14 livres pour changer notre rapport au vivant

• « Nous ne sommes pas seuls », Léna Balaud et Antoine Chopot

Dans cet essai stimulant, les deux jeunes autrice et auteur nous invitent à décentrer le regard dans nos luttes et à quitter toute forme d’anthropocentrisme. Face aux ravages causés par le capitalisme, nous ne sommes pas les uniques acteurs du changement que nous souhaitons voir advenir. « Des alliances terrestres » doivent se tisser avec les espèces végétales et animales, écrivent-ils. Certaines ont déjà cours.

En Argentine, des paysans disséminent des graines d’amarante dans les monocultures d’OGM pour saboter les rendements. En France, à Orléans, face à un projet de route qui traverserait la Loire, des naturalistes aident à installer un couple de balbuzards pêcheurs (Pandion haliaetus) en lieu et place du chantier pour bloquer les travaux. En Asie centrale, des communautés kirghizes se libèrent de la mainmise de l’État en greffant en secret une forêt fruitière et en reprenant en main leurs moyens de subsistance. « Nos alliés sont multiformes, considérablement plus nombreux et divers que ce que notre imagination laisse entrevoir. Il s’agit non pas de les fantasmer mais d’apprendre à mieux les connaître, à les rencontrer, à les défendre, à les amplifier et à les associer à nos combats. » En clair, nos soulèvements doivent devenir « terrestres », estiment l’autrice et l’auteur pour ouvrir enfin la voie à un « communisme interspécifique ». Vivants de toutes les espèces, unissez-vous !

Nous ne sommes pas seuls, de Léna Balaud et Antoine Chopot, aux éditions du Seuil, mars 2021, 432 p., 21,50 euros.

• « Croire aux fauves », Nastassja Martin

Nastassja Martin, jeune anthropologue, a la mâchoire fracturée et la jambe déchiquetée par un ours qu’elle a rencontré loin du camp de chasse tenu par les Évènes, une ethnie de l’Extrême-orient russe qu’elle étudie. Cet affrontement lui a laissé des traces. Physiques tout d’abord — on suit sa convalescence dans un lugubre dispensaire dans son jus soviétique et dans les couloirs de l’hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière. Mais surtout spirituelles : elle est devenue une « miedka » plus tout à fait humaine, pas encore animale. La jeune femme livre un récit, à mi-chemin entre le journal intime et l’analyse anthropologique. Une prose intérieure singulière portée par une écriture puissante et parfois exigeante qui nous pousse à abolir la séparation entre humanité et animalité. Et qui chamboule nos certitudes sur les frontières entre rêve et réalité.

Croire aux fauves, de Nastassja Martin, aux éditions Gallimard, octobre 2019, 152 p., 14,50 euros.

• « Le poids du papillon », Erri De Luca

Un homme, une montagne, et la traque du roi des chamois. Dans Le poids du papillon, Erri De Luca arpente ses Alpes familières, suivant un chasseur, un braconnier qui cherche à abattre un chamois extraordinaire. L’homme et l’animal savent tous deux qu’ils ont atteint l’automne de leurs jours. Et la neige tombe déjà sur ces cimes italiennes, où les échos des révoltes passées effleurent à peine l’épaisse couche de la vie propre aux sommets. Un livre aussi beau que court, écrit d’une plume à la puissance d’une avalanche.

Le poids du papillon, Erri De Luca, aux éditions Gallimard, novembre 2012, 96 p., 5,90 euros.

• « Le retour de Moby Dick », François Sarano

Saviez-vous qu’il existe plusieurs « langues » de cachalots ? Que ces mastodontes océaniques — les mâles peuvent atteindre 20 mètres de long et 50 tonnes — savent faire preuve de solidarité lorsque leurs pairs sont attaqués ? Que sous la surface des vagues ont lieu des rassemblements de plusieurs centaines de cétacés, parfois joueurs, curieux ou tendres ? C’est tout cela — et bien plus encore — que nous enseigne ce passionnant ouvrage écrit en 2017 par François Sarano. Convoquant tour à tour souvenirs de plongées et études scientifiques, l’océanographe nous entraîne dans l’univers fascinant de ces cétacés, dont la culture s’avère bien plus sophistiquée que ce qu’Herman Melville a pu, en son temps, imaginer. Chaque chapitre fragilise un peu plus nos illusions humaines de supériorité, et renforce notre empathie pour cette espèce méconnue. Quelques pages de plus, et on se sentirait presque pousser des nageoires.

