Festival Étonnants Voyageurs : un rêve merveilleux de forêt avec le botaniste Francis Hallé

Grande stature, large sourire fendant son visage tanné par les rayons du soleil tropical et chaussures montantes aux pieds, on le croirait tout droit descendu de son arbre, Francis Hallé, quand il arrive dans l’auditorium plein à craquer du Palais du Grand Large de Saint-Malo.

Il est là pour parler de “La vie des arbres”, une matinée entière consacrée à ce botaniste et biologiste qui a passé sa vie à les étudier. Plaidoyer pour l’arbre (Actes Sud, 2005), Le rideau des cimes (Actes Sud 2011), Atlas botanique poétique (Artaud, 2016), Pour une forêt primaire en Europe de l’ouest (Actes Sud, 2021)… Le scientifique a écrit de nombreux livres sur les plantes et les arbres. La séance, animée par Claudine Glot, est suivie de la projection de Il était une forêt, un film de Luc Jacquet. Nous y étions. Voici tout ce que nous y avons appris.  

Qu’est-ce qu’un arbre ?

“C’est une question simple, mais à laquelle il n’est pas facile de répondre”, commence Francis Hallé. Comme de nombreux scientifiques, il a tenté de “synthétiser en quelques mots” ce qu’est un arbre. “Mais le jour où j’ai eu l’impression d’avoir réussi, on m’a invité en Afrique du Sud et j’ai découvert les arbres souterrains. Alors j’ai laissé tomber… Donc je vous le demande Claudine (Glot), ne m’emmerdez plus avec la définition de l’arbre !”, s’amuse le botaniste.

Les arbres sont “les maîtres du temps”

“Ce que l’on peut dire, c’est que les arbres sont les maîtres du temps. Dans la compétition entre les animaux, qui sont les maîtres de l’espace, et les arbres, qui sont les maîtres du temps, ce seront toujours les arbres qui gagneront”, explique Francis Hallé.

“L’arbre n’a pas de prédateur, et au contraire des animaux, il n’a pas d’organes vitaux. C’est très maladroit d’avoir des organes vitaux ! C’est le risque d’avoir une vie très courte. Si vous coupez un végétal en deux, en trois, ou plus, il ne mourra pas. Si je vous donne un sécateur et du temps, vous pourrez même multiplier cette plante à l’infini. L’animal est un individu, il est indivisible. Si on le coupe en deux, il est fini, c’est terminé. Une plante, vous la divisez en deux, ça vous fait deux plantes” explique-t-il, triomphant.

Comment Francis Hallé s’est-il retrouvé en haut des arbres ?

“Quand j’étais étudiant, tout le monde voulait étudier les animaux, alors j’ai choisi les plantes”, se souvient le botaniste. “Ce qui m’intéresse, c’est la vie des plantes et des animaux, c’est le vivant et donc la forêt est le bon endroit pour étudier la biodiversité”, poursuit-il. “J’aime bien les sous-bois, mais il fait sombre, il n’y a pas d’air, au sol il y a très peu de plantes et la vue est limitée. Donc je me suis dit que je n’étais encore pas au bon endroit. Alors j’ai levé les yeux vers le ciel.”

La Canopée : “un paradis du vivant”, le “summum de la beauté”

“Une fois là-haut, c’est extraordinaire. On découvre un monde merveilleux, on voit des animaux, très mobiles, très nombreux, qui brillent, des millions d’insectes, une variété incroyable de plantes. Et puis on découvre un horizon forestier. C’est très beau”, s’enthousiasme Francis Hallé. “C’est le paradis du vivant. C’est là que l’on trouve le plus grand nombre de formes du vivant. Et comme c’est ce qui m’intéresse, pour moi, c’est le paradis.”

“La canopée, c’est le summum de la beauté. Une nuit sur une canopée, c’est incroyable. Ça commence au coucher du soleil par un concert de batraciens, c’est d’une douceur pas possible, puis on entend les cris des singes, et toutes sortes de cris d’animaux que l’on ne sait pas identifier, puis peu à peu c’est le chant des oiseaux qui monte dans la nuit, et les parfums… c’est la nuit que les plantes dévoilent leurs parfums puisque c’est le moment de la pollinisation ! (On apprendra en regardant le film de Luc Jacquet que c’est “avec ces parfums que les arbres appellent la pluie”). “Je vous dis, il n’y a pas plus beau sur la planète”, insiste Francis Hallé.

