Noémi Szécsi : sublimer nos sorcières modernes

Certains des visages photographiés sont assez dûrs. Que disent-ils de ces femmes et de leur place dans notre société ? 

Je préfèrerais utiliser le terme « fort ». Pour moi, le mot « sorcière » n’est qu’un adjectif qui englobe la douleur de siècles de souffrance, la subordination qui en découle au sein de la société et le pouvoir des femmes qui ont enduré la vulnérabilité. Pourtant, les femmes que j’ai rencontrées ont été capables de transformer ces forces difficiles et souvent négatives. Si leur rôle dans la société a changé, selon moi, la stigmatisation est toujours présente. 

Quelles ont été tes inspirations pour la composition de cette série ? 

J’ai surtout lu de la littérature féministe sur le thème de la sorcellerie, car je voulais rester aussi concentrée que possible sur le sujet. Les écrits de Silvia Frederici ont été les plus influents. Elle met en évidence des contextes sociaux que j’ai toujours portés en moi et qui m’ont aidée à trouver des solutions, à me forger mes propres opinions, que je peux montrer dans les images. 

Tu évoques les contes de fées et l’idée fait que les sorcières ont toujours été considérées comme les « mauvaises filles ». Considères-tu cette série comme un conte moderne, où les sorcières seraient des héroïnes ? 

Tout en travaillant sur la série, j’ai également rédigé ma thèse sur les protagonistes féminines des films giallo qui, selon mon hypothèse, sont l’incarnation de la sorcière moderne. Le giallo est un genre de film d’horreur très populaire en Italie dans les années 1970. Les réalisateurs de giallo ont axé leurs films sur les conditions sociales de l’époque, qui évoluaient rapidement et intensément, et sur la frustration des hommes à l’égard des femmes. Le danger inhérent au personnage de la femme sûre d’elle est une crainte permanente des hommes, car un être conscient est plus difficile à gérer, à manipuler et à contrôler. Les personnages féminins des films giallo sont l’incarnation de cette peur. Elles sont indomptables, dangereuses et pleinement conscientes du pouvoir de leur corps et de leur sexualité. En outre, il existe de nombreux exemples où le personnage de la sorcière a été utilisé comme symbole d’une femme forte et indépendante. L’un des objectifs de la série est de renforcer cette image. 

Parallèlement aux détails de la réalité qu’elles vivent, je présente un univers visuel dans lequel le mot « sorcière » n’est qu’un adjectif, qui englobe la douleur de siècles de souffrance, la subordination qui en résulte au sein de la société et le pouvoir des femmes qui ont enduré la vulnérabilité. Il proclame le pouvoir des femmes vulnérables qui, se retrouvant dans leur exclusion, créent une communauté pour elles-mêmes. L’appartenance est un besoin élémentaire de l’individu, et les femmes que j’ai rencontrées ont certainement besoin de sentir que leur présence dans le monde est significative, et que leurs croyances, leurs opinions et leurs visions du monde sont appréciées.

© Noémi Szécsi

Noémi Szécsi : sublimer nos sorcières modernes