GoldenEye 007 : a

Sorti en 1997 sur Nintendo 64, GoldenEye 007 est devenu instantanément culte. Vingt-cinq ans plus tard, il reste l’une des meilleures adaptations de film en jeu vidéo.

Existe-t-il un pari plus risqué dans le domaine du jeu vidéo que de vouloir transformer un film en produit vidéoludique ? Les échecs dans le domaine se ramassent à la pelle comme disait le poète (l’adaptation de Fight Club sur PlayStation 2 et Xbox en 2004 qui pourrait ouvrir les portes de l’Enfer, ou Miami Vice : 2 flics à Miami sur PC, PS2 et Xbox qui ferait regretter d’être né), et les réussites sont aussi rares que précieuses. 

GoldenEye 007 (ou GoldenEye 64 selon votre goût) fait partie de ces pierres précieuses qui ont illuminé l’histoire du jeu vidéo. Sorti fin 1997 en Europe sur Nintendo 64, le titre a immédiatement acquis un statut culte. Fort de 8 millions d’exemplaires vendus sur N64, pour 32 millions de consoles N64 vendues au total, un quart des possesseurs de la boîte noire de Nintendo possédait le jeu de Rare, un ratio exceptionnel. 

Un succès colossal, et pourtant rien de tout cela n’était gagné d’avance, car le projet est passé via de multiples phases douloureuses avant de devenir le FPS unanimement révéré. À l’approche de l’arrivée du titre dans une version remastérisée sur Xbox via le Game Pass et sur Switch via l’émulateur N64 du Switch Online, on s’est dit qu’il était grand temps de revenir sur l’un des chefs-d’œuvre majeurs de l’histoire du jeu vidéo. 

 

Le genre d’image qu’on entend

 

Roméo + Juliette  RARE  + NINTENDO

Entre Rare et Nintendo a longtemps existé une entente cordiale, qui a fini par devenir une histoire d’amour. Rare Entertainment a commencé à produire des titres pour les consoles Nintendo dès les années 80. R.C. Pro-Am, Wizards and Warriors, ou l’adaptation du hit arcade Marble Madness ont fait les beaux jours de la NES entre 1987 et 1990. 

Bien que Rare ait produit quelques titres pour la concurrence, dont le bizarroïde Snake Rattle ‘n’ Roll sur Mega Drive ou le portage du mythique Battletoads sur la 16 bits de Sega, la firme s’est lentement rapprochée de Big N au cours des années 90. Puis vint l’instant de grâce : la création de Donkey Kong Country et son arrivée fracassante sur SNES en novembre 1994. Un hit absolu, qui a cueilli le public et la critique grâce à un habillage graphique splendide, et à un gameplay au cordeau. 

 

Donkey Kong Country : photoLa révolution s’appelle Kong

 

Dès lors, Rare et Nintendo vont convoler en juste noces, Nintendo devenant actionnaire de Rare dès 1995. Pendant plus d’une dizaine d’années, les collaborations majeures telles que Killer Instinct, Banjo-Kazooie, Jet Force Gemini, Donkey Kong 64 ou Perfect Dark vont s’enchaîner. Mais s’il ne devait rester qu’un seul momentum dans cette histoire d’amour, il s’agit bien de GoldenEye 007.

Lorsqu’en 1994 Nintendo a acquis les droits d’exploitation vidéoludique de la licence James Bond auprès d’EON Productions, les cadres de la société ont directement pensé aux frères Stamper, fondateurs de Rare, afin de mettre en branle le projet d’adaptation du prochain film de la saga : GoldenEye. S’il devait originellement sortir sur Super Nintendo afin d’accompagner la sortie du film à la fin de l’année 1995, le projet est rapidement passé de la direction des frères Stamper à celle de Martin Hollis, fraîchement émoulu de son rôle de second programmateur sur Killer Instinct. Dès lors, c’est une sorte de lente épiphanie qui s’est mise en marche. 

GoldenEye 007 : photoCharisme /20

 

Mission Impossible : ADAPTER UN FILM en jeu

Quand le projet GoldenEye 007 était encore dans l’escarcelle des frères Stamper, il devait prendre la forme d’un jeu de plateforme conçu avec le même moteur que celui de Donkey Kong Country. Mais faute d’entente entre l’équipe du film GoldenEye et les équipes de Rare, le platformer James Bond est abandonné. C’est à ce moment que Martin Hollis est entré dans la machine de production. Celui-ci a une vision très différente de ce que doit être GoldenEye

Pour Hollis, l’avenir s’appelait Ultra 64, nom de code de la prochaine machine prometteuse de Nintendo, qui était alors encore en cours de conception. Dans sa vision, GoldenEye devait devenir un jeu entièrement en 3D. Il avait un modèle précis en tête : Virtua Cop, le jeu d’arcade rail-shooter de Sega. Mais sans pistolet optique, la sauce ne prenait pas. Martin Hollis a alors jeté un oeil du côté de la concurrence, et s’est inspiré de Doom pour finaliser son projet. 

