Quand le voyage rend fou : ces étranges syndromes qui affectent les touristes

“Moi, je suis con, mais pas au point de voyager pour le plaisir. Ça, non, quand même pas”, confiait Gilles Deleuze dans son Abécédaire. Pour le philosophe, auteur d’un traité de nomadologie, le voyage est synonyme de “rupture à bon marché“. Abordable ou non, ce dépaysement ardemment recherché par les touristes peut tourner au véritable choc. D’une région du monde à l’autre, la différence de culture est parfois si grande que certains d’entre eux en viennent à éprouver divers troubles psychologiques, allant d’un sentiment d’étrangeté saisissant à la bouffée délirante ou la dépersonnalisation. Tous les ans, nombre de globe-trotteurs seraient ainsi victimes d’un “syndrome du voyageur”, comme l’appellent les psychiatres… À ne pas confondre avec le “voyage pathologique”, concept psychiatrique qui renvoie à un voyage motivé par des troubles psychologiques préexistants.

De ces bouleversements psychologiques, attestés ou contestés, on pourrait d’ailleurs faire les points d’étape d’un tour du monde “de malade”. Du syndrome de Florence, cet ébranlement esthétique suscité par l’abondance d’œuvres d’art, à celui de Paris, violente déception née d’une collision entre un Paris “Amélie Poulainesque” rêvé et la réalité. Ou encore du syndrome de Jérusalem, cette psychose emportant les pèlerins de la ville sainte dans un délire mystique, à celui de l’Inde, qui fait perdre tout repère aux touristes occidentaux… Retour sur ces maux de voyageurs, de leurs découvertes et explications scientifiques à leurs résonances culturelles.




14 min

Malaise in Paris : la grande désillusion japonaise…

“Paris, pour les Japonais, c’est la Ville lumière, la plus belle ville du monde, la capitale du raffinement et du romantisme. Un mélange entre la publicité Chanel n°5, Amélie Poulain et les photos en noir et blanc de Robert Doisneau. En quelques heures, nous passons donc d’un Paris de carte postale aux couloirs sales de Roissy et à la mauvaise humeur d’un chauffeur de taxi“. Voilà comment Eriko Nakamura, ancienne présentatrice vedette au Japon, ouvre son témoignage de nouvelle parisienne. “Personne ne fantasme autant sur Paris qu’un Japonais. Et personne n’est plus choqué par Paris qu’un Japonais“, résume-t-elle dans Nââândé !? (édition Nil, 2012).

La déception provoquée par ce décalage entre la citée fantasmée et la ville réelle est loin d’être une expérience isolée. En 1986, le professeur Hiroaki Ota, rattaché aux urgences psychiatriques de l’hôpital Sainte-Anne à Paris, identifie un mal dont sont victimes les nombreux Japonais qui, bénéficiant d’un boom économique dans les années 1980, visitent pour la première fois la réputée “plus belle ville du monde”. Mais à leur arrivée dans la capitale, le mythe s’effondre. Paris n’a pas les couleurs qu’on lui voit dans les films de Jeunet, et ses habitants ne dialoguent pas à la manière des personnages de Godard sous le pont des arts. Ils sont au contraire bruyants et impolis, très éloignés des mœurs japonaises traditionnelles.

De ce choc naissent les premiers symptômes de ce qu’on appellera le “syndrome de Paris”, observe Ota. D’abord physiques (chaleur soudaine, désorientation…), ils deviennent psychiques : déprime, sentiment d’insécurité et de persécution. On retrouve chez le sujet atteint du trouble la “persistance de sentiments admiratifs excessifs et un peu naïfs par rapport à la France contrastant avec une opinion très négative des Français, décrivent les psychiatres Stéphane Quilichini, Bruno Rivet et Pierre Paulin dans la revue Perspectives Psy. Ce syndrome est une forme de phobie sociale acquise“. Si bien que certains doivent être rapatriés d’urgence au Japon avec cette prescription du médecin Ota : “Ne revenez plus jamais à Paris“.

D’après une étude de 2004 dont Ota est co-auteur, 63 patients japonais (29 hommes et 34 femmes) ont séjourné à l’hôpital Saint-Anne entre 1988 et 2004, victimes du syndrome de Paris. L’une d’elles avait vu son trouble déclenché par… une affiche publicitaire dans les couloirs du métro de Tokyo dont le slogan était “La France vous attend“. Prenant le signe comme un message personnel, elle avait effectué le voyage jusqu’à Paris où, après quelques jours de déconvenues, elle fut prise d’épisodes de schizophrénie.