Le retour de Moby Dick ou ce que les cachalots nous enseignent sur les océans et les hommes, de François Sarano, aux éditions Actes Sud, septembre 2017, 240 p., 24 euros.

• « Les portes de la perception animale », Benoit Grison

En 1934, le biologiste et philosophe allemand Jakob von Uexküll invitait ses pairs à imaginer « l’Umwelt » — c’est-à-dire l’univers sensoriel unique — des autres espèces qui peuplent la Terre. Comment les tiques, les chauves-souris et le reste du vivant perçoivent-ils le monde, s’interrogeait-il ? Le biologiste, sociologue des sciences et spécialiste des sciences cognitives Benoit Grison donne, dans cet ouvrage, quelques pistes de réponse. On y apprend que l’être humain n’a jamais accès qu’à une infime partie du monde ; que sa manière d’expérimenter la réalité n’est qu’une parmi des milliers d’autres. Les capacités olfactives du requin, par exemple, lui permettent de détecter l’équivalent de cinq cuillères à café de sang dans une piscine olympique d’eau salée. Les araignées filandières sont capables de chasser en écoutant les vibrations du corps de leurs proies sur une toile. Quant à la langouste de Cuba et la drosophile, elles peuvent s’orienter grâce au champ magnétique de la Terre. De quoi discréditer, estime l’auteur, « les prétentions de supériorité indues de notre espèce vis-à-vis du reste du monde animal ».

Les portes de la perception animale, de Benoit Grison, aux éditions Delachaux et Niestlé, mars 2021, 192 p., 22,90 euros.

• « Dans l’œil du crocodile », Val Plumwood

En février 1985, alors qu’elle faisait du canoë dans une lagune du parc australien de Kakadu, la philosophe écoféministe Val Plumwood fut attaquée par un crocodile. Contre toute attente, elle survécut à sa morsure. Elle a tiré de cette expérience un récit, publié pour la première fois en français fin 2021. Elle y raconte comment s’être retrouvée coincée entre des crocs a transformé sa vision de la place de notre espèce sur Terre. Exit les rêveries occidentales portant l’être humain au pinacle. Le voilà rappelé à sa condition de biomasse. « L’œil du crocodile, écrit-elle dans ce texte saisissant, me fit plonger dans ce que je considère désormais comme un univers parallèle, régi par des règles entièrement différentes : l’univers héraclitéen où tout coule, où nous vivons la mort de l’autre et vivons sa vie. »

Inachevé à la mort de la philosophe en 2008, ce texte a été complété par quatre essais ayant trait à notre rapport au vivant. Le tout dernier chapitre propose une réflexion captivante et poétique sur la manière dont le fait de concevoir nos corps comme de simples aliments pourrait changer notre compréhension de la mort. « La vie circule », écrit-elle, à travers notre chair consommée par d’autres membres de la communauté terrestre. Reconnaître que notre mort profite à d’autres formes de vie pourrait selon elle nous aider à accepter, voire honorer, « la dissolution de l’humain dans un flux plus qu’humain ».

Dans l’œil du crocodile, de Val Plumwood, aux éditions Wildproject, septembre 2021, 200 p., 20 euros.

• « Plurivers », Ashish Kothari, Ariel Salleh, Arturo Escobar, Federico Demaria et Alberto Acosta…

« Le monde que nous voulons est fait de beaucoup de mondes. » Cette phrase, énoncée par les zapatistes en 1996, définit un concept à rebours du développement industriel et technologique : le « plurivers ». Ce sujet donne son titre au volumineux Dictionnaire du post-développement, dont la traduction en français vient d’être publiée aux éditions Wildproject. Une centaine de contributions venues de toute la planète y écrivent, en substance, que d’autres mondes — et non un seul — sont possibles et souhaitables face à l’idéologie mortifère du « développement ».

