Des jeunes qui ont soif de spiritualité

Depuis qu’une majorité de Québécois ont chassé la religion de leur vie, la spiritualité est devenue taboue au Québec. Pourtant, les questionnements sur le sens à donner à sa vie, à ses relations avec les autres, avec la nature ou avec une force supérieure continuent d’exister. Mais contrairement à avant, les réponses ne sont plus toutes faites et ne se transmettent plus, tout bonnement, d’une génération à l’autre.

Selon une récente étude menée auprès de 216 jeunes âgés de 20 à 35 ans par le Centre St-Pierre, situé à Montréal, en collaboration avec la Chaire Jean-Monbourquette de l’Université de Montréal, la spiritualité occupe une place importante chez les membres de cette génération, qui ont toutefois redéfini leur spiritualité d’une manière plus personnelle, en marge des préceptes des institutions religieuses.

Pour mieux comprendre comment ces jeunes vivent leur quête intérieure, Le Devoir a assisté à un atelier virtuel — animé par Chantale Prévost, chercheuse et coordonnatrice du service de développement personnel et spirituel du Centre St-Pierre — avec six participants à l’étude. Ces six jeunes ont tous choisi un nom d’emprunt pour garantir la confidentialité de leur participation à l’enquête universitaire.

Contexte social

« Un des premiers aspects qui sont ressortis [des entrevues avec les participants de l’étude] est que le contexte social dans lequel vous êtes influence grandement votre expérience de la spiritualité », a souligné d’entrée de jeu Chantale Prévost. La planète s’enlise dans une crise climatique pendant que des scandales d’agressions sexuelles et des pratiques d’exclusion (liées à l’homosexualité ou aux personnes trans) ébranlent les institutions religieuses. « Ce contexte teinte votre expérience de la spiritualité. »

Un contexte qui résonne d’une multitude de façons auprès des jeunes et qui donne une couleur particulière à leur quête spirituelle. Pour Nabuchodonosor, celle-ci est intimement liée à son désir de justice sociale. « Pour moi, c’est être capable de prendre position pour les plus pauvres, pour les opprimés, pour les poqués. » Cacao, elle, parle plutôt de symbiose. « La spiritualité, c’est l’union avec la Terre, la nature, l’univers et le cosmos. Et d’être conscients que nous ne sommes qu’un. »

Quant à Marie, elle perçoit sa vie spirituelle comme étant indissociable de son militantisme politique. « C’est ce qui me guide dans mes décisions, dans comment je vois le monde et comment j’interagis avec les autres. » Pseudo Nyme, une personne trans, a présenté sa spiritualité comme étant un axe central de sa vie, mais qui cohabite avec d’autres éléments fondamentaux. « Mon genre fait partie de mon identité et ma foi fait partie de mon identité. Il n’y a pas une partie qui est plus importante que l’autre, elles s’imbriquent l’une dans l’autre. »

Les expériences sont donc multiples, et surtout, le désir de prendre soin de sa vie intérieure, bien présent. « J’ai soif de spiritualité », a lâché Marcellin, qui a déploré qu’en rejetant les institutions religieuses, les Québécois se soient aussi débarrassés de « ce qu’il y avait à l’intérieur ». Or, il faut séparer les institutions de la spiritualité ou de la foi, a fait valoir Moïse. « L’institution représente la foi, mais elle n’est pas la foi. »

Les liens au lieu des institutions

Désormais, les relations humaines et les communautés qui en découlent sont les lieux privilégiés où les jeunes peuvent s’exprimer sur leur spiritualité, une place qu’occupaient auparavant les institutions religieuses, a noté la chercheuse Chantale Prévost. « C’est important de pouvoir vivre notre vie spirituelle avec d’autres gens qui peuvent la partager et la comprendre. Au bout du compte, la beauté de l’être humain, c’est sa capacité à entrer en relation avec l’autre », a souligné Nabuchodonosor. Pour Marcellin, les mots « relations » et « amour » vont de pair. « Dans la spiritualité, il faut avoir une relation avec soi, avec les autres, avec notre environnement et avec Dieu. »

Une vision des relations humaines que Marie a poussée encore plus loin. « C’est vraiment important dans mes valeurs, dans ma cohérence interne, de prendre soin des autres, de créer des liens, d’être vulnérable avec les autres, de vivre des expériences avec les autres, a-t-elle dit. Je ne crois pas en Dieu, mais je crois dans les gens. C’est ce qui me rend heureuse. C’est ça qui me fait avancer. »

Parfois, ces communautés sont clairement définies, comme pour Moïse, qui a participé aux Journées mondiales de la jeunesse, organisées par l’Église catholique, à Lisbonne l’été dernier. « Je n’avais jamais vu ça, autant d’amour, de paix, de joie. […] Croire sans communauté, c’est vraiment très abstrait, j’ai envie de dire que ça n’existe pas. »

Mais pour Cacao, qui ne s’identifie pas à un courant religieux ou spirituel en particulier, ces communautés sont plus fluides. « Je suis un être spirituel », résume-t-elle, en se disant ouverte à divers courants. « Je fais tous types de rituels : des rituels africains, autochtones, je vais à l’église des fois, pour moi c’est libre », explique-t-elle en indiquant avoir acquis le statut de « cérémonialiste qui transmet le savoir maya ».

Pratiques multiples

En tout, une cinquantaine de pratiques ont été nommées par les 216 participants à l’étude sur la spiritualité, a souligné Chantale Prévost. Ces pratiques vont des rituels appartenant à un courant religieux précis à des démarches plus personnelles, comme avoir un petit temple chez soi, exercer un art ou un sport, ou encore faire des « pratiques du soi » — de plus en plus répandues —, comme la méditation ou l’introspection.

« Le facteur commun de toutes ces pratiques, c’est le temps, a fait valoir Moïse. C’est de prendre un moment dans la journée ou dans la semaine pour s’arrêter, [que ce soit] pour prier ou pour danser. C’est de se donner du temps pour avoir une relation intérieure. » La spiritualité, c’est donc peut-être simplement de s’octroyer une pause avec soi-même, peu importe la forme qu’elle prend ou la réflexion à laquelle elle mène.

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