Ruben Östlund reçoit la Palme d’Or du Festival de Cannes pour “Sans filtre”

“Les huit montagnes” de Charlotte Vandermeersch et Felix Van Groeningen

Note: 3/5

1984. Pietro, onze ans, quitte Turin le temps d’un été dans un village perdu du Val d’Aoste. Sur place, il se lie d’amitié avec Bruno, un enfant ancré dans les montagnes. Les années passent. Les amis grandissent, se perdent de vue. Bruno reste accroché à ses alpages, refusant de les quitter, alors que Pietro entame une longue quête existentielle qui le pousse à découvrir le monde et à décrire, en tant qu’écrivain, son cheminement. Ils restent malgré tout reliés, pendant près de vingt ans, par une maison qu’ils ont construite ensemble dans la montagne.

>> A voir: la bande-annonce du film “Les huit montagnes”

Adaptant le roman de Paolo Cognetti, le cinéaste flamand Félix von Groeningen (“Alabama Monroe”, “Belgica”) coréalise avec son épouse, la comédienne Charlotte Vandermeersch, cette histoire d’amitié virile qui paraît débuter comme une version transalpine de Marcel Pagnol.

Felix Van Groeningen et Charlotte Vandermeersch à Cannes pour présenter le film “Les huit montagnes”. [JB Lacroix – Full Picture Agency via AFP]

Si la beauté des images, en écran carré, captant la magnificence de la nature sans jamais tomber dans l’imagerie de carte postale, subjugue le regard, on ne peut en dire autant de la dramaturgie du film qui oppose, de façon plutôt binaire, le nomade et le sédentaire, le monde et le repli, l’urbain et l’indompté.

En soulignant constamment son propos par des phrases sentencieuses (quelle mauvaise idée de reprendre les pensées de Pietro en voix off) et des symboles clignotants (la crevasse, l’ascension), “Les huit montagnes” réduit son duo de faux frères à des figures qui n’échappent pour ainsi dire jamais au programme thématique qui leur a été assigné.

“La femme de Tchaïkovski” de Kirill Serebrennikov

Note: 4/5

D’emblée, le nouveau film de Kirill Serbennikov, auteur des géniaux “Leto” et “La fièvre de Petrov” se profile comme une œuvre funeste marquée par le sceau de la mort et de la folie. Nous sommes en 1893, à Saint-Pétersbourg. Antonina s’approche de la dépouille de son époux, le compositeur Piotr Tchaïkovski, qu’elle n’a pas revu depuis des années. Celui-ci se relève, le temps de lui hurler la haine qu’il lui porte, avant de se recoucher et de retourner à la mort.

Comme son titre l’indique, “La femme de Tchaïkovski” ne sera pas un biopic du musicien, encore moins un film en costumes compassé, mais bien le portrait d’une jeune Russe qui portera un amour aveugle, fou, et à sens unique, au génie artistique.

De leur première rencontre, leur mariage, puis un divorce que refusera jusqu’au bout Antonina, le film s’attache à montrer une relation basée, dès ses origines, sur un mensonge mortifère et cruel. L’homosexualité cachée de Tchaïkovski, son dégoût viscéral au moindre contact physique avec son épouse, pousse cette femme vers une folie qui guette constamment, incarnée par le bourdonnement d’une mouche omniprésente durant tout le film.

>> A voir: un extrait du film “La femme de Tchaikovski” de Kirill Serebrennikov (en vo sous-titrée en anglais)

Reste qu’au-delà de l’ampleur cinématographique du film et de la modernité de sa mise en scène, tout de même moins baroque que les précédentes œuvres de Serebrennikov, on peine à comprendre le véritable point de vue du cinéaste sur cette union insensée qui s’étire un peu trop en longueur.

Derrière cette femme éperdument amoureuse, que la société de l’époque rendra invisible en dehors de son mari et qui mourra dans un asile juste avant la Révolution de 1917, on peut tout au plus deviner une allégorie féministe d’un pays tout entier, aveuglé par le charisme de ses figures les plus destructrices.

“Eo” de Jerzy Skolimowsky

Note: 5/5

Après un ultime numéro de cirque qui ouvre le film de manière magistrale, Kasandra doit laisser partir son âne, Eo (soit hi-han), à cause de militants œuvrant pour la cause animale. La bête de somme traverse dès lors toute une série de péripéties et de rencontres plus ou moins fortunées et pose son regard sur le monde violent et absurde des êtres humains.

