DVDFr | La Plus grande histoire jamais contée : le test complet du Blu

L’une des plus amples vies du Christ jamais portées à
l’écran, réalisée par un cinéaste épris de
perfection.

La plus grande histoire jamais contée (The
Greatest Story Ever Told
, USA 1965) de Georges Stevens
(1904-1975) est son avant-dernier film mais il couronne en
réalité sa filmographie car il constitue, encore aujourd’hui,
l’un des meilleurs réalisés depuis l’avènement du cinéma
parlant vers 1930 sur le sujet. Stevens en était aussi
co-producteur : les Artistes Associés (qui avaient racheté le
projet à la Fox) lui avaient accordé la « final cut », le droit
de montage final. Il est possible qu’il s’agisse du film le
plus cher jamais produit à Hollywood dans l’histoire : on
avait calculé que son budget en US$, (du début de la phase de
production en 1959 jusqu’à sa sortie en exclusivité durant
Pâque 1965) aurait atteint les 25 millions de US$, ce qui
correspondait, en valeur corrigée vers 2015, à environ 185
millions de US$, encore davantage aujourd’hui (fin 2022)
compte tenu de l’inflation.

On peut négliger les sources radiophoniques et romancées
américaines de La Plus grande histoire jamais contée.
Elles remontent aux années 1950 et avaient rencontré un succès
populaire qui avait d’abord intéressé la Fox. Il faut, en
revanche, tenir compte de l’apport momentané de Carl Sandburg,
poète américain octogénaire cultivé et humaniste : Sandburg
fut, en 1960, coordinateur général (non crédité) du script en
association étroite avec Stevens avant que James Lee Barrett
et ce dernier ne reprennent l’ensemble d’une manière attentive
et souvent très soignée, épurée et dense. La préparation du
film s’échelonna de 1959 à 1962 ; le tournage d’environ 9 mois
s’acheva en août 1963 ; le premier montage (1830 km de
pellicule avait été impressionnée) fut terminé en février 1965
et il durait 4H20min. Le distributeur Artistes Associés
objecta que seules deux séances de projection seraient
possibles : il exigea des coupes afin de le ramener à une
durée compatible avec un nombre quotidien plus élevé de
séances. La première version exploitée lors de la sortie
aurait duré, selon certaines sources, 3H45 avant de subir
quelques coupes la ramenant aux 3H20 de la version
actuelle.

La Plus Grande Histoire jamais contée

C’est la poésie des dialogues de Sandburg qui avait
déterminé l’acteur suédois Max von Sydow, auparavant réticent,
à accepter le rôle principal : Stevens avait apprécié ses
rôles tenus pour le cinéaste suédois Ingmar Bergman, le fait
que Sydow avait alors précisément 33 ans (âge
traditionnellement estimé du Christ l’année de sa crucifixion)
et, last but not least, le fait qu’il était inconnu du
grand public américain. Autour de lui fut réuni l’un des
castings les plus prestigieux jamais organisés à Hollywood
(Donald Pleasence composait un très inquiétant Satan ;
Charlton Heston interprétait le prophète saint Jean-Baptiste ;
John Wayne campait un centurion romain ; Claude Rains et José
Ferrer incarnent respectivement Hérode et son fils Hérode
Antipas ; Telly Savalas demeure un Ponce Pilate vigoureux mais
non sans nuances ; David McCallum est peut-être l’un des Judas
les plus étoffés jamais représentés à l’écran : je sais que
cette dernière remarque intéressera mon ami Juan Asensio qui a
écrit sur Judas l’Iscariote) mais le raccourcissement du
montage initial réduisit la présence à l’écran de certains
rôles (cas de celui joué par Martin Landau). George Stevens
s’intéressait à la vérité historique (il étudia l’histoire de
la peinture religieuse des origines antiques au vingtième
siècle, notamment concernant les diverses expressions du
visage représenté du Christ) et sociologique (notamment les
étapes et les aspects du procès intenté à Jésus) des récits
évangéliques. Mais il avait aussi, sur le plan plastique, une
conception romantique : outre le choix des studios Culver City
de la MGM pour certains plans nécessitant des effets
particulièrement sophitiqués, celui des des extérieurs
naturels (vastes espaces du Nevada, de l’Utah, de l’Arizona et
de la Californie) reposa sur le fait que les repérages en
Palestine réelle l’avait plastiquement déçu : il préféra des
paysages géographiquement compatibles à l’ampleur souvent très
impressionnante, en raison d’un travail considérable sur les
profondeurs de champ et d’un montage sophistiqué. A cet égard,
la séquence de la résurrection de Lazare demeure mémorable
mais pas seulement sur le plan plastique : la direction
d’acteur (notamment le comédien Michael Tolan incarnant
Lazare), la manière dont ses rapports avec le Christ sont
filmés avant et après, l’ensemble exprime la tension
spirituelle relative à l’ambivalence dialectique de la
« maladie mortelle » paradoxale de Lazare qui sera, plus tard,
si bien analysée par Kierkegaard dans le Traité du
désespoir
(1849).

