À l’îlot des Combes, musulmans et nouveaux spirituels rassemblés par l’écologie

Le soleil se couche sur les arbres fruitiers, la pépinière et les plantations d’herbes aromatiques de l’îlot des Combes. En ce mois de juillet, cet écolieu situé au Creusot (Saône-et-Loire), et tenu par des musulmans, a organisé une formation en permaculture.

Après l’atelier communication non violente, Jean-Philippe Cieslak, cofondateur du lieu, glisse qu’il va aller prier, et quelques uns le suivent. Dans la salle de prière, il commence ensuite un petit topo sur le lien à la nature du prophète Mohammed. Suit alors un court échange spontané sur la nature de Dieu. « Je crois que c’est une énergie d’amour qui est présente partout », avance Emmanuelle, 64 ans, non musulmane. « Pour moi, Dieu, c’est vraiment un être différent, répond prudemment une jeune fille voilée. Il y a Dieu, et nous, les humains, nous sommes sa création. »

« La spiritualité est une écologie intérieure »

L’îlot des Combes est un centre agroécologique, membre de la coopérative Oasis, qui propose des formations à l’écologie, en particulier à la permaculture. En 2015, il a été pensé par ses fondateurs musulmans comme un lieu de sensibilisation à l’écologie pour leurs coreligionnaires. Mais l’équipe tenait à ce que l’endroit soit aussi un « lieu de rencontre », et donc qu’il ne soit pas uniquement destiné aux musulmans.

« Nous voulions qu’autour des valeurs communes de l’écologie et du respect de la nature, nous puissions accueillir tout le monde », insiste Jean-Philippe Cieslak. La vocation écologique, ainsi que la foi musulmane affichée de l’équipe, fait de l’îlot des Combes un lieu particulier, où des musulmans sensibles à l’écologie croisent des écolos souvent interpellés par les spiritualités alternatives.

Alexandre Guarneri, qui anime les ateliers pain et communication non-violente de la session, est représentatif de ces « nouveaux spirituels » que l’on peut croiser à l’îlot des Combes. Cet ancien commercial de 37 ans a opéré un « changement de vie » il y a quelques années, ressentant que son métier « n’avait pas de sens ». En 2015, il vend ses deux appartements, part un an en Australie, puis marche trois mois sur les chemins de Compostelle.

Après avoir appris à faire du pain auprès de boulangers itinérants, il devient boulanger et formateur en permaculture. À mesure qu’il se rapproche de la nature, sa spiritualité grandit : « J’ai pris conscience de tout le vivant qui m’entourait. Cela nous renvoie à quelque chose de plus grand que nous. » Pour lui, l’écologie a une dimension spirituelle, ou plutôt, « la spiritualité est une écologie intérieure », dit-il.

Évoquant davantage la spiritualité en termes de « sensation intérieure » que de dogmes, Alexandre la décrit comme « un état de paix, d’acceptation, de bienveillance et d’amour », duquel il se rapproche à travers « la méditation, le service des autres, la musique et la connexion à la nature ».

À la pépinière de l’îlot des Combes, Joachim, 40 ans, prend soin des dizaines de pousses de figuiers, de noisetiers et de baies de goji. Converti à l’islam, il se décrit comme un musulman « particulier » qui lit la Torah, l’Évangile et le Coran. Saisonnier, maître-nageur l’été et secouriste en montagne l’hiver, il a développé une sensibilité à la nature, déplorant tout le plastique déversé dans les océans. À l’îlot des Combes, il a trouvé un « alignement » entre l’écologie et son ouverture religieuse. « J’aime le fait que ce lieu soit ouvert aux musulmans de toutes les sensibilités, mais aussi aux non-musulmans », explique-t-il.

« Il est plus riche d’être ensemble »

Carole, 52 ans, une des participantes de la session, est intriguée par le fait que Joachim soit un converti. « C’est très fort, un tel appel », insiste celle qui reconnaît n’avoir jamais eu l’occasion d’échanger avec une femme voilée avant cette formation. Si elle dit avoir la foi, elle estime que « certaines choses dans la religion des hommes dénaturent le message spirituel ». De fait, elle a rejeté l’Église catholique, dans laquelle elle a été élevée.

Aujourd’hui, Carole, comme beaucoup de « nouveaux spirituels », butine d’une tradition à l’autre. Une médaille miraculeuse est accrochée à son cou. « J’adore Jésus et la Vierge », dit-elle en souriant, même si elle aime assimiler Marie à « la terre-mère. » Devenue praticienne de reiki, elle évoque aussi bien la semaine qu’elle a passée en silence chez les jésuites que les mantras – des chants qui « purifient l’âme » – qu’elle aime chanter pour se ressourcer.

Cette diversité spirituelle interpelle Fahima, infirmière de 32 ans, bénévole du lieu et musulmane pratiquante, qui a développé sa sensibilité à la nature dans des pépinières associatives ou au Campus de la transition. Elle est marquée par les différents parcours spirituels : « On peut en tirer beaucoup de sagesse pour nous-même. » Jean-Philippe Cieslak revendique lui aussi son ancrage dans l’islam et cette diversité. « Je crois que c’est une volonté divine que les cultures et les religions soient différentes, estime-il, citant un verset du Coran (s 49 ; v 13) : « Nous avons fait de vous des peuples et des tribus pour que vous vous entre-connaissiez. ». Il explicite: « Pour moi c’est important de nous connaître et d’apprendre les uns des autres. »

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Islam et écologie

Dans un entretien, Éric Geoffroy, islamologue, a expliqué les liens entre le Coran et la nature. « L’islam (…) contient un enseignement sur le respect de l’environnement, sur le “cosmisme” de l’islam, c’est-à-dire le fait que l’être humain est inséré dans un réseau au sein du vivant. Malheureusement, beaucoup parmi les musulmans n’en ont plus mémoire. (…) Dans le Coran, nous voyons aussi que tous les règnes : l’animal, le minéral, le végétal, louent Dieu. Si toutes les créatures louent Dieu, cela signifie que toutes les créatures ont une conscience. (…) Le Tawhid, le principe d’unicité de Dieu, implique aussi l’interdépendance de tous les règnes. »

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