Une bande de supporters de foot surexcités qui se mettent à frapper comme des dératés le pauvre âne. Un type électrocutant des rongeurs pour récupérer leur fourrure qui finit assommé par un Eo vengeur. Une comtesse étrange (Isabelle Huppert) perdue dans une demeure surannée en Italie. Ou encore une errance nocturne, digne de “La nuit du chasseur”, dans une forêt sortie d’un conte des frères Grimm.

Une image du film "Eo" du cinéaste polonais Jerzy Skolimowski. [Festival de Cannes - DR]Une image du film “Eo” du cinéaste polonais Jerzy Skolimowski. [Festival de Cannes – DR]

“Eo” du cinéaste polonais Jerzy Skolimowski (“Deep End”, “Le départ”) vous retourne l’esprit, vous triture les émotions et vous chamboule les rétines. Sur les traces de « Au hasard Balthazar », chef-d’œuvre de Robert Bresson lui aussi attaché au point de vue d’un âne, le résultat s’affirme comme une fable picaresque d’une beauté plastique proprement hallucinante, tourbillon cinématographique qui parvient à rendre palpable la sensation d’un animal sans passer par le piège de l’anthropomorphisme.

Collant au plus près du souffle, de la tête, de la peau de son âne, filmé pour ainsi dire comme une créature mythologique dont le cinéaste révèle même les rêves et les souvenirs, “Eo” est une expérience unique, un trip vertigineux et antispéciste qui finit par composer un hymne bouleversant à la nature et au règne animal. Notre seconde grosse claque cannoise.

“Boy From Heaven” de Tarik Saleh

Note: 4/5

Fils de pêcheur, le jeune Adam est accepté à la plus grande université islamique du monde, Al-Azhar, au Caire. Sur place, le candide étudiant découvre un monde où l’hypocrisie rivalise avec la soif de pouvoir. Et quand le Grand Imam meurt, Adam se retrouve instrumentalisé par un officier des services secrets qui en fait sa taupe afin d’influer sur l’élection du prochain Grand Imam, que le gouvernement veut proche du président al-Sissi au détriment d’un candidat radical du côté des frères musulmans.

>> A voir, la bande-annonce du film:

Déjà auteur du formidable “Le Caire confidentiel”, le cinéaste Tarik Saleh rempile dans la charge au vitriol contre la corruption et les manipulations politico-religieuses d’un pays entier dans un récit captivant flirtant avec le thriller. Coproduction suédo-égyptienne, “Boy from heaven” nous immerge au cœur des enjeux de pouvoirs où s’opposent une vision extrémiste de l’islam et une autre bien plus humaniste. Si le relatif classicisme et le caractère un peu trop démonstratif de l’histoire empêche le résultat de toucher au génial, on ne peut qu’être admiratif devant la complexité du portrait que Tarik Saleh dresse de l’Egypte moderne et le trajet douloureux, comme la perte d’innocence, que son héros malheureux va devoir traverser.

“Frère et soeur” d’Arnaud Desplechin

Note: 4/5

Alice (Marion Cotillard) est une grande comédienne de théâtre. Son frère Louis (Melvil Poupaud) est un ancien prof devenu écrivain. Une haine profonde et réciproque les sépare depuis des années, mais au moment où leurs parents se retrouvent à l’hôpital après un violent accident, le frère et sa sœur vont être contraint de se confronter.

>> A voir, la bande-annonce du film:

Après un double préambule d’une violence saisissante – un clash pendant l’enterrement du fils de Louis, suivi d’un accident de la route spectaculaire – “Frère et sœur” creuse avec une cruauté frémissante cette jalousie, cette rancœur, cette haine qui a tout recouvert et dont on ne sait plus très bien si elle renvoie à autre chose qu’une absurde et incertaine origine.

Marion Cotillard dans le film "Frère et soeur" d'Arnaud Desplechin. [Shanna Besson - Festival de Cannes]Marion Cotillard dans le film “Frère et soeur” d’Arnaud Desplechin. [Shanna Besson – Festival de Cannes]

Comme souvent chez Arnaud Desplechin, la question de la réalité de nos vies et des fictions avec lesquelles on les sculpte est au cœur de ce film de crise, familial, intime, qui pourra paraître hermétique en raison de son caractère très littéraire et la distance que l’on peut avoir à l’égard de ces deux personnages peu sympathiques, ou, et c’est notre cas, magnifique par son ampleur romanesque et sa profondeur humaine.