Le phénomène a été particulièrement médiatisé. En 2011, par exemple, on pouvait lire dans le magazine américain The Atlantic qu’une vingtaine de touristes venus découvrir Paris, la plupart japonais, avaient dû être rapatriés après s’être sentis mal dans ses rues. L’auteur de l’article, qui devait sûrement garder un souvenir amer de son escapade parisienne, conseillait de se préparer à la déception en rappelant que les “McDonald’s, KFC et autres Subway poussent sur la ville comme des boutons d’acné“, que les “vols et agressions y sont monnaie courante” et qu’à Paris, “le client n’a pas toujours raison, il existe simplement“… Mais la véracité du syndrome ne fait pas l’unanimité parmi les professionnels de santé – The Atlantic ne cite d’ailleurs aucune source officielle en avançant ses chiffres. Pour certains psychiatres confrontés au phénomène, le brutal changement d’environnement culturel peut mettre à jour chez certains patients des troubles latents qui ne se seraient pas déclenchés dans l’univers familier et sécurisé du Japon. Interrogé par Slate, Youcef Mahmoudia, psychiatre à l’Hôtel-Dieu, rappelait ainsi qu’il ne fallait pas confondre “un état d’angoisse passager qui peut survenir chez quelqu’un qui est en voyage et n’arrive pas à s’adapter et un état délirant entraînant des troubles du comportement sur la voie publique.” Malgré quelques inquiétudes, Paris reste l’une des destinations les plus prisées des touristes japonais.




43 min

Drame florentin : le choc esthétique

Le Syndrome de Stendhal, film de Dario Argento (1996).
Le Syndrome de Stendhal, film de Dario Argento (1996).

“J’étais déjà dans une sorte d’extase, par l’idée d’être à Florence, et le voisinage des grands hommes dont je venais de voir les tombeaux. Absorbé dans la contemplation de la beauté sublime, je la voyais de près, je la touchais pour ainsi dire. J’étais arrivé à ce point d’émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les Beaux-Arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j’avais un battement de cœur, la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber.” Lors de son séjour en Italie en 1817, Stendhal s’arrête à Florence, nom de ville qui sonnait déjà à ses oreilles comme une promesse d’émerveillement. La Piazza Santa Croce, ses statues antiques, ses édifices peints avec délicatesse… Tout est beau ! Le jeune grenoblois de 28 ans est saisi d’une violence émotion : l’extase, joie extrême qui le fait sortir de lui-même avant de le laisser las et épuisé. Le cœur inquiet, étreint par l’abondance de culture qu’offre la ville italienne, l’écrivain s’assoit sur un banc et tente de reprendre ses esprits. Critique d’art à ses heures perdues, l’auteur de La Chartreuse de Parme était pourtant habitué à la fréquentation des arts…

Ce n’est que bien plus tard que l’étourdissement esthétique du voyageur décrira une maladie psychosomatique : le “syndrome de Stendhal” ou syndrome de Florence. En 1979, la psychiatre italienne Graziella Magherini se penche sur le phénomène qui voit des centaines de touristes tourner de l’œil devant une toile de maître et atterrir à l’hôpital Santa Maria Nuovo de Florence. Dans un essai intitulé Le Syndrome de Stendhal, elle explique que la majorité des cas étaient des Européens, venus seuls. Maîtrisant les références culturelles nécessaires à l’appréciation des œuvres d’art italiennes, ces derniers étaient plus susceptibles d’être touchés par l’offre artistique des musées de la cité du Lys, tandis que les touristes asiatiques ou américains semblaient y être immunisés. On raconte ainsi que, régulièrement, des touristes subjugués par l’immense statue de marbre représentant David après sa victoire sur Goliath, sont pris de vertige et finissent par s’évanouir. La perfection du chef-d’œuvre de Michel-Ange ne cesse de saisir ses spectateurs, plus de 500 ans après sa réalisation.

