Lous and the Yakuza : “La musique est un pouvoir auquel les artistes eux

En l’espace de quelques saisons, la musicienne a imposé son aura pop et son énergie solaire. Après le succès international de “Gore”, la voici, toute de Louis Vuitton vêtue, pour évoquer son second album, “Iota”.

”Je me suis réveillée énergisée par un rêve. Je crois que les songes sont notre canal spirituel”, indique Lous and the Yakuza d’une voix malicieuse – même si l’on sait qu’elle est sérieuse. Ce mélange de spiritualité et de légèreté est sans doute ce qui la caractérise le plus. Pour l’état civil, Marie-Pierra Kakoma, née en République démocratique du Congo il y a vingt-six ans, élevée entre la Belgique et le Rwanda, ex-étudiante en philosophie et sans domicile fixe, passionnée par l’art sous toutes ses formes, jusqu’à manquer d’y laisser sa peau, avant, en 2019, d’être révélée par le single Dilemme. Son premier album, Gore, enregistré avec le producteur de Rosalía, El Guincho, révélait les traumas, les failles et la résilience de Lous.

Majestueuse, elle s’empare de la pop culture avec une rare détermination, qui séduit également les créateur·trices de mode tel Nicolas Ghesquière. C’est d’ailleurs habillée en Louis Vuitton, une maison dont elle apprécie les valeurs comme la ligne directrice, qu’elle pose aujourd’hui, devant l’objectif de sa compatriote belge Charlotte Abramow. Mais c’est sans filtre qu’elle se livre à nous, au sujet de son évolution de femme de tête, de cœur et de tripes, qui résonne fort sur son second album, l’irrésistible Iota.

Tu as récemment assuré les premières parties de Gorillaz, Coldplay et Alicia Keys, c’était comment ?

Lous and the Yakuza — Rien à voir avec mes propres concerts, que je termine en pleurant de joie dans les bras de mes fans. C’était galvanisant, mais j’ai dû affronter l’indifférence voire le refus de 30 000 personnes, sachant que le lendemain, le combat de gladiateurs devait recommencer dans un autre stade. Après une quinzaine de dates éprouvantes, j’ai compris que l’important c’était de me concentrer sur chaque vocalise, chaque changement de beat, chaque mouvement sur scène… et de savourer. On ne fait pas ce métier pour souffrir !

S’il est plus entraînant encore que Gore, Iota respecte la charte d’hybridité qui est la tienne depuis tes débuts, qui ne choisit pas entre soul, r’n’b, tropicalia…

Car, sinon, je ne me sentirais pas complète ! Je suis le fruit d’un mélange des cultures : mes clips font référence à des réalisateurs japonais, j’adore lire la philosophie occidentale, je suis congolaise, rwandaise, belge, mais aussi française car je passe beaucoup de temps ici… Pour Gore, j’avais souffert si longtemps de ne pas être écoutée que j’avais mille choses à dire et que le texte comptait plus que tout. Mais il est devenu disque d’or à l’international ! À partir du moment où on a du succès dans des pays non francophones, on réalise qu’on existe bien au-delà des paroles. Ce que j’ai pris en compte pour Iota : je reste obsédée par les mots tout en accordant toute la place qu’elles méritent aux vibrations du son, dans toutes ses variations.

© Charlotte Abramow pour Les Inrockuptibles

Tu assumes donc entièrement le format pop 

Absolument. S’il te plaît, dis ça aux radios qui continuent de soutenir que je fais de la musique urbaine ! Dans la réalité de l’industrie culturelle, c’est risqué de ne pas entrer dans les cases… Cela étant dit, ma carrière n’a aucun sens depuis qu’elle a commencé ! Parfois, je me lève en me disant : “Qu’est-ce que je fous là ?” Mais c’est ça la beauté de nos métiers : toutes les trajectoires sont possibles, et l’ordre des choses sans cesse renversé. Je me souviendrai toute ma vie de quand on m’a appelée pour chanter chez Jimmy Fallon [à distance, en octobre 2020, elle performe le temps d’une vidéo son titre Amigo]. Jamais je n’aurais pu imaginer ce qui m’est arrivé depuis la sortie de Gore. J’ai eu une chance folle. Et, en prenant du recul, j’ai réalisé que la musique est un pouvoir auquel les artistes eux-mêmes ne comprennent rien.

Avec des titres comme La Money ou Interpol, où tu chantes que tu aimerais “changer de nom”, tu évoques les perturbations liées
à la célébrité.

J’ai mis du temps à comprendre le concept de notoriété, qui ne m’intéresse guère. Mais ce serait ignorer notre génération qui vit avec les réseaux sociaux en étant fan de tout et n’importe quoi. Certains suivent le moindre de tes gestes et paroles… et ça peut donner envie de partir très loin. Car on se met la pression pour être à la hauteur de ce que les autres attendent.

Pour l’animal social que je suis, ce n’était pas très agréable… jusqu’à cet été, où, pendant mes dix jours off, j’ai réalisé qu’à 26 ans, je pouvais aller dans un bar et danser sur une table, rire, être heureuse ! Décrocher un tant soit peu des responsabilités de la vie d’artiste, qui n’a rien à voir avec le glit and glam d’Instagram : on passe plus de temps avec nos comptables qu’avec nos fans.

© Charlotte Abramow pour Les Inrockuptibles

En effet, tu es également cheffe d’entreprise. Et fière de l’être ?

Oui. J’ai décidé d’être maître de mes affaires afin d’être sûre de la manière dont elles sont gérées… J’aurais aussi pu faire de l’art seule dans ma chambre sans vouloir le commercialiser, mais dès le moment où il passe le filtre de l’industrie, il devient un produit. Dans ce cas, autant que j’en ai le contrôle. Je paye mes propres employés de ma propre bourse, j’étudie tout ce dans quoi je m’engage juridiquement et ça prend beaucoup de temps. Même si personne n’en parle, car le sujet n’est pas passionnant pour le public, ça concerne tous les artistes un minimum indépendants ! Moi, je veux l’être pleinement.

“Il y a toujours de la lumière, si seulement nous sommes assez courageux pour la voir.” On te doit la traduction des poèmes d’Amanda Gorman. Qu’est-ce que le poème The Hill We Climb, dont sont extraits ces mots, a fait résonné en toi ?

De l’espoir. Elle a été la plus jeune poétesse à s’exprimer lors d’une investiture [celle du président américain Joe Biden, le 20 janvier 2021]. En tant qu’autrice, et femme noire de surcroît, je connais les combats qu’elle a dû mener pour en être là où elle est, les souffrances traversées. The Hill We Climb… Quelle sagesse. Moi, mon premier album s’appelait Gore, c’était moins encourageant ! Ne pas m’énerver, respecter mes énergies comme celles des autres, c’est compliqué pour quelqu’un d’aussi sanguin que moi. Mais Amanda Gorman fait partie de ces artistes qui nous montrent un nouveau chemin. À moi, comme à tellement d’autres !

Iota (Columbia/Sony Music). Sorti depuis le 4 novembre.

Lous and the Yakuza : “La musique est un pouvoir auquel les artistes eux-mêmes ne comprennent rien” – Les Inrocks