“Triangle of sadness” de Ruben Ostlund

Note: 2/5

Deux mannequins et influenceurs, Carl et Yaya, se déchirent autour d’une question d’argent et de note de restaurant. Ils se retrouvent à bord d’un yacht, près de la Grèce, pour une croisière de luxe où ils rencontrent de très riches vacanciers, un couple d’Anglais qui ont fait fortune dans la vente d’armes, notamment de grenades, une femme de ménage bientôt prête à prendre sa revanche sur ses patrons et un capitaine marxiste qui se calfeutre dans sa cabine, guidé par la boisson et la haine de ses passagers.

>> A voir: un extrait du film “Triangle of sadness”

Après “Snow Therapy”, et sa Palme d’or avec “The Square”, le suédois Ruben Oslund revient avec une satire cynique sur les classes et le concept d’égalité. Mais si l’on avait pu apprécier la gêne profonde que pouvaient provoquer ses précédents films, on se retrouve ici avec une démonstration pachydermique qui ne suscite qu’un ricanement confortable. Avec la scène de vomi et de diarrhée cataclysmique qui dérègle la bienséance à bord du yacht, puis un dernier acte qui renverse les rapports de classes en faisant d’une prolétaire la cheffe, pas moins exploitante, d’une nouvelle société soi-disant plus égalitaire, l’arrogance ronflante de Ruben Ostland lamine tout sur son passage et ne laisse qu’un pathétique étalage de lieux communs exposés comme une grande réflexion sur les inégalités de notre monde moderne. C’est raté!

“R.M.N.” de Christian Mungiu

Note: 4/5

Employé dans un abattoir allemand, Matthias revient, peu avant Noël, dans son village natal, multiethnique, de Transylvanie. Il s’installe chez son épouse, tout en lorgnant du côté d’une ex-petite amie, Csilla. Et son fils Rudi reste traumatisé par quelque chose qu’il a vu dans la forêt près de leur maison. Par ailleurs, quand l’usine que dirige Csilla recrute plusieurs employés étrangers, notamment pour pouvoir obtenir des subsides européens, l’équilibre fragile qui unit la communauté vole en éclat.

>> A voir: un extrait du film “R.M.N” de Christian Mungiu (en vo sous-titré en anglais)

Inspiré d’évènements qui se sont déroulés en Roumanie au début de 2020, “R.M.N.” mélange la fable au portrait social avec un regard d’une justesse et d’une profondeur admirables. Que ce soient les relations entre hommes et femmes, notamment avec la paternité viriliste et la brutalité animale de Matthias, ou le racisme quotidien, qui s’exprime de manière ahurissant lors d’un conseil municipal, filmé en un plan-séquence d’une vingtaine de minutes, où les digues de la raison s’effondrent face aux instincts xénophobes d’une population poussée à bout, “R.M.N.” décape jusqu’à l’os les contradictions et les fêlures d’une communauté prête à imploser.

Marin Grigore, Macrina Barladeanu, Judith State, Orsolya Moldovan et le réalisateur Cristian Mungiu à Cannes pour présenter "R.M.N". [JB Lacroix - Full Picture Agency via AFP]Marin Grigore, Macrina Barladeanu, Judith State, Orsolya Moldovan et le réalisateur Cristian Mungiu à Cannes pour présenter “R.M.N”. [JB Lacroix – Full Picture Agency via AFP]

La figure des ours devient une métaphore déchirante d’une humanité sans barrières qui laisse libre cours à des pulsions les plus primaires. Une œuvre qui, sans être aussi dévastatrice que “4 mois, 3 semaines, 2 jours” du même Cristian Mungiu (Palme d’or 2007), n’en reste pas moins un instantané impressionnant des dérives identitaires et de la complexité d’une Europe tiraillée entre ses différentes cultures.

“Holy Spider” de Ali Abbasi

Note: 3/5

Une mère laisse sa fille pour sortir, la nuit, dans les rues de Masshad, en Iran. On comprend rapidement qu’elle est prostituée, droguée, et au bout d’une quinzaine de minutes, elle finit étranglée par un mystérieux homme à moto. Un tueur en série, surnommé l’araignée, qui écume les rues de la ville et trucide les prostituées pour débarrasser l’Iran de ces femmes “impures”.

