Elizabeth II, la dernière reine chrétienne (1926

« Maintiendrez-vous, autant que le permettra votre pouvoir, les lois de Dieu et la vraie profession de l’Évangile et la religion réformée protestante, établie par la loi au Royaume-Uni ? Maintiendrez-vous et protégerez-vous de façon inviolable l’assise de l’Église d’Angleterre, sa doctrine, son culte, sa discipline et son gouvernement, tels qu’établis par la loi en Angleterre ? » Avec ces mots presque oppressants, l’archevêque de Canterbury, Geoffrey Fischer, s’adresse à une jeune femme de 27 ans, revêtue d’une robe de soie blanche. Celle-ci répond, d’une voix ferme : « Tout cela, je le promets. » Se levant et montant à l’autel pour y poser la main droite sur les Évangiles, puis s’agenouillant, elle déclare : « Toutes ces promesses, je les tiendrai et garderai. Que Dieu me soit en aide ! »

Nous sommes le 2 juin 1953, à l’abbaye de Westminster. Seize mois plus tôt, au matin du 6 février 1952, Elizabeth II est devenue reine, à la seconde où le valet de chambre de George VI a constaté sa mort. Même s’il souffrait d’un cancer, le roi est parti vers l’éternité de manière presque inattendue, décédé tranquillement dans son sommeil. En ce jour du couronnement, il ne s’agit pas seulement pour Elizabeth de ceindre la couronne d’Edward the Confessor – le saint roi médiéval, l’équivalent de Saint Louis outre-Manche – et de prendre possession de son trône de bois patiné par les siècles. Il s’agit aussi pour la jeune femme d’assumer une grande partie de l’histoire biblique.

« Longue vie au roi ! »

Mille ans avant Jésus-Christ, un prophète nommé Samuel est envoyé par Yahvé dans les collines de Judée. L’Éternel lui désigne un pâtre enfant, David, pour que ce dernier soit oint d’huile et consacré au service de Dieu. Yahvé n’a pas voulu de ses frères plus grands et plus forts. Il a préféré le petit roux, qui est beau à voir… Le jeune David deviendra roi. Il est le Messie – « l’Oint », en grec. À Jérusalem, son fils Salomon construira le Temple. De cette lignée sortiront des rois plus ou moins nobles, puis un charpentier du nom de Joseph, père adoptif d’un certain Jésus. Dans la suite des siècles, des souverains sans nombre se réclameront de cette saga gorgée de symboles, l’annexant à leur profit, avec sainteté ou opportunisme.

C’est aussi le cas d’Elizabeth II, en ce jour de gloire, comme en témoigne le Zadok the Priest de Haendel – qui est ensuite devenu l’air de la célèbre compétition de football de la Ligue des champions ! – qui éclate sous les voûtes de l’abbaye médiévale de Westminster. Cet hymne de couronnement avait été composé sur les mots mêmes de la Bible : « Le prêtre Sadok et le prophète Nathan oignirent Salomon comme roi. Et tout le peuple se réjouit et dit : “Longue vie au roi !” » En tant que « messie » de ses sujets, Elizabeth s’intercale désormais entre le ciel et la terre, et change d’ontologie, de nature, comme un prêtre lors de son ordination. Ce que Shakespeare formule de manière poétique dans son Richard II : « Toutes les eaux de la mer déchaînée ne peuvent laver l’onction du front d’un roi. »

 

Parce que l’on considère, justement, que l’onction est un acte trop sacré pour être montré au commun des mortels, la télévision offre un plan aveugle pendant les quelques secondes où l’archevêque oint la souveraine au front. C’est la seule limite imposée à la décision d’Elizabeth de donner à voir à tous ses sujets les rites du couronnement. Car l’événement est exalté par le symbole de l’ultramodernité de l’époque : la télévision. Les Britanniques furent 27 millions à suivre la cérémonie sur leur poste.

La retransmission en direct du sacre devant 20 millions d’autres téléspectateurs dans cinq pays européens (la mondovision ne sera techniquement possible qu’une dizaine d’années plus tard) marque d’ailleurs pour l’humanité l’entrée dans une nouvelle ère : celle de la connexion simultanée des émotions à travers le globe. Cette première communion planétaire anticipe une révolution qui accompagnera le très long règne d’Elizabeth II. Afin de perdurer dans les cœurs, les vieilles institutions médiatrices du sacré – au premier rang desquelles l’Église et la royauté – seront contraintes de passer alliance avec un pouvoir médiatique toujours plus envahissant et désordonné. « Il faut que je sois vue pour que l’on croie en moi ! » (« I have to be seen to be believed »), aurait avoué la monarque un jour, non sans humour. Elizabeth dut aux médias d’être devenue une icône, mais elle paiera également un assez lourd tribut à la tyrannie qu’ils imposent. On se souvient à quel point les crises conjugales qui frappèrent sa famille furent d’abord et surtout des tourmentes qui, par tabloïds et télévision interposés, ont affecté sa propre image.