Encore une fois, la pathologisation du phénomène est contestée, ses effets ne s’inscrivant pas dans ce qu’on appelle en psychiatrie le “voyage pathologique”, déplacement qui accompagne un épisode de délire. En donnant le nom d’une ville à un syndrome, ici Florence, on tend à faire du lieu l’élément pathogène, comme on le faisait dans la médecine psychiatrique du XIXe siècle avec la théorie des miasmes transmetteurs de maladies psychiques. La description du syndrome de Florence rend toutefois bien compte de l’intensité que peut atteindre l’expérience esthétique et des mystérieux effets somatiques que l’art peut avoir sur nous.




54 min

Le grand stress indien : méditation sans frontières

Trek-yoga en Himalaya ou retraite spirituelle dans un ashram du Kérala, l’Inde est une destination prisée des voyageurs en quête de d’expériences initiatiques et spirituelles. Mais l’aventure de ces Julia Roberts s’étant mises en tête de changer le cours de leur existence en allant méditer auprès d’une vache sacrée n’est pas toujours heureuse.

Plusieurs médecins ont décrit de forts phénomènes de désorientation des étrangers occidentaux séjournant en Inde, allant de la confusion à des états maniaques et des délires psychotiques. “Le voyage vers l’Inde aurait une capacité particulière à susciter le bouleversement de notre vécu familier“, remarquent le médecin Benoît Dutray et le chercheur Stéphane Moulin dans la revue L’Autre (2005), après avoir recueilli les témoignages de voyageurs français en Inde entre 1999 et 2001. A la recherche d’une “Inde intemporelle“, ils étaient nombreux à se prendre pour des aventuriers en terre mystique. “Le cheminement émotionnel lors d’un voyage en Inde serait l’entrecroisement des mythes de la terra incognita (l’Inde que l’on découvre nouvellement était en soi de toute éternité) et du vécu d’inquiétante étrangeté“, décrivent-ils. L’un des témoins raconte par exemple ces rêves bizarres qu’il ne fait qu’en Inde, cette foule permanente dont il n’arrive pas à comprendre les déplacements, ces regards curieux d’Indiens qui lui demandent de le photographier “comme [s’il était] Brad Pitt“, au point de faire naître en lui des “sensations d’inflation mégalomaniaque“…

Croyant arriver dans un pays où l’harmonie et la spiritualité seraient omniprésentes, le premier contact des touristes avec l’Inde est parfois vécu comme une forte désillusion. Encore une fois, c’est la confrontation entre un pays mythique et la réalité qui provoque un “choc culturel” diversement géré par les voyageurs. Forgé par l’anthropologue canadien Kalervo Oberg dans les années 1960, le concept renvoie à une expérience de désorientation à la fois physique et psychique très stressante. Il s’applique en particulier aux voyageurs et aux expatriés, contraints de trouver de nouveaux repères dans un environnement non familier.

Schéma du "choc culturel", concept forgé par l'anthropologue Kalervo Oberg.
Schéma du “choc culturel”, concept forgé par l’anthropologue Kalervo Oberg.

Dans leur étude, Benoît Dutray et Stéphane Moulin relatent des expériences de choc culturel violent. Madeleine raconte que chaque Indien qu’elle croise se gratte l’entrejambe en la regardant dans les yeux, “elle y voit une provocation, un complot organisé contre elle“. Une autre patiente est quant à elle venu consulter les deux médecins parce qu’elle vivait son voyage indien comme “un trajet sur un tapis roulant” à la vitesse incontrôlée, et cela télescopait des images d’un conflit familial ancien. “Elle s’interrogeait avec ambivalence en se demandant si, sans le voyage en Inde, elle aurait eu à affronter ces pensées“, commentent-ils.

L’Inde aurait-elle un mystérieux pouvoir perturbateur, un ingrédient brouilleur de repères ? Jusque dans les années 1970, on avait tendance à imputer ces délires psychotiques à la consommation de psychotropes… Mais selon Régis Airault, ancien psychiatre au consulat français de Bombay qui a largement contribué à la popularisation de l’expression “syndrome de l’Inde”, il n’est pas aberrant de dire que le pays de Gandhi peut rendre “fous les Occidentaux“. A plusieurs reprises, il a rapatrié des Français qui y avaient perdu pied. Dans son livre Fous de l’Inde, délires d’occidentaux et sentiments océaniques (Payot & Rivages, 2016), le docteur décrit ces décompensations psychiatriques de voyageurs après avoir été totalement déconcertés par des scènes de la vie quotidienne indienne, sa foule et ses bruits, la pauvreté et la présence physique de la mort… Il raconte par exemple qu’une jeune fille s’était mise à embrasser des vaches sacrées lors d’un périple avec une association humanitaire et qu’une autre, venue se ressourcer quelques mois en Inde, s’était presque noyée en voulant rejoindre à la nage ses parents en France.