>> A voir: la bande-annonce du film “Holy Spider” de Ali Abbasi (en vo sous-titré en anglais)

 

Inspiré d’un fait divers qui s’était déroulé à Masshad de 2000 à 2001, “Holy Spider” adopte la forme d’un thriller tendu où l’on suit, d’un côté, l’enquête fastidieuse d’une journaliste de Téhéran entravée par les autorités, officieusement ravies que le tueur nettoie la ville pour eux, et de l’autre, l’assassin fondamentaliste lui-même, père de famille guidé par des pulsions contradictoires.

L’ambiance glauque du film participe au portrait glaçant d’un Iran complexe, tiraillé entre un radicalisme islamiste et un besoin bridé de justice, de modernité et de rééquilibrage entre hommes et femmes. Un bon film, sans être mémorable pour autant.

“Les amandiers” de Valéria Bruni-Tedeschi

Note: 4/5

Dans les années 80, un groupe de douze aspirants comédiens intègrent l’école de théâtre des Amandiers, à Nanterre, dirigée par Pierre Romans et Patrice Chéreau. Alors que l’apprentissage de l’art passe par une liberté et une exigence forcenées, Stella vit une histoire d’amour incandescente avec Etienne, un écorché vif qui se consume dans la drogue.

>> A voir: la bande-annonce du film “Les amandiers” de Valéria Bruni-Tedeschi

Après plusieurs œuvres librement autobiographiques (“Un château en Italie”, “Les estivants”), l’actrice-réalisatrice Valéria Bruni Tedeschi ressuscite cette volée dont elle faisait partie (Stella, c’est elle) aux côtés de futures vedettes telles que Agnès Jaoui, Marianne Denicourt, Vincent Perez, Bruno Todeschini, Thibault de Montalembert. En résulte un hymne émouvant à la jeunesse, à la création, à l’art dramatique, portrait d’une époque marquée par le SIDA et d’une génération filmée à fleur de peau par la réalisatrice qui plonge au cœur de ce que veut dire jouer, aimer et vivre.

Cerise sur le gâteau, Louis Garrel compose un Patrice Chéreau confondant de vérité et Bruni Tedeschi tend le témoin à toute une génération d’actrices et d’acteurs qui mériteraient un prix d’interprétation commun.

“Decision to Leave” de Park Chan-wook

Note: 2/5

Un homme est retrouvé mort au bas d’une montagne qu’il venait d’escalader. L’enquête est confiée à un détective de Séoul, dont le mariage semble au plus bas. Celui-ci devient obsédé par l’épouse du défunt, une Chinoise d’origine, sa principale suspecte.

>> A voir: la bande-annonce du film “Decision to Leave” de Park Chan-wook:

Tout en suivant l’enquête tortueuse de ce policier, le cinéaste Park Chan-wook (“Old Boy”, “Sympathy for Mr. Vengeance”) se focalise surtout sur la relation étrange et platonique qui va lier le détective et sa suspecte, convoquant l’ombre du “Vertigo” d’Hitchcock. Le résultat, léché jusqu’à la moindre image, laisse toutefois l’impression peu stimulante d’un pur exercice de style, visuel et scénaristique, qui s’évapore aussi rapidement le film fini.

“Crimes of the future” de David Cronenberg

Note: 2/5

Dans une époque et un endroit non défini… Un garçon de huit ans, après avoir mangé une poubelle en plastique, est tué par sa propre mère. L’espèce humaine est en pleine mutation et un groupuscule force ses membres à adapter leur corps et leur nourriture à un environnement technologique et synthétique.

Secondé par sa partenaire Caprice (Léa Seydoux), Saul Tenser (Viggo Mortensen), célèbre artiste performer, met en scène la métamorphose de ses organes dans des spectacles d’avant-garde. Timlin (Kristen Stewart), une enquêtrice du Bureau du Registre National des Organes, suit de près leur travail et se rapproche de Saul, pour lequel elle ressent une attirance irrépressible.

>> A voir: la bande-annonce du film “Crimes of the future”

Si le début du nouveau David Cronenberg ne manque pas d’intriguer, son développement trahit rapidement l’essoufflement d’un cinéaste autrefois génial (“La mouche”, “Faux semblants”, “Le festin nu”, “Crash”), désormais réduit à une parodie verbeuse de lui-même.

