Pourquoi la crise climatique est aussi une crise de santé mentale



Le

changement climatique
. Pour certains d’entre nous, la simple lecture de ces mots peut provoquer
une réaction émotionnelle d’inquiétude ou d’anxiété. Alors que les
bouleversements sur la planète s’enchainent, les professionnels de la santé
mentale tirent la sonnette d’alarme sur les conséquences psychologiques de
la crise écologique.


En 2021, l’American Psychological Association (APA) a publié une

étude
en collaboration avec l’organisation à but non lucratif EcoAmerica,
soulignant la menace que la crise climatique fait peser sur la santé
mentale. En juin 2022, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a publié
une

note d’orientation
invitant les pays à intégrer le soutien psychologique dans leurs réponses
au changement climatique. Dans le monde entier, des personnes déclarent se
sentir anxieuses, stressées, tristes et même désespérées. Selon l’APA, plus
des trois quarts des Américains se dirent « préoccupés » par le
changement climatique et près d’un quart affirment être « alarmés
», soit près du double par rapport à la précédente étude conduite en 2017.


L’impact sur la santé mentale n’est qu’une des innombrables conséquences
découlant de la

crise climatique
. Et si cela peut paraître moins conséquent face aux habitations détruites,
aux pénuries alimentaires et aux nouvelles maladies, l’ignorer représente
un danger à ne pas sous-estimer. En effet, la santé mentale et la santé
physique sont indissociables, et la psychologie joue un rôle majeur dans la
façon dont les personnes agissent (ou n’agissent pas) en réponse à des
crises comme le changement climatique.


«

Le changement climatique est l’un des problèmes les plus cruciaux
auxquels notre nation et le monde sont confrontés aujourd’hui, et il a
déjà un impact considérable sur la santé mentale des personnes dans le
monde entier

», a déclaré Arthur Evans Jr, PDG de l’APA. «

La psychologie, en tant que science du comportement, jouera un rôle
central dans les changements globaux qui sont impératifs pour ralentir
– et, nous l’espérons, arrêter – sa progression.

»

 

Le changement climatique a des répercussions à court et à long terme sur la santé mentale. Mads Perch/Getty Images


Du pré-traumatisme au post-traumatisme, personne n’est à l’abri


Tempêtes extrêmes, inondations, incendies de forêt… Les nouvelles
alarmantes ponctuent désormais notre quotidien informationnel. Mais ce dont
nous n’entendons pas parler, c’est le bilan psychologique durable de ces
événements. Chaque catastrophe laisse des milliers de survivants aux prises
avec ses conséquences, provoquant traumatismes, stress et affliction.


Selon le rapport de l’APA de 2021, des études ont révélé des taux de
syndrome de stress post-traumatique (SSPT) atteignant 40 % après des
catastrophes naturelles. Certaines populations sont encore plus touchées.
Après l’ouragan Maria à Porto Rico en 2017, 65,7 % des personnes qui ont dû
évacuer l’île répondaient aux critères du SSPT. D’autres problèmes de santé
mentale prolifèrent au lendemain de catastrophes, notamment l’anxiété, la
dépression, les pensées suicidaires et la toxicomanie.


Pour autant, le fait d’éviter une catastrophe ne signifie pas
nécessairement que l’on est à l’abri. Les personnes moins directement
touchées sont également en difficulté. Outre les changements
météorologiques, les vagues de chaleur, les sécheresses et les pannes de
courant, il y a la crainte toujours présente de ne pas savoir quand ou si
ce sera « notre tour » de subir une calamité. La crainte de ce que le
changement climatique pourrait apporter, et l’incertitude inhérente, ont
conduit à des phénomènes connus sous le nom d’« anxiété climatique » et d’
« éco-anxiété ».

 

La santé mentale va au-delà de l’individu. Vicki Smith/Getty Images


L’APA a également défini une nouvelle pathologie : le « syndrome de stress
pré-traumatique », c’est-à-dire le fait de vivre dans un état de stress
permanent face à une éventuelle catastrophe à venir. Selon l’OMS et l’APA,
certaines populations sont particulièrement vulnérables à l’anxiété, en
particulier les jeunes et les populations autochtones.


