La spiritualité du prêtre, mourir pour faire vivre

La vocation du prêtre est d’être époux de l’Église, et son amour “va toujours en renonçant”, confie le père Luc de Bellescize. Ainsi se comprend sa juste mesure dans ses relations pour enfanter les âmes dans la vie de Dieu.

Un jour, une petite fille du catéchisme s’est plantée devant moi et m’a dit droit dans les yeux, du haut de ses 1 mètre 20 : « Toi, t’es pas vraiment un homme. » Je lui ai donc demandé : « Qui suis-je, alors ? Un ange ? » Là elle m’a répondu immédiatement : « Ah non, c’est sûr que non. » D’un naturel plutôt incarné, je me suis réjoui que la vérité sorte de la bouche des enfants. « Alors est-ce que je suis une femme ? », ai-je repris. La petite fille a réfléchi un peu plus longtemps et m’a répondu : « Non », en tournant la tête, à mon grand soulagement, n’étant pas spécialement efféminé ni porté sur les délires woke. Alors j’ai fini par lui demander : « Qu’est-ce que je suis alors, si je ne suis ni un homme, ni un ange, ni une femme ? » Elle m’a répondu comme si c’était une évidence : « Ben, t’es prêtre ! »

Renoncer au mariage

Qu’est-ce qu’un prêtre, pour une société paganisée ou « postchrétienne » ? Pour un monde sans Dieu où l’argent, la consommation et le plaisir sexuel sont érigés en idoles d’une vie réussie, le prêtre catholique français, célibataire qui ne touche même pas le SMIC, cinq fois moins qu’un curé en Suisse, dix fois moins qu’un évêque « synodal » allemand est généralement suspect. Au mieux, se disent les gens, il a une double-vie, du moins s’il est « normal », car il semble acquis qu’un individu en bonne santé ne puisse se passer d’une vie sexuelle active. Au pire, c’est un être asexué étrange, une sorte d’hermaphrodite, un refoulé qui cache sa tendance par convention sociale ou morale religieuse, ou un pervers attiré par les enfants de chœur. Le rapport de la Ciase, quelles que soient les critiques légitimes et fondées qui lui ont été adressés, notamment par l’Académie catholique, a eu le mérite de contribuer à un assainissement et à une prise de conscience dans l’Église, même si son retentissement médiatique a inévitablement contribué à l’universelle méfiance vis-à-vis du sacerdoce catholique.  

Il est nécessaire qu’un homme qui désire être prêtre renonce, sinon dans les faits, en quittant celle qu’il aime, du moins en esprit, à la vocation au mariage inscrite en sa chair. Peu à peu, avec la grâce et la miséricorde, il pourra transformer cette force vitale en ardeur apostolique en vue du Royaume. 

La tempête du buzz est depuis longtemps passée. Le monde de la « com’ » est ainsi. Il s’enfle comme la grenouille qui veut se faire plus grosse que le bœuf puis se dégonfle tel une baudruche gonflée d’hélium. Il s’affole comme une mouche à viande dans un bocal et change rapidement de proie. Il était heureux et urgent que l’Église revoie ses pratiques concernant le traitement des cas de prêtres abuseurs et veille avec le plus grand soin à l’équilibre des candidats au sacerdoce, lequel demeure toujours fragile dans une société ultra-érotisée. La prêtrise n’est pas un refuge pour des hommes à la misanthropie pathologique, à la misogynie grossière ou à la sexualité déviante. Elle n’est pas non plus un espace d’épanouissement, « entre hommes », pour des homosexuels pratiquants. Il est nécessaire qu’un homme qui désire être prêtre renonce, sinon dans les faits, en quittant celle qu’il aime, du moins en esprit, à la vocation au mariage inscrite en sa chair. Peu à peu, avec la grâce et la miséricorde, il pourra transformer cette force vitale en ardeur apostolique en vue du Royaume. 

Juste distance et juste proximité

Si un candidat au sacerdoce est incapable de vivre la paternité dans la chair, il éprouvera une grande difficulté à la signifier spirituellement dans un rapport sponsal à l’Église. « La grâce agit sur la nature mais ne la remplace pas » dit l’adage. Il ne faudrait ordonner que des hommes qui auraient pu être de bons pères de famille, capables de s’ouvrir à l’altérité d’une femme, aptes à exercer leur responsabilité dans l’accueil de la vie. Le prêtre est « père » car il contribue à l’enfantement des âmes à la vie de Dieu, mais seulement dans la mesure où il est d’abord « époux » de l’Église, manifestée dans la communauté à laquelle il est envoyé. Cette paternité spirituelle, qui est aussi faite de tendresse et de chaleur humaine — « N’ayez pas peur de la tendresse » dit le pape François — est juste et bonne dans la mesure où elle est vécue avec une claire distance, une claire proximité envers ceux que l’Église lui confie. Cet ajustement permanent participe de la vertu de chasteté. 

Il n’est jamais évident de trouver la juste mesure dans la relation. Un jeune prêtre mettra du temps pour l’acquérir et risque de faire des erreurs, parfois sans s’en rendre compte. Elle requiert une lutte contre ses attachements désordonnés, ses « coups de cœur », ses passions soudaines. « Pour être dévot je n’en suis pas moins homme » disait le Tartuffe de Molière… Malheur à ceux qui l’oublient et « spiritualisent » trop vite les relations. On commence par « Je crois en Dieu » et on finit par « la résurrection de la chair »… Les évêques ont raison, en tout cas dans mon diocèse, d’interdire aux jeunes prêtres de devenir trop vite « pères spirituels ». Il y a de grands dangers à accompagner les âmes sans une longue expérience, une profonde humilité et la lucidité suffisante pour repérer les pièges. 

La « garde du cœur »

Le prêtre doit garder conscience qu’un seul est Père — « Notre Père qui es au Cieux » — et qu’il est un pont et un passage vers le Royaume. Elle demeure magnifique dans sa simplicité, la parole du saint curé d’Arsau petit Antoine Givre : « Tu m’as montré le chemin d’Ars, je te montrerai le chemin du Ciel. » Toute la spiritualité sacerdotale est là. La chasteté est d’abord spirituelle. Elle requiert l’exercice constant de la « garde du cœur ». Elle évitera rarement les erreurs, les chutes parfois, les relèvements, et ne pourra faire l’impasse de la Croix. Le prêtre aime en renonçant toujours. C’est toute sa beauté et sa joie. C’est toute sa peine aussi. Diminuer pour faire grandir. Mourir pour faire vivre. 

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Priest Mass Godong

La spiritualité du prêtre, mourir pour faire vivre