Octave Magescas : Atmosphère et ambiance dans la musique électronique

Bonjour Christophe, bonjour aux auditeurs et auditrices de France Musique,

En tant qu’amateurs et amatrices de musique nous parlons souvent de l’atmosphère que nous voulons donner à un lieu ou à un moment grâce à la musique qu’on diffuse, ou à la radio qu’on écoute. On aime parler d’atmosphères oniriques, chaleureuses, ou encore froides et cliniques, elles permettent d’articuler notre ressenti musical avec l’environnement d’écoute. La musique est souvent étudiée comme un élément d’atmosphère, qui va la teinter au même titre qu’une couleur ou la température ambiante. Dans mon travail, je propose de voir la musique non pas comme quelque chose qui influence l’atmosphère, mais qui peut la contenir et l’exprimer.

En 1975, le musicien anglais Brian Eno raconte qu’il a été immobilisé suite à un accident, et qu’il s’est retrouvé à écouter de la musique à très bas volume sans pourvoir la monter. C’est là qu’il place l’origine de sa série d’albums Ambient, parus entre 1979 et 1982, interprétés par lui-même, ainsi que des musiciens tels que le pianiste Harold Budd et le multi-instrumentiste Laraaji. Je travaille avec ces albums comme point de départ. Ils ont donné naissance à un genre musical, l’ambient music, qui a atteint son pic de popularité au milieu des années 1990. Ces albums sont un geste musical qui a ouvert la voie à un nouveau type d’expérimentation, basé non plus sur les structures compositionnelles, les harmonies ou les mélodies, mais sur les atmosphères, les textures, le sensible.

Je questionne ce qu’on veut dire quand on parle des atmosphères dans la discussion musicale. Est-ce que c’est l’environnement d’écoute qui compte le plus, comme le suggère l’histoire d’Eno ? Ou est-ce que ce sont les qualités sonores de la musique qui la rendent atmosphérique ? Il y a aujourd’hui un vrai champ musical, très riche, qui peut être qualifié d’atmosphérique en tant que tel, à cheval entre la musique ambient, le glitch (ce genre apparu dans les années 1990 basé sur des sons d’erreur numériques), la musique concrète, la techno, et même le hip-hop. C’est dans ce champ musical que je fouille pour éclaircir l’énigme épistémologique qu’est la question atmosphérique, qui traverse toutes les strates des musiques électroniques aujourd’hui, des salles de concert underground aux Philharmonies.

Il y a plein de paramètres qui rendent la musique propice à être qualifiée d’atmosphérique : les effets de réverbération et d’écho, la lenteur, la prédominance de fréquences basses, la douceur du mix … Je cherche à démystifier le champ lexical de l’atmosphérique et de l’ambiant, qu’on associe souvent à la spiritualité plus pour des raisons mercantiles qu’artistiques. C’est ce mystique qui est aussi à l’œuvre dans les utopies musicales dont nous allons parler avec Antoine Léandri et Esteban Buch au cours d’une table ronde au Festival Allez Savoir. Les musiques ont un pouvoir de fascination et de conviction qu’il convient de critiquer et d’analyser. La musique est quelque chose d’intime, et nous devons nous protéger des promesses d’élévation spirituelle et d’utopique dans la musique, qui peuvent cacher des intérêts seulement marchands. Je pense aussi qu’il y a un vrai potentiel esthétique dans l’ambient, sinon on ne s’y intéresserait pas autant. Je parle des musiques que j’aime avant tout, et je cherche à comprendre ce qui m’attire chez elles, et à partager cette passion avec tout le monde.

Références musicales :

  • Brian Eno, « Music for Airports 1 », Ambient I: Music for Airports, 1979
  • Oval, « Textuell », Systemisch, 1994
  • Mu Tate, « frank’s hublots », they’re with you always, 2023
  • Aphex Twin, « Xtal », Selected Ambient Works 85-92, 1992

MAXXI Classique

Octave Magescas : Atmosphère et ambiance dans la musique électronique