Le “sentiment océanique”, syndrome de Stendhal de la forêt

“C’est si beau que c’est difficile parfois de redescendre”, confie Francis Hallé. Ce sentiment est si fort qu’il peut même aller jusqu’à ce que l’on appelle “le sentiment océanique”. “C’est un sentiment très curieux. Tout à coup on a une vision étrange de la forêt, les arbres paraissent plus proches, tout devient plus lumineux, c’est un raz de marée poétique et esthétique, qui procure, disent ceux qui l’on vécu, un profond bonheur”, explique Francis Hallé.

“Il n’y a pas de mots pour décrire ce phénomène, mais quelques écrivains comme Albert Camus ou Jack London ont réussi à saisir la nature de ce sentiment, et cela mérite vraiment d’être lu” , précise Francis Hallé. “Je voudrais d’ailleurs dire que je suis choqué que le langage scientifique tienne si peu compte de la beauté. Si les jeunes scientifiques décident de s’intéresser à la vie, au vivant, c’est parce qu’ils sont touchés par sa beauté, en tous cas c’est mon cas, j’ai cédé à l’attrait de la beauté. Le réel est beau, et la beauté est accessible à tous, sans formation, contrairement à des pages d’analyses scientifiques. Je rouspète contre ça et je suis pour la réhabilitation du beau dans le domaine scientifique. Mais il y a du boulot !”, regrette Francis Hallé.

Le “radeau des cimes” : un poste d’observation sur mesure pour étudier le sommet des arbres

Pour observer confortablement dans la canopée, Francis Hallé et son équipe ont mis au point avec un architecte un “radeau des cimes”. “Il nous fallait une structure de 600 M2, légère, et un moyen de la monter en haut des cimes. L’architecte a réussi à faire un radeau qui pèse 600 kilos, donc un kilo par mètre carré, c’est supportable pour le sommet des arbres, et on utilise une sorte de montgolfière pour la monter au sommet”, explique le scientifique. “On peut récolter sans abîmer toutes sortes d’échantillons Un bonheur pour les botanistes ! ” 

50 000 dessins

Dans le film de Luc Jacquet, on découvre Francis Hallé assis tout en haut d’arbres gigantesques, casquette et veste bleue dans le vert de la canopée, carnet de dessin sur les genoux, crayon à la main pour documenter de ses dessins magnifiques et précis son étude des grands arbres. “Je vois des choses magnifiques toute la journée, et je n’ai pas trouvé de meilleur moyen que le dessin pour garder une trace de ce que j’observe. D’ailleurs les botanistes ont toujours dessiné, au XIXe on partait en expédition avec des artistes”, assure-t-il.

Francis Hallé dans le film de Luc Jacquet, "Il était une forêt", 2012 (Tristan Jeanne-Valès Bonne Pioche Cinéma 2013)

“Ça permet d’isoler la plante aussi du fond, c’est plus clair. Et contrairement à la photo, il y a le temps que l’on y passe. Si je fais une photo, il y a une grande chance pour que quand je la regarde quelques jours plus tard je ne sache plus du tout de quoi il s’agit”, explique le botaniste, qui confie avoir 50 000 dessins dans ses cartons (murmure d’admiration dans la salle). “Et puis ils servent aussi à illustrer mes livres.”  

La “timidité” des arbres

“Certains arbres, on ne sait pas pourquoi, poussent sans se toucher les uns les autres. Ils laissent entre eux entre 80 centimètres et un mètre. Ce qui fait que quand on regarde d’en bas, ou d’en haut, c’est très joli, on dirait comme un puzzle”, raconte Francis Hallé. “L’hypothèse pour expliquer cela, c’est que les arbres communiquent entre eux, car ce phénomène ne s’observe qu’entre deux arbres de même espèce. Cela veut dire qu’ils savent qui pousse à côté d’eux. On suppose qu’ils le savent grâce au bruit que fait l’arbre en poussant, mais cela reste une hypothèse. Comme on n’est pas sûrs, il vaut mieux dire que l’on ne sait pas”, poursuit Francis Hallé.

Exemple de ce que l'on appelle la "timidité des arbres", Guyanne française, le 8 novembre 2014 (BRUSINI AURELIEN / HEMIS.FR)

“Cela reste un monde très mystérieux les arbres. Il y a environ 100 000 espèces d’arbres connues dans le monde. Et on découvre entre 200 et 300 000 espèces chaque année. 20% des arbres n’ont pas de nom”, souligne-t-il, invitant les jeunes présents dans la salle à embrasser la carrière de botaniste. “On n’est pas nombreux, et si on met en parallèle la destruction rapide des forêts tropicales et le temps qu’il faut pour faire l’inventaire, on ressent vraiment un sentiment d’urgence.”

