Prêtre, religieux, diacre : « Le jour où j’ai été appelé(e) à la vie consacrée »

Ils et elles sont prêtres diocésains, religieux, religieuses, vierges consacrées et diacres. Toutes et tous ont reçu, à un moment donné, un appel à la vie consacrée. À l’occasion de la Solennité des saints Pierre et Paul et des ordinations dans les différents diocèses, ils nous racontent leur appel… et comment ils y ont répondu.

Frédéric Sanges, prêtre pour le diocèse de Nice, ordonné en 2008

J’ai grandi à Rome, où j’étais servant de messe à Saint-Louis-des-Français. Un jour où je servais la messe avec Jean Paul II, en visite pastorale en tant qu’évêque de Rome, il m’a donné la communion. C’est à cet échange de regards que, rétrospectivement, j’attribue les premiers signes de mon appel.

Chose inattendue, le visionnage du film Pretty Woman à l’adolescence a été un moment marquant, à cause du personnage de Bernie, le directeur d’hôtel. Dans le film, il est le lien qui permet de faire cohabiter deux mondes différents, celui du businessman et de la prostituée. Ça m’a donné envie de faire le même travail que lui !

J’ai fait des études en économie du tourisme et gestion hôtelière, puis j’ai commencé à travailler, à Nice. Mais, très vite, j’ai réalisé que ce n’était pas ce que je voulais faire. Le but, dans l’hôtellerie, c’était de faire du chiffre ; moi je voulais accueillir les gens ! Cette prise de conscience est intervenue à un moment de retour à la foi : j’avais quitté le cocon familial et cessé de pratiquer, mais je ressentais un manque qui m’avait remis sur le chemin de l’église.

L’idée du sacerdoce continuait à me trotter dans la tête. Je suis allé voir le prêtre chargé des vocations pour le diocèse, et, en discutant avec lui de mes doutes et de mes désirs, j’ai senti une grande sérénité. Comme une confiance, un accomplissement, une émotion difficile à décrire qui me disait « ne t’inquiète plus de rien, tu es dans Ses mains ». Après une relecture de vie, j’ai continué de ressentir cette sérénité qui semblait confirmer un appel à la vocation. Sur la route, beaucoup de signes, de personnes extérieures m’ont fait réaliser que c’est là qu’était ma place. C’est comme ça que parle l’Esprit saint !

Je me souviens de mon ordination comme d’un jour stressant, mais aussi comme d’un moment de grâce et d’indignité : je me disais que ce n’était pas possible qu’un être humain soit capable de rendre Dieu présent sur terre ! Mais c’est aussi là que réside l’abandon : Dieu fait des merveilles avec des instruments inutiles.

Aujourd’hui, je me suis retrouvé un peu par hasard en lien auprès des élus, des patrons d’entreprise, etc. Je pense que l’Église a le devoir d’être partout, auprès de tous les milieux sociaux et dans tous les domaines. Il n’y a pas assez de prêtres qui évangélisent les riches et les puissants, qui ont aussi des angoisses, des peurs, des questionnements, et qui ressentent souvent une forme de solitude. Certes, je suis parfois critiqué pour cela. Mais je retrouve ce qui m’avait touché dans ce personnage de Pretty Woman : créer du lien entre les différents milieux sociaux, et accueillir chacun comme il est.

Linda Guerfi, vierge consacrée pour le diocèse de Paris, consacrée en 2020

J’ai toujours eu un attrait pour la vie religieuse, le désir d’un don radical à Dieu depuis toute petite. Mais lorsque j’avais séjourné dans des communautés religieuses, je n’avais pas ressenti d’appel particulier. À l’époque, je n’avais pas bien compris pourquoi je n’étais pas appelée à la vie religieuse, mais je l’avais accepté… Même si je sentais que je vivais comme un tiraillement le désir d’une vie d’intimité avec Dieu, et ma présence dans le monde en tant qu’enseignante.

Mon appel s’est manifesté en différentes étapes. Il y a d’abord eu, lors d’un pèlerinage en Terre sainte, cette phrase du Cantique des cantiques, qui revenait sans cesse : « Ne réveillez pas mon amour avant l’heure de son bon plaisir. »

Je suis une personne qui a besoin de contrôler, de maîtriser, qui peine à lâcher prise. Est arrivé un moment où j’ai dû m’abandonner car j’étais épuisée. Je me suis dit : « Si demain je devais partir, je ne suis pas allée au bout de ce que je voulais. » Quelque chose, dans ce lâcher-prise, m’a permis d’être disponible pour recevoir l’appel, qui est venu lors de cette fameuse oraison en septembre 2019.

