Sa rencontre avec Johnny, leurs addictions… Laeticia dit tout

Cinq ans après la mort de son mari, Laeticia nous ouvre son album de famille. Et nous raconte son quotidien hors norme aux côtés du rockeur

Elle est grande, plus grande que je ne l’imaginais. Elle paraît facilement douze ans de moins avec ses joues pleines, ses dents ultra blanches, une lueur de folie joyeuse dans les yeux. C’est la veuve de l’Idole (surnom que je préfère à celui de Taulier). Nous sommes dans le bureau de son agent, non loin du Golf-Drouot.

Au mur, derrière Laeticia, un revolver braqué, sur une affiche de film de gangsters, et, contre ses hanches moulées dans un jean slim, un coffre-fort, un vrai, avec trois molettes. Je me demande ce qu’il contient. Le blindage, le revolver et la fille devant, ce visage souriant… je pense à « Angel Face », un vieux film noir avec Robert Mitchum et Jean Simmons, et aussi à une chanson yéyé que j’écoutais en 1978, à l’époque new wave, dans un mange-disque : « Cette nana-là, mon vieux, elle est terrible. »

La suite après cette publicité

Johnny me parle pour la première fois. Il a les yeux hypnotisants. Il raconte sa vie avec ses yeux»

 

Terrible ça veut tout dire. Tout ange est terrible… Est-elle bonne ou mauvaise ? On a tellement dit qu’elle était mauvaise, intéressée, manipulatrice, entourée d’une famille de Thénardier… que la question devrait se poser. Non, elle ne se pose pas. Il émane d’elle une énergie sans nom, ni bonne ni mauvaise. Vitale. Si j’osais, je prendrais une photo de la fille au coffre-fort mais, non, il faut savoir garder les images non développées.

La suite après cette publicité

Cinq ans après, le cortège des bikers ouvre la veillée souvenir.

© DOMINIQUE JACOVIDES / BESTIMAGE

À 50 ans, un homme connaît le jeu de l’amour et du hasard, surtout quand il a été exposé aux femmes à un degré brûlant depuis toujours, et celle-là, la dernière, Johnny l’a bien élue. Pourquoi cette fille déchaînerait-elle la haine ? Quel est son défaut ? Ses yeux trop brillants me font penser à ceux d’une religieuse ou d’une prédicatrice, son sourire aussi. Crispé ? Non, radieux. Je songe à la croix d’argent qu’elle portait en évidence le jour des funérailles de l’Idole, une pompe populaire digne de Victor Hugo. Comme Hugo, cette fille croit aux esprits, aux démons ; j’ai compté, le mot « démons » revient treize fois dans sa bouche pendant nos longues conversations.

Laeticia ne s’alimente plus, elle se suicide en silence. C’est là qu’arrive l’idole

Pour elle la recherche n’exclut pas la destruction, une destruction qu’elle n’accompagnait pas mais qu’elle a supportée, jusqu’au moment où le jeu a dû changer. « Un artiste doit se remettre en question », me dit-elle, donnant à cette formule un peu banale une force inaccoutumée, elle pense ce qu’elle dit, Laeticia Hallyday, et ce n’est pas si fréquent. Elle est chrétienne pratiquante, elle va à la messe tous les dimanches et fait sa prière tous les soirs. Parfois, me dit-elle, il lui est arrivé de dormir sur la tombe de son mari, entourée de bougies dans la tiédeur des Antilles. Veuve du capitaine Kidd. Les vieux rockeurs, ceux qui sont devenus vendeurs de bibles (Little Richard, Jerry Lee Lewis), souriaient comme elle, avec les mêmes yeux brillants. Le sourire de Laeticia Hallyday est plus rock que les attitudes revêches des figures de mode.

La suite après cette publicité

La suite après cette publicité

L’« amour enchaîné » de «Gabrielle »... le signe fédérateur des fans. Autour de Laeticia, son amie Hoda Roche, André Boudou, son père, et Carl, le chauffeur et garde du corps.

L’« amour enchaîné » de «Gabrielle »… le signe fédérateur des fans. Autour de Laeticia, son amie Hoda Roche, André Boudou, son père, et Carl, le chauffeur et garde du corps.

