Bruno Cassette, sous

Les Nouvelles Publications : Tourisme et économie, est-ce que ça rime sur l’arrondissement d’Aix-en-Provence ?

Bruno Cassette :La réponse est clairement oui. Avec l’agriculture et l’aéronautique, le tourisme est un secteur à forte valeur ajoutée. Les études montrent qu’il contribue aujourd’hui à 15 % de la production de richesses au niveau départemental. Nous sommes sur une terre privilégiée, que ce soit sur le plan de la météorologie, de la qualité de vie, de la gastronomie ou des loisirs, avec une offre d’hébergements très large (15 000 lits environ).

De fait, le secteur touristique contribue nettement au développement économique du territoire. Il est un gros pourvoyeur d’emplois et de croissance pour l’économie locale. C’est naturellement un territoire qui a souffert, de ce point de vue, de la crise sanitaire et de l’absence de touristes étrangers. Mais cette période a aussi été un catalyseur de problèmes plus profonds et de la nécessité d’y apporter des solutions pérennes.

C’est-à-dire ?

Si le secteur des hôtels, cafés et restaurants, connaît aujourd’hui de réelles difficultés de recrutement, c’est naturellement une conséquence de la crise sanitaire, mais c’est sans doute aussi en raison d’une situation antérieure un peu dégradée dans la prise en compte de la situation et la considération professionnelle des salariés. Cette période permet un rééquilibrage qui sera salutaire, j’en suis sûr, pour l’avenir et le développement de ce secteur. J’en veux pour preuve qu’avec Pôle emploi, les missions locales, le Centre de formation d’apprentis (CFA) du Pays d’Aix, nous travaillons à la mise en place de formations innovantes pour susciter des vocations parmi les jeunes et proposer des offres d’emploi de qualité dans les établissements de l’arrondissement.

En parallèle, le contexte international oblige à réfléchir à de nouvelles stratégies de séduction des touristes étrangers. Je veux saluer à cet égard le travail de qualité réalisé par les offices de tourisme du territoire. Ces démarches sont également utiles pour renforcer notre attractivité et je suis convaincu que, très rapidement, les touristes étrangers seront au rendez-vous. D’ailleurs, la clientèle américaine a été de retour cet été. C’est un bon indicateur de cette dynamique de reprise. Mais nous avons encore beaucoup de richesses, liées au tourisme, à valoriser.

Bruno Cassette lors de sa rencontre avec les Femmes Chefs d’Entreprises du Pays d’Aix (FCE Aix), au Centre international des arts en mouvement (Ciam) d’Aix-en-Provence. (Crédit photo : M. Debette)

Quelles sont ces richesses ?

Je pense notamment à nos patrimoines naturels, industriels ou intellectuels. Je pense à des exemples aussi différents que la montagne Sainte-Victoire, le Technopôle de l’Arbois ou nos formations universitaires comme Sciences Po Aix, les Arts et métiers ou la faculté de droit et de science politique. Ce sont des lieux et des atouts que nous pourrions davantage valoriser. Cela ne signifie pas pour autant qu’il faille rechercher un développement à outrance, mais ces actions pour un plus grand rayonnement méritent d’être envisagées.

Notre attractivité repose aussi sur notre offre de soins ou de productions artisanales. Notre territoire regroupe de nombreux établissements de très grande qualité dans ces deux secteurs. Nous pourrions aussi évoquer l’ensemble des professions judiciaires qui font d’Aix-en-Provence la ville de la justice et du droit.

Ces atouts pourraient donc être plus valorisés, organisés et structurés, non seulement pour renforcer le tourisme, mais aussi pour attirer à nous de nombreux talents. Plus qu’une étape touristique, l’arrondissement d’Aix-en-Provence doit devenir une destination de vie, y compris pour notre tissu économique et industriel.

Quelle pourrait être la démarche ?

Notre marque territoriale est la Provence. C’est un nom que portent plusieurs de nos communes. Ce nom est devenu une marque mondiale. En structurant les démarches de promotion de notre territoire, nous pourrons aussi corriger les effets de certaines de ses fragilités, comme le prix du foncier qui rend ce territoire de plus en plus hermétique, ou les effets du réchauffement climatique.