Dans ce temps de méditation, je me suis remémoré une question qu’un proche m’avait posée : pourquoi la vie religieuse ? En y réfléchissant, j’ai compris que mon désir le plus profond était cette union avec Dieu. Le mot de vierge consacrée est venu très clairement, avec cette motion intérieure : c’était là que je devais être. Je ne m’étais jamais vraiment reconnue dans cet ordre religieux par le passé. J’en avais une image un poussiéreuse. Pourtant, mon oui a été immédiat : à partir du moment où j’ai reçu mon appel, j’ai su que c’était ça.

Je me suis renseignée, j’ai fait des recherches sur Internet, j’ai lu le texte officiel du Vatican Ecclesiae Sponsae Imago de 2018 sur l’ordre des vierges consacrées… et c’était exactement ce que je cherchais. Je trouvais ces filles belles, rayonnantes. Cela m’a confortée.

L’enseignement est aussi une vocation pour moi ! Or, si j’avais été au monastère, j’aurais dû choisir, mais j’avais besoin de m’incarner. Aujourd’hui, je comprends pourquoi j’ai été appelée dans le monde. Pour moi, l’union à Dieu n’a de sens que quand on vit avec les autres ! C’est la relation aux autres qui nourrit ma vie aujourd’hui.

Le jour de ma consécration a été un moment de joie profonde. J’ai pris conscience que c’était un très grand cadeau, quelque chose qui me dépassait complètement. J’ai eu l’impression que ce jour-là, tout m’a été donné, et que maintenant ça se déploie chaque jour un peu plus. Cela n’empêche pas les épreuves et les combats : même si elle est intégrée en paroisse, cette vocation reste assez solitaire, et la vie en communauté me manque parfois. Mais je reste dans une union profonde, dans ce lien des épousailles avec le Christ en particulier.

Adrian Baciu, frère franciscain conventuel à Cholet (49), vœux définitifs en 2006, ordination en 2010

Mon appel à la vocation religieuse est venu peu à peu. J’ai découvert la figure de saint François à travers le scoutisme dans mon pays, la Roumanie, au début de mon adolescence. J’étais touché par sa vie fraternelle, proche des autres et de la nature. J’étais introverti, je lisais beaucoup, je passais beaucoup de temps à réfléchir…

Lire la biographie de saint François, qu’un ami m’avait prêtée, m’a ouvert l’esprit. Sa vie me semblait idéale : il voyageait, était libre, menait une vie simple et aimante, priait… Vers 14 ans, j’ai voulu en savoir plus et j’ai intégré une école confiée aux frères. À l’époque, je ne me posais pas la question du sacerdoce. Je voulais simplement imiter François.

Pendant mes études à l’école franciscaine, j’ai commencé à faire du bénévolat chez les sœurs de Mère Teresa, auprès des plus pauvres. J’ai compris que j’avais idéalisé la figure de François. Cette expérience m’a aidé à atterrir, à incarner cet idéal, à sortir du fantasme et à comprendre qu’être frère, c’était aussi demeurer auprès de personnes en très grande difficulté, et pas juste chanter dans les bois ! Comme François, je devais aussi faire la rencontre avec le lépreux.

Après quelques années de bénévolat pour prendre du recul, j’ai choisi d’entrer au postulat. J’ai ensuite enchaîné avec le noviciat et six années d’études en Roumanie, un temps long qui m’a obligé à faire évoluer, à maturer mon choix vocationnel. J’avançais dans l’incertitude. Au cours de mon discernement, j’ai connu des moments d’obstacles, d’hésitations, de panique même : serai-je fidèle ? Serai-je capable ? Ne ferai-je pas marche arrière ? Je ne sais pas de quoi sera fait demain. Mais ce que je sais, c’est que lorsque je regarde en arrière les événements passés, Dieu était là à chaque instant. Alors je me jette dans l’inconnu, encouragé par le passé, avec patience. Le discernement n’a pas pour but que l’on soit sûr et certain que la vocation religieuse est notre appel. Il a pour but d’entraîner notre confiance, à nous abandonner.