© DOMINIQUE JACOVIDES / BESTIMAGE

Émue par la grande exposition qui ouvrira le 20 décembre à Bruxelles et qui reconstitue les pièces dans lesquelles son homme a vécu, avec ou sans elle, on la sent pudique sous son armure d’émail et de blondeur. Chez elle, c’est la pureté qui m’intéresse. Comment cette femme qui a toujours l’air d’un bout de chou a-t-elle pu se préserver si longtemps ? Vingt-deux ans avec Johnny, plus cinq ans de veuvage. Un veuvage totalement piétiné par les querelles d’héritage, les avocats, la mise en cause quotidienne de sa famille, les fameux Boudou, de sa grand-mère (Mamie Rock), de son père André… Elle est là, souriante, impeccable, touchant à peine son Coca zero. Trente et un millions de dettes fiscales, un mari enterré national chez les pirates, et elle rit parce qu’elle ne connaît pas bien le Coca (sic) mais qu’on lui a conseillé d’en boire pour le jet lag… 

J’ai envie de tout connaître des débuts de leur histoire, car j’ai l’intuition que tout s’est joué dans les premières heures. Johnny était un instinctif. S’il a choisi cette fille, ce n’est pas parce qu’elle était fraîche mais parce qu’elle avait quelque chose dont il avait soif.

À Brussels Expo en attendant Paris 2024. Pendant deux ans, Laeticia a supervisé la scénographie, qui s’étendra sur 3000 m2 . Ici, dans les ateliers Tempora, à Bruxelles.

À Brussels Expo en attendant Paris 2024. Pendant deux ans, Laeticia a supervisé la scénographie, qui s’étendra sur 3000 m2 . Ici, dans les ateliers Tempora, à Bruxelles.

© Agence / Bestimage

Avant Johnny, dans la vie de Laeticia, il y avait une arrière-grand-mère adorée qui rendait visite aux mourants dans les hôpitaux ; avant Johnny, il y eut surtout André, l’enfant terrible. Un père dur, fragile et complice. Lorsque la jeune Laeticia Boudou, à peine nubile, s’installe à Miami, c’est pour soigner André, « mon papa », comme elle dit toujours aujourd’hui. Les parents sont séparés, elle était venue pour les vacances avec son frère, lui est rentré en France, elle est restée. Elle n’a pas pris le vol de retour comme elle ne prendra pas le vol de retour une fois qu’elle aura décidé de quitter papa pour Johnny.

Quand elle le rejoint à Miami, « papa » est amoureux d’une Américaine matérialiste qui veut lui imposer sa loi. « Il est séduit par cette femme qui a une jolie famille, une jolie carrière. » La belle est brand manager des bijoux Cartier pour les Caraïbes, ça ne s’invente pas… Elle le torture, il souffre l’enfer de la jalousie, entraîne Laeticia à l’espionner derrière les fourrés du jardin. J’imagine la touffeur, l’été permanent, la ville du « Scarface » de Brian de Palma, les caméléons, les alligators.

Fétiches. Le blouson de Johnny où Laeticia a retrouvé la photo de Jade qui ne le quittait jamais.

Fétiches. Le blouson de Johnny où Laeticia a retrouvé la photo de Jade qui ne le quittait jamais.

© Agence / Bestimage

André a tenté de se suicider, c’est Laeticia, 15 ans, qui va le convaincre d’aller voir un psy (« papa ne voulait pas »). La thérapie marche et, pour montrer à son Américaine ce qu’elle a raté, il monte l’Amnesia, une des plus grandes discothèques des états-Unis. Une jauge de 5 000 personnes. Il est occupé, trop occupé. L’infirmière Laeticia n’aime pas qu’on lui retire son malade. Premiers symptômes : la jeune fille tombe dans l’anorexie (comme elle retombera dans les troubles alimentaires aussitôt Johnny dans le coma, à L.A. en 2009) : elle ne s’alimente plus, passe parfois trois jours sans boire ni manger, enfermée dans sa chambre. Vie sentimentale zéro, pas d’amis : elle se suicide en silence et papa, qui ne pense qu’à l’Amnesia, ne comprend rien, l’engueule, considère que c’est un caprice. 

