Abdennour Bidar, philosophe : « Faisons de l’interdiction de l’abaya une opportunité spirituelle »

En cette rentrée où l’islam s’invite à nouveau au premier plan de l’actualité, avec l’interdiction scolaire prononcée contre l’abaya et le qamis, la dimension spirituelle et éthique du sujet n’a pas été abordée : on a débattu de la nature culturelle ou religieuse de ces vêtements, du caractère politique de cette mesure, de son impact sociétal, de son statut juridiquement recevable ou discriminatoire, mais on n’est pas allé au-delà de ces habituelles discussions.

Par cette tribune, c’est ce que je voudrais faire en me demandant, en ma qualité d’intellectuel de culture musulmane, ce que mes coreligionnaires peuvent en tirer de plus profond, c’est-à-dire là aussi au-delà des réflexes ordinaires, notamment celui de crier à la stigmatisation.

Certes, je comprends l’émoi du côté musulman, qui se sent visé une fois de plus, et je déplore que le malentendu persiste des deux côtés, entre l’islam et la France, ce qui ne pourra être dépassé que si des efforts de compréhension sont faits des deux côtés.

Rien n’empêche, en France, de cultiver son intériorité croyante

C’est pour inviter à dépasser cet émoi que je propose la question suivante, qui pourra surprendre de prime abord : à quel exercice spirituel les musulmans de France peuvent-ils s’en remettre cette fois-ci, comme à chaque occasion où la laïcité fixe une limite à l’expression publique de la foi ? Comment donc transformer une circonstance apparemment contraire, et qui choque bien des musulmans, en opportunité spirituelle ?

L’idée semblera étrange sans doute et sera jugée irrecevable par certains, mais elle est pourtant tout à fait fondée. Car il y a là, assurément, l’occasion pour les musulmans de voir dans cet empêchement extérieur le rappel que la foi est affaire intérieure, qu’elle ne se porte pas essentiellement sur le vêtement ni au-dehors mais se vit et s’exprime au-dedans, dans l’intime de l’âme et du cœur, lieu de la relation personnelle et secrète au divin.

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Or, rien aujourd’hui, en France, absolument rien, n’empêche ainsi le musulman de cultiver son intériorité croyante, et hors de soi, rien ne l’empêche non plus de pratiquer son culte dans les mosquées ni d’extérioriser sa foi dans ce qui est la plus sublime de ses manifestations : le « bon comportement », les « nobles qualités » (Makârim-al-Akhlâq) dont l’islam trouve le modèle dans la figure du Prophète.

Etat de l’éducation religieuse dans les familles musulmanes

Voilà sur quoi l’éducation religieuse doit ou devrait se concentrer, et voilà à quoi cette mesure d’interdiction devrait nous engager, nous musulmans : à transmettre à nos enfants d’abord et avant tout le sens de l’intériorité, en leur apprenant par exemple que notre tradition spirituelle n’a pas attendu que l’Etat français parle de « signe ostensible », mais que notre tradition spirituelle enseigne depuis des siècles à se défier d’une foi qui, voulant trop s’afficher, prend alors le risque de la superficialité, voire du manque de sincérité et de l’hypocrisie ; à transmettre également le sens de l’excellence des qualités morales universelles, que l’islam promeut − quand il est éclairé – au même titre que les autres grandes cultures et civilisations de la planète.

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