La décision du sacerdoce, par exemple, a été difficile à prendre. Pour moi qui suis d’un naturel introverti, c’était difficile d’imaginer que je puisse m’exprimer publiquement, être au milieu au cours de la célébration. Saint François, après tout, n’avait jamais été ordonné prêtre ! Je me souviens d’un pèlerinage, au cours duquel j’avais évoqué mes hésitations avec une grand-mère. Je ne savais pas si je voulais devenir religieux prêtre, ou rester frère. « Le peuple de Dieu a besoin de prêtres », m’a-t-elle répondu. Ça m’a ouvert les yeux ! J’ai cessé de voir le sacerdoce comme une réalisation de soi, un épanouissement de mes rêves d’enfance, mais plutôt comme un service à Dieu, à l’Église et à moi-même.

Benoît Nivert, diacre permanent pour le diocèse de Quimper et Léon, et sa femme Christine, mariés en 1993, Benoît ordonné en 2016

C’était en 2012. Cela faisait quelques années que nous nous disions tous les deux que, tant dans notre vie de couple, de famille et de chrétiens, il fallait que nous avancions. Un peu comme quand, après quelques mois de mariage, nous avions senti que notre amour devait continuer à s’épanouir et que ça devenait évident qu’il doive bientôt donner la vie. Nous sentions que nous voulions continuer à nous donner, que quelque chose de l’ordre de l’appel allait venir, sans savoir quelle forme cela prendrait.

Au cours d’un rassemblement diocésain pour la Pentecôte, à l’abbaye de Landévennec (Finistère), le curé de notre paroisse est venu nous trouver. Il nous a dit qu’avec l’équipe de prêtres, ils sentaient que l’Église appelait Benoît comme diacre. Le curé a proposé qu’on y réfléchisse tous les deux. C’est d’ailleurs comme cela que ça se passe pour les diacres permanents, à la différence du sacerdoce : le diaconat n’est pas un appel propre, on ne reçoit pas la vocation ! C’est l’Église qui appelle.

Pour nous qui étions inscrits dans une vie d’Église, cet appel ne nous paraissait pas décalé. Cela nous rejoignait dans notre histoire. Après deux ans de réflexion avec d’autres couples eux aussi appelés au diaconat, nous avons écrit une lettre à l’évêque pour être admis en diaconat, dans une formation de cinq à six ans. Ce long temps de formation nous a permis de laisser nos cœurs être transformés par l’Esprit, pour comprendre que nous n’avions pas à « faire » le diacre mais à l’être… et à mieux percevoir le sens de cette vocation ! Le diacre n’est pas un « sous-prêtre ». Le prêtre est un pasteur, tandis que le diacre est un serviteur.

Christine : Le jour de son ordination, Benoît était sur une autre planète lorsqu’il est sorti de l’église, rayonnant, transfiguré ! J’aurais pu être jalouse de cette joie ! Mais c’était tellement débordant que ça inondait les autres autour. Après plusieurs mois d’ordination, il m’a dit être encore plus amoureux de moi qu’avant !

Benoît : Quand l’évêque m’a appelé lors de l’ordination, je me suis levé et ai répondu « Me voici. » Christine m’a rejoint, a dit son « oui ». Puis l’évêque m’a invité à monter dans le chœur, et ma femme est retournée dans l’assemblée. J’ai eu un pincement au cœur qui m’a fait vivre un vrai déplacement. Je rentrais dans le monde des clercs, tandis que Christine restait dans l’assemblée. C’était la matérialisation et donc la prise de conscience de ce changement d’état.

Christine : Les premières semaines où Benoît servait à l’autel et que j’étais dans l’assemblée, je ne savais pas trop où me mettre. Puis je me suis habituée. Ça ne me gêne plus d’être seule dans la nef, je ne suis plus à côté mais en face de lui : c’est encore mieux ! Je ne vis pas cela comme un arrachement ou une coupure, l’unité se fait différemment. Ce que le sacrement lui apporte dégouline sur moi. L’ordination diaconale n’était qu’un bouton de rose, le début de quelque chose. Comme le mariage, ce sacrement se déploie tout au long de la vie.

Aymar de Langautier, prêtre pour le diocèse de Toulouse, ordonné en 2020

L’appel, c’est un mystère. Je ne me suis pas réveillé un jour en me disant : « Tiens, je vais être prêtre. » Mais je me souviens que ce désir est venu lors de ma première communion. J’ai senti que pour la première fois, Dieu venait m’appeler, par une voix qui me disait : « Je te veux comme prêtre ». Ma mère m’a dit récemment qu’après la messe de ma première communion, mon visage était comme transfiguré ! Mon désir s’est matérialisé par la profonde joie que j’avais en rencontrant des prêtres : les aumôniers scouts, ceux qui venaient dîner à la maison, les prêtres qui célébraient la messe. J’aimais les regarder pendant la procession d’entrée et de sortie le dimanche, je me disais qu’un jour je serais avec eux, et c’était ma fierté.