C’est fini avec Adeline, Johnny déboule en Floride à la poursuite d’une fille

Et c’est là qu’arrive l’Idole. Johnny vient de tourner un clip au Nouveau-Mexique, moralement lui aussi va moyen ; il a 52 ans, une chandelle sérieusement brûlée par tous les bouts. Techniquement il est toujours le gendre de son copain Long Chris, mais c’est fini avec Adeline, il déboule en Floride à la poursuite d’une fille. Une énième relation chaotique qui l’amène jusqu’à l’hôtel Fontainebleau de Miami. Ça tombe bien, Elvis y a joué. Quand on est une âme en peine dans une ville inconnue et capiteuse, que faire sinon appeler Jean Roch ? Le nouveau RP de l’Amnesia doit dîner avec son patron, André Boudou.

La reconstitution de la chambre d’adolescent au 13, rue de la Tour-des-Dames, dans le IXe  arrondissement de Paris, grandeur nature d’après les reportages de Match.

La reconstitution de la chambre d’adolescent au 13, rue de la Tour-des-Dames, dans le IXe arrondissement de Paris, grandeur nature d’après les reportages de Match.

© Agence / Bestimage

Papa cogne à la porte de Laeticia en pleine dépression anorexique, cheveux pourris et baskets Converse. Laeticia refuse, puis se reprend et poursuit la Rolls de papa dans l’allée de la maison, non sans s’être vraiment bien lissé les bouclettes, ce qui met tout le monde en retard – « Papa vivait sur une île, une sorte de prison dorée, il fallait prendre un ferry pour en sortir », très en retard. La Rolls arrive enfin sur la piste du Fontainebleau, à bord il y a Jean Roch, Boudou, Laeticia et la nouvelle épouse de Boudou, Adine, une copine d’enfance de Laeticia, elles n’ont qu’un an d’écart. Sous une marquise, Johnny est furieux : « Mon mari, qui était toujours en retard, ne supportait pas que les autres le soient. On se fait engueuler, j’ai appris par la suite qu’il avait dit à Jean Roch : “Tu m’avais pas dit que tu venais avec des putes ?” Pourtant, avec mes 42 kilos et mes tennis, je ne faisais vraiment pas escort girl. »

Dîner dans un japonais. Coup de foudre. « Johnny ne quitte pas mes mains des yeux, à l’époque j’avais de jolies mains… » Mécaniquement je les regarde, elle les cache sous la table : « On ne rajeunit pas… », me dit-elle.

Je trouve la vie intéressante dès qu’on entre dans les détails. Pourquoi certains hommes fatigués regardent-ils, un soir, les mains de la femme qui va un jour leur fermer les yeux ? À quoi tient un coup de foudre ? « La rencontre était sans filtre. Je ne savais rien de lui. On ne se parle pas du tout. Le dîner se termine. On marche pour aller à la voiture, Johnny est fasciné par une boutique vintage. Il y avait des blousons, des bagues. On entre dans la boutique. Il me parle pour la première fois. Il a des yeux hypnotisants, un regard animal, très sauvage, il y a tellement de choses qui se passent dans son regard. Déjà pendant le dîner, je ne pouvais m’empêcher de chercher ses yeux et de commencer à y lire des choses, dans ses silences. Il racontait sa vie avec ses yeux. Je sentais qu’il était extrêmement cabossé. Je le sentais parce que, entre cabossés, on peut se comprendre aussi. »

Sa collection unique de bagues, bracelets et chevalières à tête de mort. En exposition à Bruxelles.

Sa collection unique de bagues, bracelets et chevalières à tête de mort. En exposition à Bruxelles.

© Agence / Bestimage

Comme l’amour des femmes est solide ! À l’instant, la personne qui me raconte cette soirée vingt-sept ans après sonne aussi juste qu’au premier jour. À l’instant, mes dernières hésitations s’effacent. Cette gamine de 20 ans, qui lisait Marguerite Duras à Miami dans sa chambre de jeune fille, chez le propriétaire de l’Amnesia, est vraiment tombée amoureuse de ce vieux loup malade. Elle continue, toujours avec ce sourire impavide : « Entre cabossés – elle aime presque autant ce mot de “cabossé” que le mot “démons” –, on sait ce que c’est que de se détruire, je ressentais déjà ça pendant le dîner et encore plus fort en sortant de la boutique et en allant jusqu’à la voiture. Johnny dit : “Qu’est-ce qu’on fait ?” Moi, normalement, je restais toujours enfermée… Quand on ne s’aime pas, on reste enfermé. On n’a pas d’amis, on ne sort pas.

