Emmanuel Clerc

La vie d’Albert Ayler ressemble à une pièce de théâtre traversée de zébrures d’éclairs, de soleils au firmament et par la foudre destructrice dans l’acte final. Tout au long de ce premier livre écrit par Emmanuel Clerc, on perçoit son attachement à ce personnage emblématique de la révolution jazzistique de la fin des années soixante.

L’auteur a su restituer avec passion les temps forts qui ont émaillé la vie de ce saxophoniste nimbé d’une aura mystérieuse. De fait, le message aylerien n’a pas connu la reconnaissance tardive qu’ont pu trouver Ornette Coleman ou John Coltrane ; cela n’a pas échappé à Emmanuel Clerc. Combien d’auditeurs de ces disques révolutionnaires que sont Spiritual Unity, Ghosts, Bells ou Spirit Rejoice auront été bouleversés par l’intransigeance de ce saxophoniste très peu conventionnel ? Albert Ayler est bien souvent incompris par ses pairs, mais un homme empreint d’une grande capacité d’écoute se rangera rapidement à ses côtés : John Coltrane. Ce n’est pas pour rien qu’Albert Ayler sera désigné pour célébrer musicalement les funérailles de l’astre Coltrane en 1967.

Emmanuel Clerc fait revivre avec justesse les évènements sociologiques qui traversent l’Amérique des années soixante ainsi que leur impact au sein de la communauté afro-américaine. Albert Ayler apparaît comme habité par un paradigme qui lui fait survoler les complexités de la réalité : seule sa trajectoire musicale compte.

L’auteur fait le choix de s’immiscer à l’intérieur du récit et évite ainsi le déroulement chronologie d’une biographique conventionnelle. Le rapport d’Albert Ayler avec la France s’établit quant à lui avec une dualité radicale : à l’âge de vingt-deux ans il fait son service militaire à Orléans et, au seuil de sa vie, à seulement trente-quatre ans, il subjugue la foule venue nombreuse aux Nuits de la Fondation Maeght à Saint-Paul de Vence, lors de deux soirées devenues légendaires. Emmanuel Clerc réussit avec brio à installer le lecteur au sein de cet évènement : l’unité musicale, la spiritualité débordante, la ferveur du public, toute cette multiplicité devient une transmission historique somptueuse.

Comme dans un rite magique, l’interprétation de la Marseillaise a résonné au-delà des concerts donnés par Albert Ayler ; ses échos annonciateurs de renouveaux sonores ont eu le même impact que le Star Spangled Banner électrisé par Jimi Hendrix à Woodstock : une nouvelle génération s’engouffre alors dans une utopie salutaire. Un constat s’impose : ces deux interprétations ont réussi à raviver les hymnes nationaux en leur insufflant la contemporanéité salutaire de l’improvisation.

Les Editions Le Mot et le Reste proposent une bibliographie rigoureuse ; Emmanuel Clerc y restitue souverainement la quête d’un novateur incompris. La fin tragique d’Albert Ayler dans l’East River à New-York en novembre 1970 n’occulte aucunement son legs artistique. Cet homme plaçait sur un pied d’égalité l’opulence des fanfares et les débordements d’un jazz libéré de ses syntaxes, dans l’expression heureuse d’une force cosmique éclatante.

Emmanuel Clerc