Je me souviens en avoir parlé spontanément à l’école lorsqu’on me demandait ce que je ferais plus tard. Conscients que cela pourrait attirer des moqueries, mes parents m’ont encouragé à garder cet appel dans mon cœur, tout en me donnant des lieux d’expression pour partager ça. L’adolescence n’a pas remis en question la foi que mes parents m’avaient transmise. Je savais que ce que j’avais dans le cœur était précieux, que cela valait la peine d’être vécu, ça n’a jamais été un poids pour moi.

Le premier prêtre à répondre à mes questions était un diocésain. Par la suite, j’ai moi aussi voulu officier dans une paroisse. Je voulais être sur le terrain, avoir une grande liberté de mouvement, liberté de vie. Je suis donc entré au séminaire à Toulouse. Un des moments les plus marquants a été mon stage en Afrique du Sud : moi qui ne m’étais jamais trop éloigné de ma famille, j’ai compris que le Seigneur m’appelait en dehors de mon giron, à connaître mes échecs, à me débrouiller par moi-même et développer mon caractère.

J’ai été ordonné le 28 juin 2020, 20 ans presque jour pour jour après mon appel en 2000. Ma première messe, le lendemain, était très émouvante : beaucoup de prêtres et de séminaristes sont venus dans cette église dans laquelle j’avais été baptisé.

Pascale Boyer, religieuse xavière à Créteil, vœux définitifs en 2005

J’ai commencé très tôt à travailler comme institutrice, à 20 ans. J’y ai découvert la joie d’apprendre à donner, ça m’a ouvert le cœur. Mais, par une retraite spirituelle, Dieu a pris l’initiative de me montrer que si je lui donnais toute ma vie, ce serait lui le plus heureux de nous deux, comme un amoureux ! J’ai compris qu’Il m’appelait en méditant la parole de Jésus à Philippe dans l’Évangile de Jean : « Il y a si longtemps que je suis avec toi, et tu ne me connais pas. » Ce n’était pas un reproche, mais une invitation amoureuse. Cette parole était pour moi.

J’ai reconnu encore davantage cet appel lorsque le prêtre qui m’accompagnait dans cette retraite m’a dit : « Toutes vos joies sont d’Église. Est-ce que ça ne vaudrait pas le coup de réfléchir à la vie consacrée ? » Au fur et à mesure, j’ai compris que Dieu interpelle toujours au bon moment, quand on peut l’entendre, qu’on est réceptif. Quand on reçoit cet appel, c’est comme si on ouvrait une porte. J’étais dans le brouillard, je ne savais pas quelle décision prendre. Ça m’a donné envie d’aller plus loin. Au fur et à mesure de mon discernement pour confirmer si cet appel venait bien de Dieu, cela s’est confirmé dans le quotidien de ma vie.

Je me souviens de mes vœux définitifs comme le sentiment de faire un grand plongeon dans le vide, dans l’inconnu. C’est un peu comme signer un chèque en blanc. On donne tout. Je sais que la croix du Christ m’a tenue à ce moment-là comme dans tous les moments difficiles, les combats dans la vie communautaire. La joie du Christ traverse mes petites morts quotidiennes.

Les enfants que j’accompagne en tant qu’institutrice sont un signe de la fidélité de l’amour de Dieu pour moi. Ces paroles d’enfants m’appellent tous les jours à grandir dans ma vocation… et de l’autre côté, la vie communautaire nous équilibre autant qu’elle nous érode, elle authentifie notre consécration. C’est d’ailleurs aussi pour ça que j’ai choisi d’être xavière. Je voulais vivre ma foi en plein monde, faire l’expérience de la vie chrétienne de manière sérieuse, authentique, profonde.

J’aime cette phrase de notre fondatrice, Claire Monestès : « On ne demandera pas ce qu’elles font mais ce qu’elles sont. » Comme Madeleine Delbrêl, j’ai décidé d’être « chrétienne dans la masse », de vivre une vie ordinaire au milieu des gens, non pour me dissoudre dans la masse mais pour trouver Dieu là où il est, en chacun.

Prêtre, religieux, diacre : « Le jour où j’ai été appelé(e) à la vie consacrée »