Pour une spiritualité engagée

Le retour de la spiritualité ? On en parle. Des stages sont organisés, des formations mises en place. Les publications abondent. En Belgique, la méditation a été introduite dans les écoles du réseau catholique. La spiritualité est quasiment devenue synonyme de “développement personnel”. Elle est convoquée au service de l’oxygénation de la vie privée.

La religion apparaît, en ces temps d’individualisme, comme un carcan qui oblige à penser et à pratiquer comme les autres, à faire comme tout le monde. La foi, elle, est encore souvent connotée chrétienne, c’est-à-dire associée à une religion précise, celle de nos contrées, en l’occurrence. Or, il y a dans notre société une rupture des traditions, que les sociologues situent dans les années 70-80, et même un rejet du christianisme. Aujourd’hui, le mot spiritualité, qui relève de la sphère privée, a tendance à remplacer ceux de religion et de foi.

Des racines et des branches

La spiritualité, religieuse ou non (agnostique ou athée), est la caractéristique de l’humaine condition, ce qui nous distingue de l’animal et de la machine. Elle est cette dimension intérieure de la personne où celle-ci décide du sens qu’elle donne à sa vie ainsi que des engagements qu’elle prend en fonction des valeurs qu’elle entend respecter. Nous ne sommes pas dans le domaine du savoir, mais de la foi au sens large du terme, foi en soi, en l’homme, en la vie.

Le mot spiritualité fut d’abord religieux, et même chrétien, et il l’est encore pour beaucoup. De nos jours, cependant, il s’est élargi, englobant les spiritualités non religieuses que l’on pourrait qualifier d’humanistes. De plus, la spiritualité contemporaine est fortement marquée par le contact avec les spiritualités orientales. La dimension thérapeutique – les thérapies psychocorporelles – y est aussi très présente.

La spiritualité n’est donc plus le monopole des religions, elle est “sortie de la religion”, pour reprendre l’expression du philosophe Marcel Gauchet. Elle est devenue indépendante et va puiser un peu partout ce qui peut la nourrir. Quand elle demeure religieuse, elle s’ouvre sur l’Innommable auquel les religions et les philosophies, l’homme de la rue aussi, faute de mieux, donnent le nom de dieu, au singulier ou au pluriel. Dans certaines religions, cette transcendance ultime est personnelle.

Au service du monde

Croyants et non-croyants – selon une distinction classique – sont appelés à cultiver cette dimension. Toutes les spiritualités ont en commun l’ouverture à soi et à autrui, l’ouverture à plus grand que soi et plus intime à la fois. Les questions ultimes du sens (celles de l’origine, du mal que je subis et que je commets, de la mort, de la transcendance) font la différence entre elles. Si la dimension spirituelle est universelle, les religions tissent des liens entre les croyants qui se rattachent à une même tradition. Mais si l’on veut sauver la religion, il faut la “spiritualiser”, insister sur la dimension d’intériorité personnelle plutôt que sur les rites et les dogmes.

Il ne faudrait cependant pas que le spirituel devienne le refuge face à un monde jugé négativement. Ce ne serait plus un opium du peuple, mais bien des bourgeois en mal de sens. Dans le roman Soufi, mon amour d’Elif Shafak, Aziz écrit à Ella que la spiritualité “n’est pas une chose qu’on peut ajouter à sa vie sans procéder à des changements majeurs”. Hélas, elle est de moins en moins mise en lien avec la transformation de l’existence et de la société. Elle est reprise dans la dynamique consumériste de notre culture. 0n assiste aujourd’hui à une marchandisation du spirituel. Or, celui-ci est de l’ordre de la gratuité, source d’engagement au service d’un monde en pleine mutation. Dans cette optique, la vie intérieure doit grandir à l’égal de la vie extérieure. Les branches d’un arbre nous disent la profondeur de ses racines.

La 6e édition de RivEspérance aura lieu ces 2 et 3 février au Palais des Congrès de Liège: Quelles spiritualités pour demain ? Sens et engagement.

Pour une spiritualité engagée