“Ces impressions contradictoires, ces sentiments opposés qui cohabitent à la minute et vous ‘remuent les émotions’, c’est ça l’Inde, écrit-il. Voir sortir de la boue, dans le pire des bidonvilles, un homme vêtu de blanc, d’un blanc immaculé, là où, en cinq minutes, on serait noir de la tête aux pieds, c’est ça l’Inde : la pureté qui pousse sur l’abject. La vie, la mort juxtaposées“. Ou comment le rêve du voyage initiatique indien commence par l’offrande de sa propre boussole…




50 min

A Jérusalem, le voyageur attendu comme le messie

La mosquée al-Aqsa, à Jérusalem.
La mosquée al-Aqsa, à Jérusalem.

© Maxppp
– Saeb Awad

Un homme qui erre, pieds nus, aux abords du Mur des lamentations après s’être brusquement débarrassé de ses chaussures de randonnée. Un autre, vêtu d’une toge faite d’un drap volé dans un hôtel alentour, s’agenouille devant une colonne du dôme du Rocher, l’endroit où Mahomet s’est élevé au ciel selon la religion musulmane, l’emplacement du centre du monde selon les Juifs de la région. Et ce couple qui se met soudainement à prêcher au milieu des touristes, comme investis d’une mission divine.

Ces scènes ne sont pas rares à Jérusalem. Tous les ans, le centre psychiatrique de Kfar Shaul, situé dans la vieille ville, accueille des dizaines de touristes pris d’un délire mystique : le “syndrome de Jérusalem”, en particulier lors des grandes fêtes religieuses et des mois chauds d’été. Un syndrome de Stendhal façon expérience religieuse : trop de minarets, de clochers, de sanctuaires, de symboles religieux et de bibelots sacrés au syncrétisme mal digéré sur les étals des marchands… Trop d’attente, aussi, pour les voyageurs en pèlerinage, tous chargés de leurs prières et doléances. C’est au psychiatre d’origine allemande Heinz Herman que l’on doit la paternité de l’expression “syndrome de Jérusalem”. Dans les années 1930, il commence à l’employer pour désigner la névrose de ces pèlerins voyageurs écrasés par la charge religieuse de la cité proche-orientale. Victimes de troubles dissociatifs, ils se prennent pour des saints, des prophètes ou la Vierge Marie… En août 1969, un Australien chrétien de 28 ans, venu faire du bénévolat dans un kibboutz, entre en transe : persuadé de l’arrivée imminente du Messie, il met le feu à la mosquée d’Al-Aqsa. “Hotspot” névrotique, des médecins veillent depuis près du Mur des lamentations, à l’affût des illuminations dangereuses…

Psychiatre rattaché au ministère de la Santé israélienne et spécialiste du syndrome de Jérusalem, le docteur Moshe Kalian fait remonter les premières observations de la manifestation de ce trouble au XIXe siècle. Il rapporte que, dans la plupart des cas, l’atmosphère religieuse de Jérusalem n’est pas la cause principale des crises, les visiteurs psychotiques étaient souvent guidés vers la Ville Sainte par des “motifs délirants dérivés de leur croyance religieuse“, l’exaltation mystique de la cité ne jouant qu’un rôle révélateur de leurs troubles. Mais il arrive que certaines personnes éprouvent ce syndrome sans avoir d’antécédents psychiatriques. D’après une étude menée par le docteur Yair Bar El, ancien directeur du centre psychiatrique de Kfar Shaul, publiée dans le British Journal of Psychiatry en 2000, la majeure partie de ces patients sont protestants et issus de familles très religieuses. Selon lui, le phénomène cela s’expliquerait par le fait que “les protestants dirigent leurs prières vers un Être insondable, tandis que les catholiques ont l’intervention d’un prêtre, intermédiaire tangible“.