Sur le papier, les concepts avancés par “Crimes of the future” fascinent autant que les œuvres antérieures du maître auquel le film se réfère, notamment le séminal “Videodrome” et “Existenz”. Les phrases-chocs fusent, “La chirurgie est le nouveau sexe”, “Le corps est la réalité”, mais au cœur d’un long-métrage fastidieux qui s’époumone à expliciter les ramifications philosophiques et métaphysiques de son histoire plutôt que de les incarner véritablement à l’écran.

“Nostalgia” de Mario Martone

Note: 3/5

Alors qu’il a, pour des raisons nébuleuses, fui Naples quarante ans auparavant, puis s’est marié au Caire et s’est converti à l’islam, Felice Lasco (Pierfrancesco Favino) revient pour la première fois dans sa ville natale afin de rendre visite à sa mère mourante. Ses souvenirs le replongent dans le passé d’une ville qui n’a guère changée et dans sa relation fusionnelle avec Oreste Spasiano, désormais chef de gang redouté du quartier de La Sanita.

>> A voir: la bande-annonce du film “Nostalgia”

Adaptant un roman d’Ermanno Rea, le cinéaste italien Mario Martone (présent à Cannes en 1995 avec “L’amour meurtri”) explore les rues labyrinthiques de Naples en bondissant du présent au passé (par des images au style super-8 un peu artificielles) et ramène son héros vers le moment de rupture de son existence.

La relative beauté du film provient, contrairement à ce que son titre indique, non pas d’une impression de nostalgie, mais de continué immuable, comme si l’histoire avortée de la jeunesse de Felice n’attendait que de reprendre au point où elle s’était arrêtée quarante ans auparavant. La performance de Pierfrancesco Favino (déjà exceptionnel dans “Le traître” de Marco Bellocchio) reste le point fort de ce film sur lequel pèse le destin et la tragédie, sans toutefois trouver toute la profondeur émotionnelle et thématique qu’on pouvait en attendre.

“Tori et Lokita” de Luc et Jean-Pierre Dardenne

Note: 2/5

Tori (Pablo Schills), jeune garçon débrouillard, et Lokita (Joely Mbundu), une adolescente venue d’Afrique qui se fait passer pour sa sœur, tentent de subsister ensemble à Bruxelles. Alors qu’on lui refuse ses papiers, Lokita accepte un travail cauchemardesque dans un hangar où son patron, un restaurateur mafieux, a installé une plantation de cannabis.

Vivotant de petits deals, Tori et Lokita ne peuvent compter que sur leur solidarité pour affronter les difficultés de l’exil. Les rares euros gagnés partent vers la mère de Lokita, restée au pays, vers des passeurs qui réclament le remboursement de leur dette ou vers le paiement d’hypothétiques faux papiers.

>> A voir: la bande-annonce du film “Tori et Lokita”

Le style des frères Dardenne est désormais si rôdé qu’il confine au système. “Tori et Lokita” ne déroge pas à la règle dans cette énième immersion, caméra à l’épaule, dans la réalité de deux sans-papiers à Bruxelles.

Une immersion qui, à force de ne jamais regarder au-delà de ses œillères, empêche toute perspective plus large sur un sujet complexe, condamne les personnages à rester prisonniers du déterminisme et peut provoquer un effet non souhaité de distanciation totale. Distanciation ici d’autant plus ressentie que les dialogues un peu trop écrits des frères Dardenne sortent peu naturellement de la bouche de l’actrice et de son jeune partenaire.

>> A voir: la montée des marches de l’équipe du film mardi 24 mai

“Nostalgia” de Mario Martone

Note: 3/5

Alors qu’il a, pour des raisons nébuleuses, fui Naples quarante ans auparavant, puis s’est marié au Caire et s’est converti à l’islam, Felice Lasco (Pierfrancesco Favino) revient pour la première fois dans sa ville natale afin de rendre visite à sa mère mourante. Ses souvenirs le replongent dans le passé d’une ville qui n’a guère changée et dans sa relation fusionnelle avec Oreste Spasiano, désormais chef de gang redouté du quartier de La Sanita.

>> A voir: la bande-annonce du film “Nostalgia”

Adaptant un roman d’Ermanno Rea, le cinéaste italien Mario Martone (présent à Cannes en 1995 avec “L’amour meurtri”) explore les rues labyrinthiques de Naples en bondissant du présent au passé (par des images au style super-8 un peu artificielles) et ramène son héros vers le moment de rupture de son existence.