Le rêve fou de Francis Hallé : reconstituer une forêt primaire en Europe de l’Ouest

C’est ce sentiment d’urgence, qui a fait germer dans l’esprit de Francis Hallé une idée folle, à contre-pied complet de l’air du temps. Un projet qui devrait aboutir dans … six ou sept siècles. “Ce n’est pas un temps que nous avons choisi, c’est le temps des arbres, le temps de la nature”, explique le scientifique. “C’est le temps qu’il faut pour reconstituer une forêt primaire en Europe de l’ouest sur la base d’une forêt secondaire existante.” Il restait une seule forêt primaire en Europe, la forêt polonaise de Bialowieza, vestige des paysages de l’Europe de nos ancêtres, qui étaient il y a 45 000 ans couverts de forêts primaires. “Mais le gouvernement polonais actuel est en train de la détruire”, regrette Francis Hallé. D’où l’idée d’en reconstituer une. “Il me semble que le fait de ne plus avoir de forêt primaire est contraire aux principes esthétiques et scientifiques de l’Europe”, insiste le botaniste français.

Forêt de Bialoweza en Pologne, le 15 juin 2017 (MICHAL FLUDRA / NURPHOTO)

Il lui faut, à lui et à son association, trouver 75 000 hectares pour installer ce périmètre. Un espace vierge de présence humaine, et non clôturé, “pour que les animaux puissent circuler librement”. “Nous avons déjà trois options possibles, dans le Grand Est de la France, les trois nous veulent !”, se réjouit Francis Hallé. “Cela a été assez facile finalement de trouver 75 000 hectares sans habitations, sans routes”, s’étonne-t-il.

“La forêt n’a pas besoin de nous”

Comment fait-on pour reconstituer une forêt primaire ? La question fuse dans le public, Francis Hallé prend son temps pour répondre. “Rien”, lance-t-il. “C’est facile, il ne faut rien faire. La foret est un des milieux les plus complexes de la planète. Et les humains n’y connaissent rien en la nature. Alors il serait absurde de vouloir conduire une chose pareille. La forêt n’a pas besoin de nous”, assure le botaniste. “Vouloir s’en mêler, comme dirait un de mes amis irlandais, ce serait comme de mettre des orangs-outans ivres dans un magasin de porcelaine”, s’amuse-t-il.

Voilà donc le projet : laisser faire dans cet espace la nature pendant au moins six siècles, jusqu’à ce que revive une forêt primaire, à savoir “une forêt haute dont les arbres les plus âgés atteignent, chacun dans sa propre espèce, des dimensions maximales en hauteur, en diamètre basal de leurs troncs et en étendue de leurs racines”, explique François Hallé dans son manifeste, Pour une forêt primaire en Europe de l’ouest (Actes Sud, 2021).

Remettre “l’homme à sa juste place”

Avant la rencontre on a demandé au botaniste si ce projet, qui doit aboutir dans minimum six siècles quand tout le monde annonce que la planète est foutue, est un pari sur l’avenir, un projet plein d’espoir pour le futur ? “Vous pouvez y voir ce que vous voulez. Pour moi, c’est un projet de forêt, je suis botaniste. Mais chacun peut utiliser la forêt comme il veut. Certains y verront un lieu de méditation, un lieu propice à la spiritualité, d’autres un espace de poésie. Chacun fait ce qu’il veut, du moment que c’est dans le respect du vivant”, estime le botaniste.

Francis Hallé ovationné dans l'auditorium du Palais du Grand Large le 5 juin au Festival Étonnants Voyageurs, Saint-Malo (Laurence Houot / FRANCEINFO CULTURE)

“Ce projet sera ouvert aux touristes, on mettra des pontons pour que les gens puissent s’y promener sans fouler le sol, cela créera des emplois”, s’enthousiasme Francis Hallé. “Et surtout, il faut revenir aux racines philosophiques de ce projet !”, poursuit-il. “Il s’agit de redonner une juste place à l’homme dans la nature. L’homme s’est octroyé une place fausse, trop grande, trop haute. L’homme doit abandonner cette place autoproclamée, et illégitime. Et il n’y perdra rien, au contraire. En tous cas, nous, on ne lâchera pas !”, déclare Francis Hallé pour conclure cette merveilleuse rencontre. Le public se lève, et pendant plusieurs minutes, applaudit, applaudit, applaudit cet étonnant voyageur.

Festival Etonnants Voyageurs
du 4 au 6 juin 2022

Association Francis Hallé pour la forêt primaire

Festival Étonnants Voyageurs : un rêve merveilleux de forêt avec le botaniste Francis Hallé