Je lui demande de me faire me retrouver moi-même, et j’avoue que je compte bien sur lui à l’heure de ma mort pour le grand passage.”

Geste purement esthétique de la part du compositeur ? “Je vénère Saint-François, mais il m’intimide un peu. En tout cas, en mettant en musique ses petites prières si merveilleusement touchantes, j’ai voulu faire acte d’humilité”. Dans la quatrième prière par exemple, un ténor solo commence tout simplement comme un moine entraînant ses frères à la prière. L’œuvre est exécutée pour la première fois à la fin d’une messe par la Chorale Gouverné de l’hiver 1948 qui la rechante dans l’émission radiophonique “Plaisir de la Musique” de Roland-Manuel, “ce pur lieu de l’esprit convenant parfaitement à une œuvre qui n’a que faire des applaudissements d’une salle de concert. Et personne n’était également mieux qualifié que Roland-Manuel pour la présenter.”

Le “Stabat Mater” : amitié et oraison funèbre

En 1950, Francis Poulenc compose son Stabat Mater pour soprano solo, chœur mixte et orchestre, en hommage à son ami artiste peintre Christian Bérard décédé l’année précédente. “Je décidai d’écrire à sa mémoire une œuvre religieuse. J’avais d’abord songé à un requiem mais je trouvais cela trop pompeux. C’est alors que j’eus l’idée d’une prière intercessionnelle et que le texte bouleversant du Stabat Mater me parut tout indiqué pour confier à Notre-Dame de Rocamadour l’âme du cher Christian Bérard”.

Dans cette œuvre, le compositeur souhaite “rendre un hommage public à un ami exquis et un grand artiste” en apportant “un caractère classique et noble au sens Louis XIV”. Sur son écriture chorale, Francis Poulenc explique avoir choisi un effectif vocal et orchestral avec la présence d’une voix soliste et justifie l’absence de l’orgue : “Si je n’ai pas employé d’orgue, c’est que j’estime qu’avec les instruments à vent les jeux d’orgue créent toujours une sorte de pléonasme sonore.”

  • Production : Claude Rostand
  • Avec Francis Poulenc (compositeur et pianiste)
  • Entretiens avec Francis Poulenc 14/18 – L’œuvre religieuse (1ère diffusion : 12/01/1954 Paris Inter)
  • Programmation musicale (disques) : Messe en Sol Majeur (Agnus Dei) ; Motet pour le temps de Noël “O Magnum Mysterium” ; Quatre Petites prières de Saint François d’Assise de Francis Poulenc.
  • Edition web : Amélie Potier, Documentation de Radio France
  • Archive Ina-Radio France

Retrouvez l’ensemble du programme d’archives  “Francis Poulenc, l’éclectique”, proposé par Mathias Le Gargasson.

Dévotion, polyphonie et spiritualité franciscaine dans son œuvre religieuse : épisode • 14/18 du podcast Entretiens avec Francis Poulenc