Notes de lecture | Ondoyances méditerranéennes de Saint Augustin à Sidi Bou Saïd El Baji * | La Presse de Tunisie

Par Pr Mohamed Lotfi Chaibi

L’historienne artiste-peintre Aicha Ibrahim signe et persiste en joignant l’utile à l’agréable. Nul doute, son public de fans et de lecteurs est émerveillé par son art de conteuse et d’analyste qui tantôt jongle avec les figures et les silhouettes, tantôt chatouille l’histoire de notre Méditerranée, « ce corps liquide, à la croisée de trois continents, lieu de la rencontre à la fois féconde et tragique des hommes et des civilisations » et vague de Carthage à Sidi Bou Saïd à la recherche d’une spiritualité soufie bien du terroir. L’expression mystique bonifie les couleurs et les formes, les perspectives, l’architecture et les dédales de Sidi Bou Saïd tout autant les ruines et les vestiges de la Carthage romaine parsemant la colline de Byrsa d’où partent les deux axes principaux : cardo maximus et decumanus maximus, longeant à l’est les thermes d’Antonin, le temple de Borj Jedid et au nord l’Odéon d’où partait le quartier résidentiel. Ainsi en remontant l’histoire ancienne et médiévale de l’Ifriqiya, on y voit diverses influences s’entrecroiser : punique, romaine, byzantine et arabe. A ce propos, Aicha Ibrahim focalise sur la présence chrétienne au temps de Saint Augustin et l’apport mystique des Almoravides, Almohades, Hafsides et andalou en donnant libre cours à une double expressivité artistique et littéraire avenante : « A flanc de colline, Sidi Bou Saïd domine une saisissante vue sur la baie de Tunis et de Carthage. Le site se dénommait traditionnellement : Djebel el Manara. La colline de feu, plus exactement la colline du phare. Ce nom lui viendrait des fameuses tours de feu que construisent Carthaginois et Romains sur des hauteurs en bordure de mer. On retrouve ce genre d’installations dans la haute Antiquité chez les Ioniens et les Puniques… « (Avec le XIe et XIIe siècle), Les Mourabituns (terme désignant les soldats des Ribats (Ribat : fort) puis les Almohades perpétuent la construction des Ribats le long des côtes conquises. Ils semblent avoir très tôt construit sur les hauteurs de Sidi Bou Saïd un Ribat, à la fois guet et forteresse pour ces sortes de « moines – soldats » de la soldatesque almohade dont les vies étaient vouées à la foi et à la défense des territoires conquis…Ces guerriers d’antan semblent très tôt avoir imprégné l’esprit des lieux, territoires voués à devenir des sites de retraite spirituelle (khaloua        ) (par les mystiques musulmans qui firent du promontoire un lieu saint… « L’histoire de la période hafside (1228 – 1574) est étroitement liée au développement du maraboutisme en Ifriqiya. Celui-ci s’étendra et gagnera en profondeur les populations ainsi que l’Etat (makhzen   ) (devait tenir compte de l’engouement des populations pour le maraboutisme et en profiter pour consolider son pouvoir. Le maraboutisme n’étant qu’une résultante populaire, à l’origine de celui-ci se trouve le soufisme (tasawof      ) (qui aurait son origine en Orient. La figure de Sidi Abu Median (mort en 1196 -1197) d’origine andalouse, installé à Bougie, fut vite considérée par les soufis comme celle du Maître ou Pôle (Qutb) .( « Il introduisit une mystique moins exégétique que celle des Orientaux, basée sur la foi, la patience, le détachement et l’humilité. Il se mit à prêcher aux populations berbères une doctrine simple qui convenait parfaitement à la foi populaire. Une école maraboutique ifriqienne devait voir le jour avec le disciple d’Abu Median : Sidi Abu Hassan as Shadili (1197 – 1257) qui s’installa d’abord à Zaghouan puis à Tunis, et ce grâce à un autre soufi Abu Saïd al Baji (notre Sidi Bou Saïd el Baji)… ». Et le conte magique continue son bonhomme de chemin en ornementant la prose avec la toile pour nous entretenir du Baron d’Erlanger, Dar Ennejma Ezzahra, de Sidi Bou Saïd, les Andalous et le malouf, de Dar Annabi, des cafés et un certain désir d’Orient, de ses peintres. L’histoire poétique d’une quête spirituelle. En somme, Aicha Ibrahim restitue finement un pan de ce « grand brassage des cultures qui se sont enrichies les unes des autres, celui de l’échange des savoirs scientifiques, philosophiques, religieux et circulant de l’Orient vers l’Occident, de l’Occident vers l’Orient (1).

• La Méditerranée, une stature d’empire In Le Monde La vie, Hors-Série, 2022, page 3.

M.L.C.

(*) Ibrahim (Aicha) : De Carthage à Sidi Bou Saïd. Une traversée picturale et historique. Tunis, Arabesques, 2022, 191 pages.
(2) La Méditerranée, une stature d’empire In Le Monde La vie, Hors-Série, 2022, page 3.

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