Des agdals marocains — espaces pastoraux collectifs — à l’écocalendrier utilisé par les Taos, au large de Taïwan, pour ne pas surpêcher les poissons volants, de l’Ubuntu sud-africain, qui prône la convivialité entre tous les êtres vivants, au Bonheur national brut du Bhoutan, l’ouvrage nous fait connaître des philosophies et pratiques autochtones longtemps dévalorisées, mais qui permettent d’envisager d’autres manières de produire et de consommer. Autant d’alternatives enrichissantes, même si une question cruciale reste au terme de l’ouvrage : comment faire advenir tous ces mondes alors que le monde du développement est loin d’être mourant ?

Lire aussi : Des savoirs indigènes pour inventer de nouveaux mondes

Plurivers — Un dictionnaire du post‑développement, d’Ashish Kothari, Ariel Salleh, Arturo Escobar, Federico Demaria, Alberto Acosta et 124 autrices et auteurs, aux éditions Wildproject, septembre 2022, 550 p., 25 euros.

• « Autobiographie d’un poulpe », Vinciane Despret

Il est des livres qui, tel le poulpe, échappent à toute préhension. Le dernier ouvrage de Vinciane Despret est de ceux-là. Avec son Autobiographie d’un poulpe, la philosophe belge propose une aventure textuelle, au croisement de la science et de la fiction, de l’écologie et de la poésie.

Trois courts récits, à mi-chemin entre la description éthologique et la fable morale. Le premier évoque la poésie vibratoire des araignées, le deuxième la cosmologie fécale des wombats et le dernier la spiritualité des poulpes. Plus qu’un simple jeu littéraire, ces fictions nous invitent à un travail à mener sur soi et ses propres représentations. Car, à en croire l’autrice, notre société souffre d’une absence de sensibilité — visuelle, auditive, olfactive, etc. — envers toute expression d’un autre animal que nous. « C’est nous qui n’avons pas appris à lire la réponse des araignées », dit l’un des protagonistes.

Lire aussi : Apprendre le langage des animaux pour mieux cohabiter

Autobiographie d’un poulpe — et autres récits d’anticipation, de Vinciane Despret, aux éditions Actes Sud, avril 2021, 160 p., 20 euros.

• « Réveiller les esprits de la terre », Barbara Glowczewski

Le 24 juin 2018, la zad de Notre-Dame-des-Landes fut le théâtre d’un curieux événement, insolite dans ce bocage de l’ouest français. Nidala Barker, activiste aborigène venu tout droit d’Australie, y pratiqua un rite aborigène de fumigation auquel se prêta une quarantaine de personnes. Comment deux mondes a priori si différents ont-ils pu se rencontrer ? C’est l’objet de l’enquête de l’anthropologue française Barbara Glowczewski dans son dernier ouvrage. L’autrice brosse un panorama des luttes menées par les Aborigènes, les Amérindiens et descendants de marrons en Guyane française et les zadistes à Notre-Dame-des-Landes. Et en appelle au « compagnonnage des peuples en lutte », à l’union transnationale des combats autochtones, pour « résister ensemble face à d’autres alliances internationales économiques et financières qui détruisent la planète et tout ce qui l’habite ».

Lire aussi : Autochtones de tous les pays, unissons-nous !

Réveiller les esprits de la terre, Barbara Glowczewski, aux éditions Dehors, juin 2021, 288 p., 20 euros.

• « L’animal et la mort », de Charles Stépanoff

Après avoir étudié les peuples autochtones de Sibérie, l’anthropologue Charles Stépanoff est allé à la rencontre des chasseurs du Perche, autour de chez lui et au-delà. En comparant « le proche et le lointain », il permet de prendre un étonnant recul sur la vision de la chasse dans notre société moderne. Et, à travers elle, nous fait réfléchir sur notre rapport aux autres êtres vivants. La lecture de son ouvrage récemment paru, L’animal et la mort, pourrait vous donner envie de devenir à votre tour un « chasseur terrestre ».

Lire aussi : « La chasse choque parce que la mort est visible »

L’animal et la mort, de Charles Stépanoff, aux éditions La Découverte, septembre 2021, 400 p., 23 euros.