Il aimait le côté romanesque de l’existence et, quand il le vivait en vrai, c’était génial

 

Il veut visiter l’Amnesia, alors on va à l’Amnesia. Jean Roch nous installe dans le coin VIP. Johnny commande de la vodka. Moi qui ne buvais pas d’alcool, je commence à boire de la vodka et j’aime ça. Lui aussi, il aime ça, mais il a plus l’habitude que moi. Et là, on parle, on parle. Au bout d’un moment, tout le monde nous avait lâchés. On n’était plus que tous les deux, mon père avait quand même laissé ma belle-mère nous surveiller. Elle était là, mais personne n’existait plus. Il m’a parlé de son enfance et moi je lui ai dit à quel point j’étais malade. Après deux ou trois heures à l’Amnesia, on est partis dans une autre boîte. À l’époque mon père était très connu de tout le milieu de la nuit à Miami. Moi qui ne sortais jamais, je pilotais Johnny dans cette folle tournée. Vers 6 heures du matin, on se retrouve dans une boîte de mafieux, entourés de types avec des flingues, et ça nous a fait beaucoup rigoler. Il aimait le côté romanesque de l’existence et, quand il le vivait en vrai, c’était génial. Je voyais qu’il avait encore une âme d’enfant et que tout cela l’attirait.

Sur la table de chevet: une partition de Sidney Bechet, les disques de son idole, Elvis Presley, ses vinyles et surtout son enregistreur.

Sur la table de chevet: une partition de Sidney Bechet, les disques de son idole, Elvis Presley, ses vinyles et surtout son enregistreur.

© Agence / Bestimage

Puis on a réussi à s’échapper. À côté de la boîte de mafieux il y avait une station-service et une 2CV improbable. Et c’est là qu’on s’est embrassés pour la première fois, sur le capot de cette 2CV. Dans ma vie, comme dans la sienne, il y a eu un avant et un après ce capot. On se quitte. Je rentre à la maison avec ma belle-mère, on a droit à une grosse engueulade de mon père. Il s’inquiétait. Avec Johnny on avait échangé nos numéros (des lignes fixes à l’époque, pas de portables).

Laeticia m’avoue qu’elle est presque tout à fait insomniaque, depuis toujours

À la première heure, le téléphone sonne, papa répond. C’était lui. Il me propose de venir le voir à son hôtel. Je suis étonnée, après l’avoir quitté je m’étais dit qu’on n’allait plus se revoir. Là, j’ai une réflexion d’enfant : “Je viens, mais je ne sais pas si tu vas me reconnaître !” J’arrive à son hôtel, nature avec mes anglaises, mes bouclettes, toujours en tennis et jean, et là, il me dit : “Oh wouahou ! Tu fais beaucoup plus jeune en fait !” On s’embrasse de nouveau, mais rien de plus. Il me dit : “Je veux visiter des maisons, je veux acheter une maison ici.” Il demande à mon père de jouer les agents immobiliers et nous voici partis en bateau avec papa. Au bout de trois jours, il doit retourner à Paris, il ne s’est toujours rien passé à part des baisers et beaucoup de moments ensemble. Tout cet amour a commencé à naître et à se dessiner encore plus fort. Le débit de paroles et de partages était incroyable… »

Pour « Johnny par Laeticia », le documentariste William Karel a visionné 700 heures d’archives vidéo inédites qui racontent vingt-deux ans de vie commune.

Pour « Johnny par Laeticia », le documentariste William Karel a visionné 700 heures d’archives vidéo inédites qui racontent vingt-deux ans de vie commune.