L’échec de Robinson à Tahiti

Puisse venir le jour où j’irai m’enfuir dans les bois sur une île de l’Océanie, vivre là d’extase, de calme et d’art. Entouré d’une nouvelle famille, loin de cette lutte européenne après l’argent. Là à Tahiti je pourrai, au silence des belles nuits tropicales, écouter la douce musique murmurante des mouvements de mon cœur en harmonie amoureuse avec les êtres mystérieux de mon entourage. Libre enfin, sans souci d’argent et pourrai aimer, chanter et mourir.” En février 1890, Paul Gauguin partageait à sa femme son rêve d’évasion vers un coin de paradis à la végétation luxuriante, l’eau turquoise et le sable blanc… Tahiti, une “destination de rêve” pour les continentaux, qui affiche toujours ses couleurs vives sur les devantures des agences de voyage.

Au mythe de l’île plantée au milieu de l’océan Pacifique s’accole celui du Robinson. Mais pour les exilés volontaires, l’île déserte tant convoitée révèle souvent sa dureté : des variations météorologiques difficiles, l’isolement et l’immensité d’une nature vierge et rebelle. Dans une étude consacrée aux voyages pathologiques à Tahiti, des psychiatres du Centre hospitalier de Polynésie française ajoutent au profil du Robinson, celui que l’on pourrait appeler “le Finistérien” ou chercheur de bout du monde : il part en quête de lieux mystérieux, lointains et difficile d’accès, sur les traces de civilisations disparues “détentrices du grand secret“… Se dessine aussi le profil de “Bougainville” aveuglé par le “mythe de la nouvelle Cythère” : il croit trouver à Tahiti, Samoa ou Tonga une île paradisiaque aux mœurs libres, notamment en matière de sexualité, et pouvoir s’absoudre des coutumes occidentales dans ses échanges avec le “bon sauvage” – une vision complètement biaisée et exotisante qui ne le prépare qu’à une violente désillusion.

Syndrome insulaire, parfois appelé “syndrome de Tahiti” ou de “Mayotte”, il est, selon le psychiatre Régis Airault, comme une lune de miel qui aurait mal tourné. Après quelques semaines ou quelques mois, le voyageur “se retrouve prisonnier de son fantasme insulaire avec un sentiment d’enfermement, de l’anxiété, un vécu dépressif, un vécu persécutif, détaille-t-il dans la revue du Haut Conseil en Santé publique (n°76, 2001). Certains tentent d’échapper à ce malaise par les toxiques (alcool, cannabis…), d’autres par les aventures sexuelles (maison du jouir de Gauguin…) ou par un surinvestissement de leur travail“.

Interrogé par Slate en 2011, un infirmier du Centre hospitalier de Polynésie française, confiait avoir accueilli seulement quatre ou cinq voyageurs dans son service, de jeunes métropolitains en sac à dos présentant déjà des troubles psychiatriques. “Ils viennent sur un nom qui fait rêver, sur un mythe, explique-t-il*. Ils se disent : ‘pourquoi pas essayer de recommencer ailleurs ?’ et espèrent mettre une aussi grande distance entre eux et leurs problèmes que celle qu’il y a entre la métropole et Tahiti.*” Puis la réalité : le coût de la vie élevé, le marché de l’emploi saturé, la pollution. “La pathologie refait alors surface parce qu’ils ne trouvent pas ce qu’ils cherchaient, poursuit l’infirmier. Ils décompensent et arrivent à l’hôpital en état de crise, sur un mode qui ressemble à une bouffée délirante“.




28 min

A l’issue de son voyage, le backpacker n’est pas à l’abri d’un autre mal : ne parle-t-on pas aussi du “syndrome du retour” ? La phase de réadaptation peut être plus ou moins douloureuse et angoissante selon le décalage culturel entre le pays visité et le pays d’origine. Comme un énième effet secondaire de cette confrontation entre les attentes du voyageur avant le départ et la réalité de son expérience sur place. Dans cette grande liste des pathologies toponymiques, citons aussi tout de même quelques syndromes qui ne risquent pas de toucher les voyageurs, comme le syndrome de Stockholm ou celui de Lima qui décrivent des relations empathiques entre un geôlier et son otage, ou encore le mystérieux syndrome de la Havane, trouble sans frontière qui ne s’en prend, pour l’instant, qu’à des diplomates…

Quand le voyage rend fou : ces étranges syndromes qui affectent les touristes