Si le secteur touristique est bien organisé, avec des acteurs très mobilisés, d’autres secteurs ne sont pas encore à ce niveau. Pour cela, il faut réunir les parties prenantes afin d’atteindre une masse critique qui apportera une visibilité, une lisibilité et donc une notoriété. Pourquoi les gens viennent-ils s’installer ici ? Parce qu’il y fait bon vivre. Ce n’est pas seulement du tourisme, c’est aussi de l’attractivité.

Quels enjeux gravitent autour de l’un et l’autre ?

De manière simplifiée, le tourisme cherche à attirer des visiteurs ponctuels dans nos hôtels et sur les sites touristiques. L’attractivité cherche à attirer, et à conserver, des talents pour contribuer au développement et au rayonnement du territoire. En cela, l’attractivité recherche des investisseurs. La santé, l’enseignement supérieur, la sécurité ne sont pas des domaines qui intéressent le tourisme. En revanche, ils sont des domaines clés de l’attractivité.

La montagne Sainte-Victoire permet une autre comparaison. Elle est en quelque sorte « notre phare ». C’est un lieu magique qui attire des gens du monde entier. Il suffit de la regarder pour tomber sous son charme. Mais la Sainte-Victoire, c’est aussi un emblème de la Provence. Son trait apparaît dans de nombreux logos. Elle a vocation, de fait, à être aussi un objet s’inscrivant dans notre stratégie d’attractivité.

La question est donc de savoir quel est le projet que nous voulons pour la Sainte-Victoire. Avec le président du Grand Site Concors Sainte-Victoire, Olivier Frégéac, maire de Peyrolles-en-Provence, et ses équipes, nous avons engagé un travail de réflexion autour d’un certain nombre d’interrogations stratégiques.

Bruno Cassette était précédemment Directeur général des services (DGS) de la Métropole européenne de Lille. (Crédit photo : M. Debette)

Quelles sont ces questions ?

Il y en a plusieurs. La première concerne l’accessibilité du site. Actuellement, la montagne n’est interdite que lorsque le risque feu de forêt est le plus élevé. Faut-il rendre le site inaccessible à d’autres périodes de l’année, pour préserver, par exemple, la faune et la flore ? La seconde question est de savoir si on veut attirer des touristes ou au contraire favoriser les visiteurs locaux, en sachant que trois quarts des visiteurs de la Sainte-Victoire habitent le territoire.

Troisième interrogation : comment faire évoluer l’accès au site ? Quelle doit être la part du transport collectif, des parkings ? Autre question, celle relative aux activités que l’on peut y pratiquer. Faut-il en restreindre certaines pour en préserver d’autres ? Mais il y en a encore beaucoup d’autres, comme celle relative à la spiritualité de ce site qui porte un nom particulier. Comment traduire cette spiritualité ou comment valoriser ce site en développant une stratégie de souvenirs ?

Il y a donc de la matière pour réfléchir et pour rendre la marque « Sainte-Victoire » plus décisive encore pour notre territoire.

Quelle serait votre réponse ?

Une grande partie des réponses existe à travers le label « Grand Site de France », dont l’attribution a nécessité de très nombreuses contributions. Il faut féliciter ces équipes qui ont su mettre ce site en valeur. Malheureusement, tout ce travail est assez peu connu du grand public. Nous avons le désir d’en améliorer la visibilité.

Mais il y a aussi des choses à inventer. Aujourd’hui, je vous mets au défi de trouver un tee-shirt « J’ai gravi la Sainte-Victoire » en vente libre ou une bougie ou un quelconque souvenir. Ces objets pourraient contribuer à alimenter un fonds pour investir, protéger, préserver et valoriser le site. Nous pourrions également imaginer une véritable Maison de la Sainte-Victoire.

Elle doit être gérée comme une montagne. Chacun connaît cette célèbre statue sur la place du village de Chamonix où un guide montre à son client le haut du mont Blanc. Au centre d’Aix-en-Provence, vous voyez la Sainte-Victoire et cela vous donne l’envie d’y monter. Mais il n’y a pas d’indication autour de vous. Il faut en quelque sorte amener la Sainte-Victoire au cœur de la cité. C’est la raison pour laquelle j’ai appelé de mes vœux qu’elle devienne un projet pour le territoire.

Nous avons aussi la réserve naturelle, qui est un des plus grands sites paléontologiques du monde aujourd’hui. S’y retrouvent des chercheurs du monde entier. Qui le sait ? On pourrait facilement en faire un « Jurassic Park » de référence. Cela fait également partie des réflexions autour du projet. Je suis convaincu que lorsque nous serons arrivés au terme de nos réflexions, la question de la sur-fréquentation ne sera plus abordée de la même manière.