© M6

Un peu rabat-joie, je demande si Johnny prenait de la coke devant elle. Elle me répond oui, qu’il lui a proposé d’en prendre le premier soir mais qu’elle a refusé. Que la seule addiction qu’il lui a transmise c’est la cortisone, parce qu’il en prenait à hautes doses, comme Elvis avec son mélange de tramadol et de paracétamol. Elle m’avoue être là, en ce moment même, en sevrage : « J’ai des prises de sang toutes les semaines ; la cortisone, c’est comme la drogue, vous êtes toujours en pleine forme. Vous êtes une âme guerrière, vous pouvez déplacer des montagnes ! » En disant cela, elle rit une fois de plus et ses yeux brillent de cette lueur fiévreuse qui ne s’éteint jamais. Laeticia m’avoue qu’elle est presque tout à fait insomniaque, depuis toujours. Nous nous quittons pour nous retrouver quelques jours plus tard, à sa demande, dans l’appartement d’une amie productrice.

L’addiction qu’il lui a transmise, c’est la cortisone. Elle m’avoue qu’elle est toujours en sevrage

Vue sur les Tuileries. La nuit va bientôt tomber, c’est l’hiver, le ciel gris, les rameaux noirs, la foule court partout. De temps à autre une sirène d’ambulance ou de police. L’appartement est très calme. La silhouette d’un domestique, une grande télé allumée avec le volume bas. Elle porte un jean, des talons très hauts, un pull à col roulé noir. Une très jolie femme dans sa quarantaine avec un menton volontaire et toujours ses yeux brillants. En deux jours, j’ai réfléchi et je me sens capable d’aborder le côté obscur de Johnny, ces fameux démons dont elle parle si souvent.

Pour « Johnny par Laeticia », le documentariste William Karel a visionné 700 heures d’archives vidéo inédites qui racontent vingt-deux ans de vie commune.

Pour « Johnny par Laeticia », le documentariste William Karel a visionné 700 heures d’archives vidéo inédites qui racontent vingt-deux ans de vie commune.

© M6

En plus de vingt ans de vie commune, d’amour, elle a touché le fond plusieurs fois. Elle en parle dans le film de M6 mais je veux creuser. Son pire premier souvenir ? Le déclencheur du processus de sauvetage qu’elle va engager et qui, en dix ans, va mener l’Idole à la vie de père de famille ? Le concert maudit de Vegas en 1996. Elle l’évoque dans le film de M6 mais quand elle m’en parle, c’est bien plus noir. Je me souviens vaguement d’un samedi soir sur TF1 avec Jean-Pierre Foucault et Line Renaud en pré-show pour une visite guidée de Las Vegas.

Greffée au bras de Line, il y avait Laeticia bébé, avec ses bouclettes, ses tennis, je ne sais pas, ses taches de rousseur. Tellement régulières, façon moustache d’écureuil, que je lui demande si elles étaient vraies ou si elle les dessinait au crayon : « Non, vous rigolez, j’en avais partout, même sur le corps, je les ai fait enlever au laser. Johnny était furieux. »

Après la coke, le crack… Je le soutiens alors que j’ai envie de lui péter la gueule

 

Le show de Las Vegas à l’hôtel Aladdin fut loin d’être un succès. Une descente aux enfers pour le couple. « Je ne connaissais encore rien au métier mais j’avais senti avant qu’il n’était pas prêt. Beaucoup de légèreté, peu de répétitions, l’alcool était très présent à l’époque, même physiquement il était une caricature. Il avait eu des années de succès et il ne s’était pas remis en question. Il voulait se faire plaisir, chanter des standards du rock en anglais à Las Vegas. Le tout en baskets ! Un ami à lui a produit le spectacle, un homme qui avait fui la France, pas très net, lié à la mafia de Vegas. Le soir du show, avant d’entrer sur scène, il a la voix cassée pour cause d’excès. Un médecin vient lui faire une piqûre de cortisone. Un médecin qui avait soigné Elvis, alors il était dans tous ses états, vous pensez : un mec qui a touché Elvis lui fait la même piqûre qu’il avait faite à Elvis ! Il jouissait de ça, il jouissait d’être à Vegas, il se sentait transcendé par l’Amérique. Après avoir assuré le pré-show pour TF1 avec Line, je me faufile dans la salle et, là, je vois que quelque chose ne va pas. Les fans, dont certains se sont ruinés pour payer le billet d’avion et l’hôtel, ne reconnaissent pas “leur” Johnny. Lui se fait plaisir en reprenant les standards de ses idoles. Après le concert, Johnny s’en rend compte. Je me dis : “Ouh là là, on va vivre des moments difficiles !” La soirée a été horrible, une nuit d’enfer à l’Aladdin, coke, crack, etc. et après on est partis continuer à Los Angeles. Au Four Seasons. Un hôtel devant lequel j’ai du mal à repasser, même vingt-cinq ans après. » 