La Plus Grande Histoire jamais contée

Sur le plan de l’histoire du cinéma, il faut savoir que les
cinéastes David Lean et Jean Negulesco dirigèrent (non
crédités au générique) quelques séquences de La Plus grande
histoire jamais contée
– David Lean tourna notamment la
réception des rois-mages au palais du roi Hérode tandis que
Jean Negulesco aurait tourné celle de la nativité et quelques
plans de Jérusalem – afin de tenir les délais du plan de
travail. Délais qui furent considérablement dépassés en raison
du perfectionnisme légendaire de Stevens qui filmait parfois
sous une trentaine d’angles différents la même séquence, par
exemple celle de la résurrection de Lazare. Il faut noter que
la version longue de 4H20, constituant le premier montage
validé par Stevens, existerait encore matériellement : le fils
du cinéaste George Stevens aurait tenté de convaincre la MGM
(qui détient actuellement les droits du catalogue United
Artists) de la restaurer, mais en vain pour l’instant.
Souhaitons qu’un jour ce beau projet soit mené à bien et qu’on
puisse enfin la découvrir.

La Plus Grande Histoire jamais contée

Mediabook comportant 1 Blu-ray BD-50 région B + 1 DVD-9 + 1
livret illustré 32 pages, édité par ESC le 07 décembre 2022.
Durée du film : 199 min. (sur Blu-ray) ou 191 min. (sur DVD).
Image Full HD au format 2.76 en couleurs et compatible 16/9,
1920 x 1080p AVC. Son : VF d’époque en Dolby Audio DD 5.1 +
VOSTF DTS-HD Master Audio 5.1. Suppléments : les vies de Jésus
au cinéma, entretien avec Claude Aziza, historien (2022,
23’34”) + entretien avec Dominic Schubert, prêtre catholique
(2022, 28’37”) + bande-annonce originale (3’33”, VO sans STF).
Le visuel de la jaquette est strictement le même que celui de
l’édition américaine Blu-ray MGM de 2011 mais j’aurais préféré
le visuel de l’édition américaine Blu-ray MGM de 2015 car le
symbole sacré de la croix s’y trouve représenté.

Livret 32 pages illustrées de Marc Toullec

Très bien informé aux sources anglo-saxonnes de première
main (mentionnées en bibliographie, presque toutes sans leur
date de parution, ce qui est contraire aux règles de
l’édition) et bien illustré de quelques belles photos de
plateau et de tournage mais aucun jeu complet de photos
d’exploitation. Genèse, production, élaboration du scénario,
tournage, réception critique et commerciale : toutes les
étapes de la vie du film sont précisément reportées avec un
grand luxe de détails. La présentation de la première page
pourrait faire croire que les superproductions ont débuté vers
1955 à Hollywood, afin de rivaliser avec la télévision. C’est
à la fois vrai (le cinéma offrait l’écran large couleurs ou
N&B alors que la TV n’offrait alors qu’un petit écran encore
uniquement N&B) et faux (dès que le cinéma muet fut une
industrie, Hollywood engendra des superproductions, y compris
voire même surtout historiques et religieuses, donc bien avant
l’invention de la TV et même bien avant l’invention du cinéma
parlant). Page 4, ligne 6 : « royalty » (part sur les bénéfices)
est traduit par « royauté » (sic). Style parfois relâché ou
familier sans oublier une répétition oubliée dans la
traduction d’une citation (intéressante) de Stevens : « Procès
dont la mécanique n’a pour d’autre (sic : on pouvait écrire
l’un ou l’autre mais il fallait choisir et, surtout, relire
avant d’imprimer) but que de maintenir l’ordre que le groupe
s’impose à lui-même. » (page 11, lignes 13-14). Une précision
erpétologique : les « monstres de Gila », mentionnés (haut de la
page 20) à propos du tournage en Arizona, sont des lézards
venimeux appartenant à la famille des Heloderma : cette
appellation « monstre de Gila » constituant une simple
dénomination populaire. Durant l’hiver exceptionnel de
1962-1963 qu’affronta l’équipe de tournage, je doute au
demeurant qu’ils aient été très actifs. Page 27, ligne 8,
coquille par omission : « Plutôt que de (la) renvoyer dans ses
foyers… ». Page 28, ligne 4, une pure coquille : lire
« William C. Mellor » et non pas « Mellar » (sic) au nom de
famille du directeur photo, mort durant le tournage. Page 28,
on nous assure que la version raccourcie par le montage
commercialement exploité du film dure « 2H27min » alors que, sur
ce Blu-ray en durée cinéma à 24 images / secondes, elle dure
environ 3H19.