La relative beauté du film provient, contrairement à ce que son titre indique, non pas d’une impression de nostalgie, mais de continué immuable, comme si l’histoire avortée de la jeunesse de Felice n’attendait que de reprendre au point où elle s’était arrêtée quarante ans auparavant. La performance de Pierfrancesco Favino (déjà exceptionnel dans “Le traître” de Marco Bellocchio) reste le point fort de ce film sur lequel pèse le destin et la tragédie, sans toutefois trouver toute la profondeur émotionnelle et thématique qu’on pouvait en attendre.

“Les bonnes étoiles” de Hirokazu Kore-eda

Note: 5/5

A Busan, en Corée du Sud, une jeune femme abandonne son bébé au pied de la “baby boxes”, sorte de cocon sécurisé dédié aux nourrissons, à l’entrée d’une église. Deux hommes, décidés à ne pas laisser l’enfant à un orphelinat, récupèrent illégalement le bambin pour le revendre à une nouvelle famille. Mais un couple de policières a observé la scène et file le parcours du bébé, attendant d’arrêter les deux malfaiteurs en flagrant délit. Qui plus est, la mère du nouveau-né revient et suit les hommes afin de s’assurer que son enfant aura la vie qu’il mérite.

Une image de film "Les bonnes étoiles", de Hirokazu Kore-eda. [Festival de Cannes - DR]Une image de film “Les bonnes étoiles”, de Hirokazu Kore-eda. [Festival de Cannes – DR]

Palme d’or en 2018 avec “Une affaire de famille”, le cinéaste japonais Hirokazu Kore-eda s’exile en Corée du Sud, le temps d’un film, pour cette déambulation rocambolesque qui éclaire avec une finesse prodigieuse des thématiques comme l’enfance, l’abandon, la maternité et la solidarité. En formant autour du nourrisson une étrange famille recomposée, “Les bonnes étoiles” jongle avec aisance entre légèreté comique et émotion discrète pour une fable d’une délicatesse souveraine.

“Leila et ses frères” de Saeed Roustaee

Note: 5/5

Téhéran. Esmail, un vieil homme, se rend à l’enterrement du “parrain”. Ses cousins cherchent le successeur de ce dernier, Esmail rêve de cet honneur, mais il est perçu comme un homme faible, pauvre et sans envergure. De son côté, sa fille Leila, qui a sacrifié sa vie pour sa famille, tente d’agir contre l’inertie de ses quatre frères endettés jusqu’au cou à cause de la crise économique.

"Leila et ses frères", un film de Saeed Roustaee. [Amirhossein Shojaei - Wild Bunch Distribution]“Leila et ses frères”, un film de Saeed Roustaee. [Amirhossein Shojaei – Wild Bunch Distribution]

Elle propose l’achat d’une boutique, bientôt construite à la place des toilettes d’un centre commercial, pour lancer une affaire avec eux. C’est sans compter la résistance des quatre hommes lâches et résignés à leur sort comme de celle d’un patriarche qui ne pense qu’à être élu comme nouveau “parrain”.

Une tragicomédie familiale

Après l’excellent “La loi de Téhéran”, le cinéaste iranien Saeed Roustaee orchestre, avec une modestie formelle qui relève avant tout la richesse de ses personnages, une tragicomédie familiale où le marasme économique iranien et les contradictions entre tradition et modernité explosent avec fracas.

Sur près de 2h45, le réalisateur sature son récit de dialogues qui deviennent autant de joutes verbales hallucinantes et pousse dans ses derniers retranchement cette fascinante Leila confrontée à la passivité désarmante de sa famille qui se complait dans une logique de l’échec. Les comédiens sont au diapason et tirent vers des hauteurs inattendues cette autopsie stupéfiante d’un clan comme d’un pays.

“Pacifiction” d’Albert Serra

Note: 3/5

Sur l’île de Tahiti, le Haut-Commissaire de la République française De Roller (Benoît Magimel) passe ses journées entre la boîte de nuit de la région, les réceptions officielles, des compétitions de surf et les réunions avec les représentants de la population locale. Il doit faire face à une rumeur persistante, qui prétend que les essais nucléaires reprendraient bientôt. La grogne d’une poignée d’autochtones, instrumentalisés par des représentants d’autres pays, met à mal l’art de la diplomatie de De Roller.