J’ai toujours pleuré en silence, en cachette, pas devant lui

 

À 21 ans, mariée depuis sept mois à un homme aussi extrême, comment a-t-elle pu survivre à ça ? «  Les lendemains sont vraiment durs. Il faut être là pour le rassurer, pour lui donner de l’amour sans le juger, sans lui dire : “J’ai envie de te péter la gueule parce que tu es minable de te défoncer.” Lui, il souffre, il est malheureux, il sait qu’il s’est planté, il me dit que c’est fini, que sa carrière ne reprendra plus, qu’il est une merde, qu’il est has been. Il répète sans cesse : “Je suis fini ! C’est fini !” Moi, je l’aide, je l’accompagne, je le regarde se détruire. »

Je demande à Laeticia s’il lui arrivait de pleurer. « J’ai toujours pleuré en silence, en cachette, pas devant lui. Vous avez vu “A Star is Born”, avec Bradley Cooper et Lady Gaga ? Eh bien, c’était pareil. Pire même. Ça va tellement loin, il joue avec la mort. Le crack a remplacé la roulette russe. La balle dans le revolver c’était l’époque de Nanette Workman, qui était aussi défoncée que lui et dont il était éperdument amoureux, une des femmes qui a le plus compté dans sa vie. Ah ouais, vraiment ! Une histoire d’amour vraiment passionnelle, eux, je ne sais pas comment ils ont survécu. »

 Ça switchait très vite avec Johnny… Docteur Jekyll et Mister Hyde.

 

Je la regarde parler d’une autre sans la moindre once de jalousie. À 21 ans, elle assumait tout parce qu’elle était amoureuse. À 47, toujours. Petit soldat, elle résiste, elle ne sera pas comme Nanette. « Johnny, il n’aurait pas été l’homme et l’artiste qu’il était sans ça. Mais moi, je refuse tout, je suis animée par un instinct de survie. Je suis restée nette, ces soirs-là et tous les soirs pendant vingt ans, j’ai lutté parce que j’avais trop peur d’aimer. Je suis quelqu’un de très passionné quand j’aime, j’aime à la folie. Avec la drogue, je pense que j’aurais été pire que lui. Alors j’essayais de l’aider en l’écoutant. Quand il était dans ces états, il parlait beaucoup, il disait des trucs qu’il n’aurait pas dits dans la vraie vie. Il parlait de lui, il n’était pas agressif et puis, soudain, ça switchait, ça switchait très vite avec Johnny… Docteur Jekyll et Mister Hyde. »

La nuit tombe sur les Tuileries, je suis transporté dans la suite du Four Seasons à Los Angeles en 1996, la nuit obscure d’un film d’Abel Ferrara… et toujours de sa petite voix, Laeticia me parle de son mari, le vieux Johnny, assis, voûté dans l’odeur de plastique brûlé du crack, recevant un coup de téléphone assassin de Pascal Nègre, à l’époque patron de Mercury, après la retransmission du concert sur TF1 : « Il se voûtait quand il était mal », dit-elle toujours en souriant, voulant faire passer quelque chose de ces souffrances oubliées, non pas par exhibitionnisme, mais par spiritualité. Jésus-Christ était un rockeur. 

« Johnny Hallyday, l’exposition ». Du 20 décembre  au 15 juin 2023 à Bruxelles, réservation conseillée. 
Ouverture de la billetterie pour Paris au printemps.

Johnny, le documentaire : le 8 décembre à 21 h 10 sur M6 puis à retrouver sur 6 Play.

Sa rencontre avec Johnny, leurs addictions… Laeticia dit tout