La Plus Grande Histoire jamais contée

Les vies de Jésus au cinéma, entretien avec Claude
Aziza, historien
(2022, 23’34”) : Aziza est
curieusement défini comme un « historien de l’antiquité
phantasmatique » mais ce dernier terme me semble très mal
choisi puisque Jésus ne ressort ni du mythe ni du phantasme.
Son existence est historiquement avérée : je renvoie le
lecteur intéressé à mon article Jésus, une étude d’histoire
christologique
(paru en 2021 et archivé sur le blog de
Juan Asensio, Stalker-dissection du cadavre de la littérature)
qui est une recension critique du livre monumental d’Alain de
Benoist, L’Homme qui n’avait pas de père – Le dossier
Jésus
(éditions Krisis, Paris 2021, 975 pages). Pour le
reste, honnête présentation d’histoire du cinéma qui retrace
brièvement la filmographie de Stevens puis examine le film de
1965 sur le plan historique.

Entretien avec Dominic Schubert, prêtre
catholique
(2022, 28’37”) : précis commentaire de
certains aspects du film sur le plan théologique et parfois
sur les plans historique, philologique et allégorique (le sens
théologique du thème de l’eau dans l’Ancien et le Nouveau
testament, par exemple). Le père Schubert est ainsi sensible à
la beauté plastique du film (il cite avec raison la
remarquable séquence de la tentation au sommet de la montagne)
mais il note justement que les scénaristes ont, assez
curieusement, modifié l’ordre des tentations par lesquelles
Satan tente en vain d’éprouver son pouvoir sur le Christ.

Bande-annonce originale (3’33”, VO non
sous-titrée) : en état argentique moyen, s’ouvrant par un
florilège critique, mais au format large respecté : elle
mentionne à la fois l’usage du format Ultra Panavision et du
format Cinérama.

Ensemble honorable, couvrant l’histoire du cinéma et
l’aspect théologique, qui constitue, si on y ajoute le livret,
une très bonne édition spéciale.

La Plus Grande Histoire jamais contée

Format original Ultra Panavision 70mm respecté en 2.75
compatible 16/9 et Technicolor. Initialement, la production
avait songé au format Super Panavision 2.20, puis tourné les
premières prises en Cinerama 2.65 mais au bout de trois ou
trente jours (selon les diverses sources qui ne concordent pas
entre elles), on opta finalement pour l’Ultra Panavision 70mm,
donc pour le format le plus large alors techniquement
disponible. Outre les deux directeurs photos principaux
crédités (William C. Mellor mort durant le tournage et
remplacé par Loyal Griggs), Charles Lang photographia quelques
séquences dirigées par le cinéaste David Lean, venu en renfort
momentané. MGM estimait en 2011 que son master numérique Full
HD édité aux USA présentait les meilleurs éléments argentiques
disponibles de la version exploitée cinéma : l’état argentique
demeure néanmoins très inégal (du moyen au très bon, selon les
séquences) et l’étalonnage tant argentique que vidéo est lui
aussi parfois inégal. C’est exactement celui utilisé pour
cette édition ESC. La haute définition restitue la densité des
profondeurs de champ et des paysages mais on pourrait faire
encore mieux ; reste que le strict respect du format ajouté à
la Full HD permet de disposer de la première véritable bonne
édition numérique française même si elle demeure très
perfectible.

La Plus Grande Histoire jamais contée

VF d’époque en Dolby Audio DD 5.1 + VOSTF DTS-HD Master
Audio 5.1 : offre nécessaire et suffisante pour le cinéphile
francophone. La VOSTF est plus dynamique que la VF d’époque.
Le niveau de l’enregistrement y varie assez nettement d’une
séquence à l’autre, cependant : conservez la télécommande à
portée de main afin d’ajuster en temps réel. STF signés Anne
Bruant, soignés et bien lisibles. La VF d’époque est
excellente sur le plan dramaturgique et sur celui de la
sélection des voix françaises rapportées aux personnages.
Musique signée Alfred Newman. Certaines sources affirment que
c’était une de ses partitions préférées ; d’autres ajoutent
qu’il était mécontent de son altération par le remontage de la
version courte exigée en 1965 par le distributeur. Elle
comporte pourtant encore de beaux moments symphoniques.
D’autres compositeurs ont travaillé avec Newman sur cette
partition : Ken Darby, Hugo Friedhofer, Jack Hayes, Leo Shuken
et Fred Steiner. Quelques fragments sont évidemment inspirés
par certaines Messes du répertoire classique, par exemple la
Missa solemnis (1824) de Beethoven.

Crédits images : © United Artists, George Stevens

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