Monarque et gouverneure de l’Église

À partir du moment où elle est montée sur le trône, Elizabeth règne officiellement « par la grâce de Dieu ». Depuis que la monarchie française a disparu, la couronne britannique incarne comme aucune autre la monarchie de droit divin. Une réalité qui fascine les républicains que nous sommes, pourtant moins nostalgiques de l’Ancien Régime que d’une incarnation de la nation capable d’échapper aux logiques politiciennes. À cette sacralité s’ajoute une particularité héritée de l’histoire : le souverain britannique est officiellement, mais seulement pour le territoire de l’Angleterre, le gouverneur suprême de l’Église anglicane, « établie par la loi », ou plutôt de la Church of England, Église mère de la communion anglicane répandue à travers les cinq continents.

En 1952, lorsque Elizabeth devient reine, l’anglicanisme est la religion officielle des Anglais, à 95 %. Son poids est donc énorme, dans des proportions assez similaires à celles qu’avait encore en France l’Église catholique à la même période, à la différence près que l’Église anglicane n’est pas séparée de l’État et qu’elle imprègne toute la vie civile. Pourtant, au fil de son règne, la reine a vu monter, sans pouvoir la contrecarrer, l’inexorable vague de la sécularisation, notamment à partir des années 1970. Depuis le milieu des années 2010, le taux de Britanniques se reconnaissant officiellement dans l’anglicanisme s’est stabilisé à 19,8 %. Avec un peu moins de un million de pratiquants se rendant à l’office chaque dimanche, la moitié de la population (48,5 %) se déclare sans religion. Si la reine fut bel et bien couronnée, en 1953, dans un pays où l’on était encore largement chrétien par adhésion, elle célèbre son jubilé de platine en 2022 dans un État où l’Évangile s’est réduit à une affaire culturelle, voire folklorique, et où l’athéisme compte des militants très agressifs et notoirement antichrétiens. C’est dans ce contexte qu’Elizabeth II est la dernière reine chrétienne de l’Occident.

D’autres mutations fondamentales ont accompagné le règne le plus long qu’a connu le royaume. À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, l’anglicanisme est régi par des règles morales aussi rigides que celles de l’Église catholique sous Pie XII, à l’exception de la question de la contraception, autorisée chez les anglicans depuis 1930. Les divorcés sont montrés du doigt, les femmes n’ont guère voix au chapitre et le couple hétérosexuel est la norme unique incontestée. Aujourd’hui, le décor a spectaculairement changé : des femmes sont désormais diacres, prêtres et évêques. Il est possible de se remarier à l’église après un divorce, et le mariage entre personnes de même sexe s’est banalisé (il a été voté en 2013, au même moment que la loi Taubira en France, ne suscitant alors qu’une faible résistance dans la société). Si les gays ou les lesbiennes – qu’ils soient prêtres ou laïcs – ont le droit de conclure l’équivalent du pacs devant le maire de leur commune, ils ne peuvent néanmoins pas se marier à l’église, parce que l’Église d’Angleterre continue à défendre la norme du mariage hétérosexuel même si elle ne mène plus campagne contre le mariage pour les personnes de même sexe. De nombreux prêtres anglicans président d’ailleurs des bénédictions de couples de même sexe qui ressemblent à s’y méprendre à des mariages, sans encourir de sanction de la part de leur hiérarchie.

Maîtresse de ses émotions

Gouvernant l’anglicanisme de manière purement symbolique, Elizabeth a dû mettre à distance ses propres opinions. Si la reine a vécu avec bonheur l’accession des femmes à la prêtrise et à l’épiscopat, il semblerait que le mariage homosexuel lui ait posé problème. En mars 2016, le Daily Mail rapportait que la souveraine aurait confié à un proche avoir signé cette loi à regret, en raison de sa vision traditionnelle du mariage et bien qu’elle eût donné un accord de principe au partenariat civil, en 2005. L’indiscrétion fut ensuite démentie par une autre source proche du palais. Buckingham Palace refusa obstinément d’arbitrer entre ces rumeurs, fidèle à la ligne stricte qui protège la reine : personne ne sait jamais ce qu’elle pense des sujets dits « controversés ». Le reste est conjectures, étayées sur des signes infimes scrutés sur le visage d’une monarque souverainement maîtresse de ses émotions : haussements de sourcils, battements de cils, vibrations des cordes vocales, regards aux mille nuances de bleu.