Ce projet fait-il partie de vos attributions ?

Je considère que tout ce qui a trait au développement de l’arrondissement d’Aix-en-Provence relève de mes attributions. C’est d’ailleurs une de mes missions principales. Par ailleurs, quand je suis appelé le dimanche pour une intervention des gendarmes, afin de faciliter la circulation des sapeurs-pompiers sur les routes d’accès à la Sainte-Victoire, je suis de facto associé. Je pense que nous devons aborder le problème en traitant les causes et non les conséquences, d’où ma mobilisation pour faire émerger un projet.

Au-delà de la Sainte-Victoire, il y a un réel potentiel de développement sur le territoire, et en particulier dans le domaine artistique. Tous les arts y sont représentés. Malheureusement, les connexions entre les uns et les autres sont encore trop faibles, alors que nous pourrions avoir une bien meilleure synergie aujourd’hui. C’est aussi mon rôle que de faire en sorte que des liens apparaissent et se renforcent entre les différents secteurs et acteurs du territoire.

Ainsi, depuis plus d’un an, j’ai contribué à la mise en réseau des grands acteurs culturels de l’arrondissement. L’objectif est de renforcer leurs collaborations et leurs visibilités. Nous y évoquons des idées pour accroître la convergence des programmations. A titre d’exemple, nous avons imaginé de travailler avec un pays hôte autour duquel l’ensemble de ces acteurs définirait leur programmation. L’art serait ainsi au service du rayonnement international du territoire.

Bruno Cassette, sur le site-mémorial du Camp des Milles le 27 janvier dernier, lors de la Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste. (Crédit photo : Préfecture des Bouches-du-Rhône)

Les arts figurent également parmi vos préoccupations ?

Le sous-préfet d’Aix-en-Provence ne peut se désintéresser des questions culturelles compte tenu de l’importance de ce secteur ici. Je le fais d’autant plus volontiers que cela me passionne. Je dialogue régulièrement avec les acteurs du monde de la culture, qui sont tous exceptionnels. Ce sont des personnalités qui ont des convictions, des engagements et sont à la source de véritables innovations. Aussi, j’essaye de leur apporter un soutien concret. C’est ainsi qu’en un peu plus d’un an et demi, j’ai pu mobiliser plus d’un million et demi d’euros au profit de leurs structures et manifestations.

J’ai également proposé que l’on crée un « Club affaires culture » pour rapprocher les milieux économiques des acteurs culturels. Nous travaillons actuellement à la création de ce club qui, je l’espère, saura répondre à la recherche de mécènes dont la culture a tant besoin. Nous avons aussi à travailler à la diversification des publics et créer ainsi des passerelles. En effet, les publics des différentes manifestations ne se mélangent pas nécessairement, et certains d’entre eux sont plutôt âgés. C’est une fragilité qui doit se corriger par la mise en place de stratégies d’échange de publics par exemple. C’est un sujet majeur pour l’avenir de nos événements.

D’autres initiatives se mettent en place comme la mobilisation des entreprises de la French Tech au profit du développement digital des manifestations et des structures culturelles. Cela aussi fait partie de cette stratégie d’attractivité du territoire en mettant en relation nos acteurs clefs.

Quelle est la place de l’hôtellerie ?

Comme je l’ai dit, l’hôtellerie occupe une place très importante. Le Club des hôteliers d’Aix-en-Provence et du pays d’Aix est un acteur majeur du territoire. Dans la perspective de la réouverture des établissements qui avaient été fermés en France au début de l’année 2021, j’ai réuni à la sous-préfecture les principaux hôteliers du territoire pour les aider dans la bonne application des mesures de précaution sanitaire en direction de leur clientèle, dont une partie était étrangère.

A cette occasion, ils m’ont confié le regret de ne pas pouvoir garder leurs clients plus de trois jours car, au-delà disaient-ils, ces derniers avaient le sentiment d’avoir tout vu. Il faut donc se mobiliser contre cette perception et donner plus à voir du territoire. Pour cela, nous devons renforcer notre connaissance mutuelle et apporter à des acteurs, comme les concierges des hôtels ou les chauffeurs de taxi, les informations qui leur permettront de mieux valoriser ce que nous avons à offrir. C’est d’autant plus stratégique que les clients des hôtels de luxe ne sont pas seulement des touristes, ils sont aussi des investisseurs potentiels.