>> A voir: la bande-annonce du film “Pacifiction” d’Albert Serra

Connu pour des œuvres radicales comme “La mort de Louis XIV” ou “Liberté”, le cinéaste et producteur espagnol Albert Serra prend ici tout son temps, 2 heures 45, pour exposer un microcosme représentatif des tensions post-coloniales. Par des séquences qui semblent improvisées, parfois burlesques, décalées ou politiquement cinglantes, “Pacifiction” s’affirme sans doute comme l’œuvre la plus accessible de son auteur, même si sa durée conséquente pourra effrayer le public le moins téméraire. D’une beauté formelle évidente, appuyé par la performance très libre de Benoît Magimel, le résultat n’en reste pas moins tout à fait réussi, aussi drôle que pathétique.

“Stars at Noon” de Claire Denis

Note: 3/5

Coincée au Nicaragua en raison d’un passeport confisqué, Trish, une jeune journaliste américaine, végète dans un pays au bord de la guerre civile. Elle vend ses charmes à un policier du Costa Rica avant de s’attacher à un businessman anglais opaque, chargé d’un projet humanitaire, qui lui promet de la faire sortir du pays. Mais l’arrivée d’un agent de la CIA complique les choses.

Sous des dehors de thriller politique, “Stars at Noon” est avant tout un film de Claire Denis qui préfère laisser l’efficacité du genre et la clarté du récit à d’autres.

>> A écouter: l’interview dans Vertigo de Léa Mysius, co-scénariste de “Stars at Noon”

L’invitée: Léa Mysius “Stars at noon” / Vertigo / 19 min. / le 25 mai 2022

Adaptant un roman de Daniel Johnston, la cinéaste française semble ici un peu coincée entre le contexte narratif de son film, qui ne renvoie plus à l’époque sandiniste des années 80 comme dans le roman, mais à une réalité contemporaine vague et générale, et sa mise en scène portée intégralement sur la sensualité, les corps, les atmosphères, les sensations.

>> A voir, la bande-annonce de “Stars at Noon”:

Un peu perdu dans cette pérégrination au but nébuleux et aux fulgurances cinématographiques trop rares, on reste surtout fasciné par la présence et l’énergie bouillonnantes de l’actrice Margaret Qualley, la fille de Andie MacDowell.

“Close” de Lukas Dhont

Note: 5/5

Notre Palme est toute trouvée avec cette déflagration de cinéma à l’état pur qui déborde d’une émotion dévastatrice comme on en ressent très rarement.

Caméra d’or en 2018 avec “Girl”, le réalisateur belge Lukas Dhont entre pour la première fois en compétition et devrait en toute logique décrocher le Graal ce samedi.

Une image du film "Close", de Lukas Dhont. [Diaphana Distribution]Une image du film “Close”, de Lukas Dhont. [Diaphana Distribution]

Avec “Close”, il suit l’amitié fusionnelle entre Léo et Rémi, deux ados de 13 ans. Mais lorsque l’école commence, les commentaires blessants sur leur relation éloigne Léo de Rémi. Heurté par le rejet de son meilleur ami, qui cherche à ne pas être ostracisé par les autres élèves, Rémi se renferme. Jusqu’à un événement terrible qui trace une séparation définitive entre les deux amis et plonge la mère de Rémi, Sophie (Emilie Dequenne), dans l’incompréhension.

>> A voir, un court extrait de “Close” de Lukas Dhont:

Déjouant constamment les directions attendues qu’appelle son histoire (non, ce ne sera ni un récit initiatique sur les premiers émois homosexuels entre deux ados, non, ce ne sera pas non plus un film sur le harcèlement scolaire), “Close” impose d’emblée une mise en scène totalement organique, focalisée sur les visages, les corps en mouvement, les regards, les non-dits.

>> A voir, le sujet du 19h30 consacré à “Close”, film coup de coeur de Julie Evard:

"Close" du Belge Lukas Dhont: l'un des chefs-d'oeuvre de la 75ème édition du Festival de Cannes [RTS]

“Close” du Belge Lukas Dhont: l’un des chefs-d’oeuvre de la 75ème édition du Festival de Cannes / 19h30 / 2 min. / le 27 mai 2022

Avec une virtuosité jamais stérile, Lukas Dhont montre plutôt qu’il n’explique et trouve, dans les zones enfouies de son récit, une profondeur humaine et émotionnelle proprement prodigieuses. Soutenu par le comédien Eden Dambrine (Léo), révélation foudroyante du film, le résultat nous emmène très loin et incarne ses thématiques avec une force inouïe, posant la question du pardon, de la culpabilité, de comment continuer à vivre après une séparation.