• « Petit traité d’écologie sauvage », d’Alessandro Pignocchi

Dans cette bande dessinée — en trois tomes — aux couleurs aquarelles, Alessandro Pignocchi imagine une France nouvelle, où le Premier ministre se prendrait de passion pour les rainettes, où écraser un hérisson par mégarde risquerait de déclencher la fureur de son esprit protecteur et où le monde et ses dirigeants adopteraient l’animisme des Indiens d’Amazonie… Dans cette société nouvelle, la culture occidentale telle qu’on la connaît aujourd’hui devient l’objet d’études anthropologiques pointues menées par un Jivaro. Dessinateur accompli, ancien chercheur en sciences cognitives et en philosophie, Pignocchi mêle poésie, réflexion et humour, pour nous donner à imaginer une nouvelle relation avec le vivant. Et nous inciter au combat politique : « Il n’y a pas d’écologie sans lutte collective contre le monde de l’économie », disait-il à Reporterre.

Petit traité d’écologie sauvage, d’Alessandro Pignocchi, aux éditions Steinkis, tomes 1 à 3, novembre 2021, 119 p., 49,95 euros.

• « Watership Down », Richard Adams

Devenir un lapin de garenne, c’est possible : il suffit de lire Watership Down, le chef-d’œuvre de Richard Adams. À cause des humains et de leurs machines, le valeureux Hazel et ses amis sont contraints de fuir l’inéluctable destruction de leur foyer. S’ensuit une odyssée attachante, où les lapins s’entraident, nouent des amitiés, se confrontent à leurs plus grandes peurs et déjouent les pièges de leurs prédateurs afin de migrer jusqu’à leur terre promise, la colline de Watership Down — laquelle ne sera peut-être pas la fin du voyage. On tremble, on pleure, on saigne, on rit avec eux. Et par-dessus tout, on n’arrête pas de tourner les pages.

• « Manières d’être vivant », Baptiste Morizot

Voilà un livre qui donne envie de faire silence, d’enfiler de bonnes chaussures et de partir en forêt écouter mille autres manières « d’être vivant ». Convoquant à la fois Spinoza, Deleuze et des souvenirs de randonnées sur la piste de loups, le philosophe Baptiste Morizot nous invite à redéfinir la relation que nous entretenons avec le reste du monde. Notre perception actuelle de la « nature », explique-t-il, est fondée sur une illusion, raffermie par l’amoindrissement de notre sensibilité et de nos capacités d’écoute : nous serions distincts et indépendants des autres habitants de la Terre. Il n’en est rien. Tout nous relie et nous arrime au grand tissu du vivant, comme le montrent des choses aussi anodines que notre goût pour le sel, hérité de la forme de vie océanique que nous étions il y a des milliards d’années. Une belle introduction à la pensée de l’auteur, promoteur d’une nouvelle « alliance » diplomatique avec les espèces qui nous entourent. 

Manières d’être vivant, de Baptiste Morizot, aux éditions Actes Sud, février 2020, 336 p., 23 euros.

• « Printemps silencieux », Rachel Carson

Après deux ouvrages consacrés à la mer, La vie de l’océan et La mer autour de nous, la biologiste Rachel Carson s’attaque en 1962 aux pesticides. Mêlant descriptions sensibles des campagnes étasuniennes, témoignages d’habitants et références scientifiques pointues, l’ouvrage dépeint les dégâts causés par un insecticide : le « dichloro-diphényl-trichloroéthane », mieux connu sous le nom de « DDT ». Extinction de la biodiversité, développement insidieux de cancers chez les humains… L’autrice raconte comment ce « biocide », promu cyniquement par les dirigeants étasuniens et l’industrie agrochimique à partir des Trente glorieuses, a tout anéanti sur son passage. Cette référence incontournable de la naissance du mouvement écologiste a largement contribué à dénoncer les méfaits de l’agriculture productiviste. Soixante ans après sa publication, il reste d’une désespérante modernité, tant les méfaits dénoncés restent d’actualité.

Lire aussi : « Printemps silencieux » : comment un livre a bouleversé la lutte écolo

Printemps silencieux, de Rachel Carson, aux éditions Wildproject, réédition juin 2020, 352 p., 12 euros.

Série : stopper l’effondrement du vivant Le sommet mondial pour la biodiversité — la COP15 — se tient à Montréal du 7 au 19 décembre. Objectif : freiner l’extinction de masse des êtres vivants. Toute cette semaine, Reporterre examine de près les solutions déjà existantes pour enrayer le déclin. Abonnez-vous à notre lettre d’info pour ne pas rater la suite !

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