Autre exemple, dans les vitrines des entrées d’hôtel, plutôt que de proposer classiquement des bagues ou des montres qu’on trouve partout, nous pourrions mettre en avant des produits qui sont issus du savoir-faire des entreprises du territoire. Je suis sûr que cela intéresserait leurs clients. Etre un territoire touristique est une force, en particulier si l’ensemble de ses acteurs en ont conscience et sont organisés pour en promouvoir les atouts.

Bruno Cassette (au premier rang, 3e en partant de la gauche) lors du lancement du Plan de relance. (Crédit photo : M. Debette)

En mai dernier, vous avez organisé la « Soirée des ambassadeurs de Provence ». Pourquoi ?

Sous l’impulsion du préfet de région, Christophe Mirmand, j’ai en effet créé la marque « Ambassadeurs de Provence ». L’objectif de cette identité était d’abord de recenser tous les acteurs du territoire qui contribuent à son rayonnement au-delà des frontières départementales. Plus de 300 le sont aujourd’hui.

Très classiquement, ces acteurs ne se connaissent pas en dehors de leur propre secteur d’activités. Les réunir avait donc comme premier objectif de leur permettre de s’identifier et de découvrir la grande richesse de l’arrondissement, tant sur le plan humain que sur celui des savoir-faire et de l’innovation. Le second est de créer les conditions de la rencontre pour favoriser les échanges et les coopérations. Le but est de leur permettre de travailler ensemble, et surtout de grandir ensemble.

C’est ainsi qu’en mai dernier, nous avons organisé la première « Soirée des ambassadeurs » à la Villa La Coste au Puy-Sainte-Réparade, à l’invitation de Patrick et Mara McKillen, et lancé cette dynamique collective. Beaucoup de ces Ambassadeurs de Provence ont été surpris de découvrir les pépites de notre territoire et les contacts qu’ils ont pu ainsi nouer. Cette initiative était aussi nécessaire pour renforcer l’attractivité du territoire et, à ce titre, je suis heureux, en tant que représentant de l’Etat, avec les agents de la sous-préfecture, de l’avoir lancée. Une prochaine rencontre est prévue avant la fin de l’année. Si certains ont le sentiment de contribuer à ce mouvement, qu’ils n’hésitent pas à nous contacter !

Aix-en-Provence, « un arrondissement exigeant, mais passionnant ! »

L’arrondissement d’Aix-en-Provence est l’un des quatre qui forment, du point de vue de l’organisation de l’Etat, le département des Bouches-du-Rhône. « Cet arrondissement se situe au nord-est du département et s’inscrit dans une forme de trapèze inversé long de 60 km et large de 30 km. C’est donc un territoire qui s’étend sur 1 800 km2 environ et qui compte aujourd’hui quelque 470 000 habitants répartis sur 48 communes dont celle d’Aix-en-Provence, deuxième ville du département, et de Salon-de-Provence. A ce titre, il est le cinquième plus grand arrondissement de France », détaille le sous-préfet Bruno Cassette.

Cet arrondissement a été créé en 1800 par Napoléon, ainsi que la charge de sous-préfet. « Si les recherches historiques sont exactes, je suis le 72e sous-préfet de cet arrondissement », précise Bruno Cassette. Avant de poursuivre : « Il réunit tous les grands enjeux perceptibles aujourd’hui dans le pays, avec la vallée de l’énergie qui relie la centrale thermique de Gardanne au projet de recherche ITER [International Thermonuclear Experimental Reactor, NDLR] de fusion thermonucléaire, les enjeux environnementaux et écologiques autour de la Sainte-Victoire (plus de 80 % du territoire de l’arrondissement se situe en zone naturelle ou agricole), d’innovations technologiques avec ses différents pôles de recherche et industriels comme le Technopôle de l’Arbois ou le pôle de compétitivité mondial de Rousset sur la microélectronique, la formation universitaire de haut niveau, mais aussi la culture et le sport, sans oublier la présence militaire avec le lycée d’Aix-en-Provence et la base aérienne 701 de Salon-de-Provence, qui abrite l’école de l’air et de l’espace, ainsi que la célèbre patrouille de France. Bref, un arrondissement exigeant mais passionnant ! »

Bruno Cassette, sous-préfet d’Aix-en-Provence : « Etre un territoire touristique est une force »