Si le terme d’anxiété climatique peut faire penser à un trouble mental, il
s’agit d’une réponse émotionnelle à une situation réelle, et non d’un
symptôme de maladie. Cependant, ce sentiment peut devenir suffisamment
accablant pour peser sur notre vie quotidienne, avec des signes similaires
à ceux de l’anxiété clinique. Et pour les personnes souffrant de troubles
mentaux préexistants, ces effets peuvent être encore plus difficiles à
supporter.


Pourquoi la santé mentale est importante pour la planète


La santé mentale peut affecter tous les domaines de la vie. L’OMS évoque
des effets sur le sommeil, le système digestif et le système immunitaire.
Ce phénomène peut aussi avoir une incidence directe sur notre capacité à
agir pour la planète. En effet, bien que la majorité d’entre nous soient
préoccupés par le changement climatique, cela ne se traduit pas toujours
par des actions. Beaucoup de personnes sont tétanisées par l’angoisse,
l’impuissance et ce qu’on appelle la « spirale du silence » où l’on évite
tout simplement de parler du sujet.


Les professionnels de la santé mentale sont les premiers à constater ces
tendances dans leurs travaux et recherches. Selon eux, pour lutter
efficacement contre le changement climatique, il nous faut apprendre à
accepter les émotions négatives qu’il suscite. Ces émotions étant très
répandues, elles peuvent aussi servir à unir l’humanité dans une expérience
commune, montrant à quel point le changement climatique affecte et
affectera directement chacun d’entre nous.

 

John Fedele/Getty Images


Comment bien réagir ?


Au-delà du stress pré- et post-traumatique, certaines personnes, après une
catastrophe naturelle, connaissent une « croissance post-traumatique ». Elles «

sortent d’une perturbation importante avec le sentiment d’avoir acquis
quelque chose de positif, comme des relations sociales plus fortes ou
des compétences spécifiques

», explique l’APA.


Ce phénomène montre clairement que les troubles débilitants ne sont pas une
conséquence inévitable du traumatisme. Une alternative est non seulement
possible, mais courante. La plupart des personnes sont capables de se
remettre d’événements traumatiques sans développer de SSPT ou d’autres
troubles durables, et beaucoup font état d’un certain type de résilience
émotionnelle ou spirituelle. Il ne s’agit pas de minimiser le traumatisme
en lui-même, mais plutôt de souligner la capacité humaine à transformer
quelque chose de terrible en quelque chose d’autre.


Mais comment accomplir cela ? Pour chaque épreuve, il existe des mesures
que l’on peut prendre pour renforcer sa résilience, éviter de rester englué
dans le désespoir et s’adapter à la situation aussi sainement que possible.
En voici quelques-unes.


Faire le deuil


Dans le film Katrina Babies, le réalisateur Edward Buckles Jr. a
interrogé des survivants de l’ouragan Katrina de 2005 à la Nouvelle-Orléans
qui étaient enfants au moment de la tempête. De nombreux témoins expliquent
qu’en deux décennies, personne ne leur a jamais demandé ce qu’elles avaient
vécu, ni si elles allaient bien.


Or, les blessures psychologiques demeurent longtemps après que la vie a
repris son cours. Ces sentiments sont aussi naturels qu’inévitables. Il ne
sert à rien de les refouler ou de les nier.


Selon le psychologue Scott Barry Kaufman, il est extrêmement important de
s’autoriser à faire son deuil, de trouver un exutoire fiable à ses pensées
et émotions sur la durée, au fur et à mesure que le chagrin s’exprime.
L’art ou la musique peuvent être incroyablement thérapeutiques.


Transformer l’anxiété en action


L’anxiété est une source d’énergie. Dans la nature, les animaux apeurés
sécrètent des hormones de stress nécessaires pour survivre aux prédateurs.
Il en va de même chez l’homme. Dans le contexte de la crise climatique, on
peut exploiter cette énergie pour engager un certain type d’action pour
l’avenir. Pour certains, cela peut être de rejoindre une organisation ou
une action civique contre le changement climatique. Pour d’autres, il
s’agira de s’adapter en préparant sa maison aux situations d’urgence ou en
partageant des outils et des compétences avec sa communauté.


