Les barbares de la spiritualité

Pâques advenant, les rédactions du Royaume se donnèrent du mal pour trouver des sujets de saison. Ainsi, la radio RTBF Première parla cette année, le Jeudi saint, des moindres ventes de chocolat belge, la fête des cloches tombant hors vacances scolaires. Le lendemain, La Une télévision interrogea la pratique consistant à ne pas manger de viande le vendredi et l’effet commercial de cette tradition sur les poissonniers. C’est donc par le biais du négoce de la nourriture que nos médias publics choisirent d’aborder l’enjeu spirituel de la principale fête du calendrier chrétien. Il y eut, bien entendu, ensuite la Messe pascale et la bénédiction Urbi et Orbidu Pape, mais cela fait partie des “marronniers” de la presse, ces passages obligés de l’info. Je ne cherche pas ici à blâmer les médias. D’abord, nous ne vivons plus en chrétienté et il est normal que les journalistes respectent une certaine neutralité religieuse. Ensuite, le lien entre religion et alimentation est non dénué de symbolique.

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Il faut transformer l’individu en docile et zélé consommateur

Il n’empêche, la presse reflète la société. Et l’approche de Pâques par le biais de l’anecdotique, illustre le malaise de nos contemporains par rapport à l’enjeu spirituel de cette fête – célébration d’une Vie divine plus forte que nos morts. Aujourd’hui, la religion dominante est le culte de la consommation. Les centres commerciaux en sont les cathédrales. Les soldes et black Friday font office de fêtes d’obligation. Le marketing se veut catéchisme. La publicité fait œuvre d’évangélisation. Nous sommes tous immergés dans les dogmes sociaux du capitalisme, qui apportent confort et abondance, mais relèguent l’enjeu spirituel aux marges de l’espace public. Même l’intériorité humaine est travestie par le marché en produit commercial, soit la maximalisation du wellness psychologique. Ce déni du spirituel n’est pas dû à de l’hostilité. Il s’explique par la logique marchande. En effet, pour transformer l’individu en docile et zélé consommateur, il est approprié d’anesthésier sa recherche spirituelle, car celle-ci donne de comprendre que “l’homme ne vit pas que de pain” (Matthieu 4,4). L’homme vivant une authentique intériorité, est un agent économique récalcitrant, se contentant du nécessaire pour se concentrer sur l’essentiel. Pour augmenter le Produit National Brut d’une nation, il s’agit donc de distraire ses citoyens de la Poursuite Nécessaire de Bonheur.

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Nous envoyons des hommes sur la lune, mais avons désappris à regarder en nous-mêmes.

En matière de spiritualité, l’Occident est de la sorte devenu barbare. “Barbare” est un terme jadis utilisé par les Grecs et les Romains pour désigner ces peuples privés de civilisation. Le triomphe du capitalisme a pour corollaire qu’une majorité de nos contemporains reste analphabète en ce qui concerne la vie intérieure. Nous envoyons des hommes sur la lune, mais avons désappris à regarder en nous-mêmes. “Pas le temps. Pour gagner sa vie, il faut être performants. Et pour les loisirs, profiter de chaque instant”. Ballotés entre travail intensif et divertissements tous azimuts, nos cerveaux sont sollicités comme jamais, sauf pour se poser la question essentielle : “quel est le sens de cette vie ?”

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Pourtant, la soif spirituelle reste brûlante

Et pourtant, la soif spirituelle reste brûlante. Peu avant Pâques, j’animais une célébration dans un collège liégeois : quand j’invitai plus de 800 élèves à faire silence, pas une mouche ne se fit entendre. De même, le nombre de jeunes adultes assistant aux offices de la semaine sainte, augmente chaque année. Enfin, les catéchumènes qui se firent baptiser durant la Vigile de la Résurrection, avaient des looks bien divers, mais un même désir d’authenticité spirituelle. Par une formule choc, le bienheureux Frédéric Ozanam (1813-1853), fondateur des sociétés Saint-Vincent-de-Paul, invita les chrétiens de son époque – plutôt que de se réfugier dans la nostalgie résignée – à témoigner de l’Évangile auprès de ceux qui en étaient éloignés : “passons aux barbares !”

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