 

GoldenEye 007 : photoL‘introduction mythique de la séquence du barrage

 

L’arrivée de James Bond sur la Nintendo 64 devrait donc se faire sous la forme d’un Doom-like (le terme First Person Shooter n’étant pas encore généralisé à cette époque). Restait à adapter correctement le matériel de départ. Il était impossible de restituer à la lettre le film GoldenEye, aussi la décision a été prise d’adapter le scénario, en modifiant légèrement l’intrigue et en ajoutant des séquences inédites afin de rallonger la durée de vie du jeu.

Ceci tout en gardant l’ADN du film : la trame restait la même, James Bond devant traquer un syndicat du crime et l’empêcher de prendre le contrôle du satellite militaire GoldenEye. Évidemment, James Bond devait conserver ses mythiques gadgets, et ses armes fétiches, même si pour des raisons de droit les noms de celles-ci ont dû être modifiés (le Walter PPK devient le PP7, le AK-47, le KF7 Soviet).

Des niveaux originaux ont donc été conçus, comme l’introduction de la séquence du barrage, la visite du silo à missiles et la traque de Alec Trevelyan à travers des cavernes souterraines. Une fois cela gravé dans le marbre, restait un énorme problème à régler : comment créer un Doom-like crédible et fun à jouer sur console. À cela venait un double enjeu : montrer ce que la N64 avait dans le ventre en termes techniques et prouver que Nintendo sait aussi produire des titres matures, capables de rivaliser avec les propositions de la PlayStation.

 

GoldenEye 007 : photoInsérer rire maléfique du joueur

 

Mission impossible 2 : créer un FPS sur Console

Une fois le cahier des charges du futur GoldenEye 007 sur Nintendo 64 clairement défini, une tâche titanesque attendait les équipes de Rare Entertainment. Comment rendre agréable à jouer, fun et fluide une expérience de Doom-like en full 3D sur une console. La combinaison clavier-souris étant clairement la norme pour le genre, adapter, ce type de jouabilité à une manette tenait de la gageure.

D’autres FPS avaient déjà été adaptés sur consoles auparavant bien entendu, Wolfenstein 3D, Doom, MechWarrior, Hexen… Les exemples ne manquaient pas, mais l’expérience manette en main pour ces titres a toujours été somme toute assez frustrantes, un pad directionnel n’apportant pas la même précision ni la même souplesse qu’une souris. La Nintendo 64 allait pourtant apporter une solution à cette problématique, avec sa manette trident équipée d’un joystick central, qui permettait un déplacement souple auquel se couplait le pad directionnel pour la visée verticale.

 

GoldenEye 007 : photoOn peut juste aussi tirer dans le tas

 

Martin Hollis et son équipe ont pensé avant tout au confort de jeu des joueurs, et ont eu l’idée géniale d’inclure une aide à la visée souple et intuitive, qui ne nuirait pas à l’expérience de jeu. L’avatar pointait donc son arme avec fluidité sur les ennemis apparaissant à l’écran, à condition que le joueur commence à orienter la caméra dans leur direction. Une création simple, efficace, et qui rendait le jeu à la manette plus agréable.

L’expérience n’aurait pu être totalement satisfaisante sans une intelligence artificielle crédible. Contrairement aux autres jeux du genre, qui présentaient des ennemis qui se contentaient de foncer sur le joueur pour servir de cible ambulante, Rare souhaitait avoir des PNJ bénéficiant d’une IA réaliste. Ceux-ci réagissaient en fonction des bruits environnants, des alarmes, de l’apparition du joueur dans leur champ de vision, etc..

Enfin, GoldenEye 007 a pu bénéficier de la puissance de la Nintendo 64 pour la modélisation 3D des personnages et des décors. La modélisation des visages était très impressionnante pour l’époque, avec un aliasing raisonnable. Quant aux décors, la présence d’un léger brouillard au loin permettait de compenser le phénomène d’apparition de portion de niveau par bloc, ce qui rendait le jeu encore plus agréable à regarder.

 

GoldenEye 007 : photoCette chemise du meilleur goût

 

Se la jouer en solo…

Le bébé de Nintendo et Rare Entertainment est arrivé sur le marché le 23 juin 1996 au Japon, en septembre 1996 en Amérique du Nord, et en septembre 1997 en France. Dès son lancement, le titre a immédiatement conquis la critique et le public. Non seulement le titre était magnifique, mais était aussi particulièrement bien pensé en matière de gameplay. Si le feeling James Bond était bien là, GoldenEye 007 bénéficie aussi d’une ambiance unique, qui lui était propre.