Les recherches montrent que, pour certaines personnes, agir peut avoir un
effet bénéfique sur la santé mentale, en désamorçant le stress pour le
ramener à un niveau plus gérable et en procurant un sentiment d’efficacité,
de sens, de connexion voire d’espoir. À la suite de l’ouragan Harvey en
2017, par exemple, les personnes qui ont partagé des informations sur la
reconstruction après la catastrophe avec d’autres étaient plus susceptibles
de connaître une croissance post-traumatique plutôt qu’un SSPT, selon
l’APA.


Ed Gillespie, l’un des directeurs de Greenpeace UK, écrit dans la préface
du livre

A Guide to Eco-Anxiety: How to Protect the Planet and Your Mental
Health

d’Anouchka Grose (non traduit en français) que nous pouvons transformer
notre « anxiété en empressement à faire quelque chose. »

 

Il a été démontré que l’action climatique et l’éco-thérapie améliorent la santé mentale. Jordi Salas/Getty Images


Renouer avec la nature


L’une des tragédies du

changement climatique

est qu’il brise notre relation avec la nature qui est désormais associée à
la destruction ou à l’imprévisibilité. C’est une mauvaise interprétation à
éviter à tout prix. Au contraire, il faut renouer avec mère Nature et
réapprendre à lui faire confiance.


Il est prouvé depuis longtemps que le fait de passer du temps dans des
espaces naturels a des effets bénéfiques sur le plan psychologique,
notamment en réduisant le niveau de stress. Cette pratique a même un nom :
l’éco-thérapie. Il s’agit d’activités simples comme la marche ou l’exercice
dans la nature, le travail des plantes ou de la terre, et le temps passé
avec les animaux. Tout ceci participe à un plus grand sentiment de
confiance et de sécurité envers la nature tout en exerçant à la respecter
et à collaborer avec elle.


Se faire aider


Le fait de parler de ses sentiments et de partager son expérience permet de
trouver plus facilement du soutien auprès de personnes ayant le même vécu.
Ceux qui ne sont pas à l’aise à l’idée de s’ouvrir à leur famille ou
proches peuvent se tourner vers les réseaux sociaux ou les groupes de
discussion en ligne pour trouver un soutien.


De nombreuses personnes bénéficient également d’un suivi professionnel pour
lutter contre l’anxiété et le stress post-traumatique liés au climat. La
thérapie climatique est une spécialité en plein essor.

 

Quels que soient vos sentiments à l’égard du climat, vous n’êtes pas seul. Yoshiyoshi Hirokawa/Getty Images


Accepter une nouvelle normalité


La crise climatique actuelle est sans précédent, mais ce n’est pas la
première fois que l’humanité traverse une période de bouleversements
majeurs. Au cours de l’histoire de notre espèce sur Terre, la colonisation,
l’esclavage, les épidémies et les volcans ont tous provoqué des
perturbations massives et nous ont obligés à modifier notre mode de vie. Il
est difficile de « guérir » d’un événement qui n’est pas terminé. Au
contraire, dans des périodes comme celle que nous vivons, les perturbations
et les pertes font désormais partie de notre nouvelle normalité.


Dans ce contexte, les experts estiment que la survie passe par
l’adaptation, y compris l’adaptation psychologique. Nous n’avons pas le
choix : il nous faut intégrer ces bouleversements, assimiler cette anxiété
et nous préparer aux changements à venir.


C’est en transformant nos sentiments négatifs plutôt que de nous y enfermer
que nous trouverons la voie vers l’espoir, la détermination, la créativité,
l’amour et même la joie de vivre dans cette époque.



Les informations contenues dans cet article sont uniquement destinées à
des fins éducatives et informatives et ne constituent pas un avis
médical ou de santé. Consultez toujours un médecin ou un autre
prestataire de soins qualifié pour toute question relative à un état de
santé ou à des objectifs de santé.


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Article de CNET.com adapté par CNETFrance


Image Une : Jasmin Merdan/Getty Images

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