Gustave De Waele et Eden Dambrine dans "Close", de Lukas Dhont. [Diaphana Distribution]Gustave De Waele et Eden Dambrine dans “Close”, de Lukas Dhont. [Diaphana Distribution]

Il faut voir ces instants de pur grâce, un échange de regard entre Léo et la mère de Rémi lesté de tout le poids de ce qui ne peut être encore exprimé, une course dans un champ de fleurs, l’absence qui pèse et imprime ses réminiscences dans chaque plan, pour saisir la grandeur de ce film dont on sort les yeux embués par tant de beauté. A ce stade, ça s’appelle un chef-d’œuvre.

“Un petit frère” de Léonor Serraille


Note: 3/5

Venant de quitter la Côte d’Ivoire, Rose arrive à Paris avec deux de ses enfants, Jean et Ernest. Elle s’installe dans un appartement en banlieue et gagne sa vie comme femme de ménage. Nous sommes en 1989 et dans cette famille monoparentale, on presse Rose de trouver un homme pour la soutenir. Elle refuse, se focalisant sur la réussite scolaire de ses deux enfants.

"Un petit frère" de Léonor Serraille. [France 3 Cinéma]“Un petit frère” de Léonor Serraille. [France 3 Cinéma]

Dix ans plus tard, Jean a quitté l’école et végète, exprimant toute la colère qu’il a accumulé contre sa mère. De son côté, Ernest cherche, dans le contact avec son frère, un lien essentiel et fondateur. Plusieurs années après, la famille a éclaté et Ernest retrouve sa mère, l’occasion d’exprimer toutes les rancœurs et les déceptions passées.

Après le très réussi “Jeune femme”, emporté par le tourbillon Laetitia Dosch, Léonor Serraille s’intéresse au parcours, sur près de vingt ans, de cette famille monoparentale immigrée en trois chapitres, le premier focalisé sur la mère, Rose, le second sur l’aîné, Jean, le troisième sur le cadet, Ernest. Une construction qui, en plus d’ellipses trop brutales, empêche une réelle adhésion aux personnages, le film passant de l’un à l’autre dans une sorte de chronique décousue qui embrasse à la toute fin, et un peu tard, l’étendue émotionnelle que son histoire promettait. Une déception.

“Showing Up” de Kelly Reichardt

Note: 3/5

Lizzie (Michelle Williams) vit seule avec son chat dans une existence qui semble stagner. Mais la préparation d’une prochaine exposition de ses sculptures pourrait changer son destin. Immergée dans les ateliers d’artistes de Portland, Lizzie commence à exacerber un sentiment de jalousie et de concurrence avec sa voisine, sa propriétaire, artiste elle aussi. L’arrivée d’un pigeon blessé n’arrange rien à la pression que se met sur les épaules la sculptrice solitaire.

L'actrice américaine Michelle Williams et la réalisatrice Kelly Reichardt présentent "Showing Up" au 75e Festival de Cannes le 27 mai 2022. [Valery HACHE - AFP]L’actrice américaine Michelle Williams et la réalisatrice Kelly Reichardt présentent “Showing Up” au 75e Festival de Cannes le 27 mai 2022. [Valery HACHE – AFP]

Neuvième long-métrage de la cinéaste indépendant américaine Kelly Reichardt (“Certaines femmes”, “First Cow”), “Showing Up” adopte les allures d’une exploration aigre-douce des milieux artistiques en marge de New York. Avec son style habituel, minimalisme de la mise en scène, lenteur (parfois rébarbative) du récit, la réalisatrice parvient à former un amusant duo dépareillé, entre Lizzie et sa voisine, lié par le pigeon dont chacune s’occupe à tour de rôle. Sans tomber dans la moquerie attendue des milieux de l’art, le film s’intéresse avant tout aux petites rivalités souterraines, à la frustration et au manque de reconnaissance dont souffrent l’héroïne, et finit par former, par touches discrètes et subtiles, le portrait d’artistes mineurs, mais sincères, guidés par la routine d’expositions peu spectaculaires.

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