Le mode solo reprenait les phases marquantes du film (le saut dans le vide depuis le barrage), et proposait des missions variées, entre infiltrations dans des complexes militaires, missions d’exfiltration, de protection de PNJ (le stressant niveau Control Center)… Les éléments de décors destructibles, les animations soignées, l’ambiance sonore au cordeau conçue par Grant Kirkhope, et Robin Beanland, les deux gars sûrs de Rare, auteurs respectifs des BO de Donkey Kong Land 2 et des Killer Instinct… Tout cela contribuait à créer un cocktail explosif hautement addictif.

 

 

En sus des niveaux scénarisés, des niveaux bonus qui s’écartaient de la trame ont été ajoutés, et récompensaient les joueurs les plus assidus et les fans hardcore de la franchise James Bond. Le niveau Aztec, s’inspirait de Moonraker et envoyait JB dans un complexe militaire secret dans une pyramide aztèque. Le second niveau bonus, Egyptian, réutilisait des éléments des films L’Espion qui m’aimait, L’Homme au pistolet d’or et Vivre et laisser mourir. Il mettait aux prises 007 avec le Baron Samedi, avec la possibilité de récupérer le légendaire Pistolet d’or.

Si son mode solo était solide et passionnant au possible, c’est aussi grâce à son mode multijoueur que GoldenEye 007 est rentré dans l’histoire. Plus qu’un simple mode de combat à plusieurs, le mode multijoueur est également un menu best-of de la saga James Bond. Ce dernier offrait la possibilité d’incarner de nombreuses figures emblématiques issues des films mettant en scène l’agent 007 dans cinq modes de jeux différents.

 

GoldenEye 007 : photo“The Man with the Golden Guuuuuun !”

 

…Mais c’est meilleur à plusieurs

Cinq modes de jeux multijoueurs ont été inclus dans le titre : le mode Normal, un mode Deathmatch classique, You Only Live Twice, un deathmatch où chaque joueur ne dispose que de deux vies, The Living Daylights, un mode “capture the flag”, The Man With the Golden Gun, l’un des modes préférés des joueurs, où un pistolet d’or capable de tuer en un coup est dissimulé quelque part dans le niveau, et License to Kill, où n’importe quelle arme peut tuer en un coup.

Tous ces modes étaient jouables jusqu’à quatre en simultané sur la même télévision, en écran splitté. Grâce aux quatre ports manettes inclus en façade dans la N64, le plaisir était immédiat, sans nécessiter d’avoir besoin d’accessoire supplémentaire. Et quelle joie de pouvoir interpréter JB, Natalya, Requin… mais les plus malins savaient que le plus redoutable restait OddJob, qui par sa petite taille esquivait la plupart des tirs ennemis. Des heures de plaisirs, perpétués encore aujourd’hui par une large communauté de fans qui prolongent l’expérience via des émulateurs en ligne (eh oui, l’émulation c’est mal).

 

GoldenEye 007 : photoDu bonheur à l’état pur

   

Entre un mode solo culte, et des possibilités de jeu multijoueur mythiques, et grâce à une technique irréprochable pour l’époque, GoldenEye 007 est rentré dans l’histoire du jeu vidéo. Le titre n’a pas eu de suite réelle, faute d’entente entre Nintendo, Rare et EON Productions, et la licence James Bond a fini dans la besace d’Electronic Arts en 1999. Rare a pu tout de même fournir un héritier spirituel à son hit : Perfect Dark.

Si le jeu ne partage pas le même univers que celui de James Bond, Perfect Dark reprend de nombreux éléments de gameplay de GoldenEye 007, ainsi que le même moteur graphique, légèrement amélioré, et un mode multijoueur qui évoquait largement celui de leur précédent titre.

GoldenEye 007 a connu les joies du remake sur Wii et Nintendo DS en 2010, et sur PS3 et 360 en 2011. Bien que ces remakes étaient censés rendre hommage à la version Nintendo 64, des changements discutables ont été apportés au titre, comme le remplacement de Pierce Brosnan par Daniel Craig, pour coller à l’évolution filmique de la franchise. 25 ans après la sortie du titre original, GoldenEye 007 sera bientôt de retour sur la Nintendo Switch Online via l’émulateur N64 et dans une version remastérisée flambant neuve sur le Xbox Game Pass.

GoldenEye 007 : a-t-on déjà fait mieux que ce FPS culte de la Nintendo 64 ?