Selon la légende, l’anglicanisme serait né d’une crise conjugale, lorsque Henry VIII se fâcha avec le pape Clément VII qui refusait de reconnaître son divorce avec Catherine d’Aragon, avec qui il ne parvenait pas à avoir d’héritier mâle. En vérité, des réalités politico-économiques étaient aussi en jeu : le roi tyran souhaitait annexer les biens des ordres religieux et disposer d’un clergé à sa botte. Cinq cents ans plus tard, le sexe, le sacré et la politique compo­saient de nouveau un trio explosif, le conflit entre la loi de Dieu et les passions humaines se cristallisant encore autour du mot « divorce ». En 1936, la passion amoureuse ­d’Edward VIII pour Wallis Simpson, une Américaine à la réputation sulfureuse, tout juste séparée de son deuxième mari, fut ainsi la cause d’un scandale mémorable. Que le chef de l’Église d’Angle­terre s’unisse à une femme divorcée à deux reprises, la perspective ne pouvait qu’engendrer le courroux de l’establish­ment politico-religieux de la vieille Britannia, garant de l’ordre moral.

Le renoncement qui a tout bouleversé

On sait cependant aujourd’hui que le pouvoir politique força Edward VIII à renoncer au trône pour des raisons moins avouables. Certes, le flambeur David (le prénom civil d’Edward VIII), désavoué de son vivant par son père, George V, pour son caractère indiscipliné, ne présentait pas le profil idéal pour incarner un monarque sacrifiant son ego sur l’autel du devoir. Mais la vérité est bien moins glamour. En réalité, Edward VIII ne cachait pas ses sympathies pour Adolf Hitler, à qui il rendit visite en octobre 1937 en compagnie de Wallis, peu de temps après sa destitution. Selon certaines sources, madame Simpson aurait même entretenu une liaison avec Joachim von Ribbentrop, quand il était ambassadeur du Reich à Londres, entre 1936 et 1938. Selon les historiens, il est donc fort probable que la question religieuse ait servi de prétexte pour masquer une réalité embarrassante, celle d’une infiltration de l’idéologie nazie dans la famille royale.

Officiellement, c’est parce qu’Edward VIII refusait de renoncer à « la femme [qu’il] aime » qu’il dut céder la Couronne à son frère cadet, Albert, surnommé Bertie. La timidité maladive du futur George VI – sujet du film le Discours d’un roi, de Tom Hooper (2010) – ne le prédisposait guère à tenir un rôle public. George VI et sa femme, Elizabeth – l’inénarrable Queen Mother, décédée en 2002 à l’âge de 101 ans –, ne pardonnèrent jamais à leur frère et beau-frère de les avoir propulsés dans un rôle auquel ils n’avaient en rien été préparés, eux qui aspiraient à une vie tranquille, entre parties de chasse et mondanités londoniennes. À cause de la « défaillance » de son oncle, et alors qu’elle était âgée de 10 ans, Elizabeth passa donc en l’espace de quelques mois du statut de simple princesse à celle d’héritière présomptive. Un choc existentiel qui explique sans doute la manière avec laquelle la souveraine assuma, une fois devenue reine, les charges et les devoirs dont la nation britannique l’investissait, avec une ardeur presque sacrificielle.

À peine est-elle montée sur le trône qu’Elizabeth est à nouveau confrontée au conflit entre la loi de Dieu et la raison des cœurs… Le jour même du sacre, les journalistes remarquent un geste furtif d’intimité entre Margaret, la sœur cadette de la reine, et le lieutenant Peter Townsend, brillant pilote de la Royal Air Force lors de la Seconde Guerre mondiale, alors au service de la reine mère, veuve de George VI. Depuis plusieurs mois, dans les milieux proches du palais, les rumeurs vont bon train sur les amours entre la princesse et le héros, par ailleurs père de famille et fraîchement divorcé.

Faire et défaire les histoires de cœur

À titre personnel, Elizabeth envisage favorablement le mariage de Margaret et Peter, car elle est soucieuse du bonheur de sa sœur, qu’elle aime sincèrement. Elle-même a dû imposer à ses parents son union avec Philip, mal considérée à cause des ascendances allemandes du jeune homme et de sa confession religieuse, grecque orthodoxe – il se convertit à l’anglicanisme avant d’épouser Elizabeth, à une période où l’œcuménisme était encore dans les langes. En ce qui concerne Margaret, les milieux de l’establishment ne peuvent envisager une union sacrilège pour celle qui vient en troisième rang dans la succession, après Charles et Anne, les enfants de la reine nés en 1948 et 1950. Car Margaret pourrait devenir régente, en cas de décès prématuré d’Elizabeth et Philip.

D’abord maladroitement conseillée, ­Elizabeth exige des fiancés qu’ils attendent jusqu’en 1955, soit quand Margaret aura 25 ans, âge auquel la cadette est dispensée de demander son accord à la souveraine – ou plutôt de demander de ne pas opposer son veto – sur son projet conjugal. Mais cette manœuvre mord la poussière. Alors que la presse attise les passions, Winston Churchill, alors Premier ministre, fait savoir à Elizabeth II que le gouvernement n’acceptera jamais une union considérée comme scandaleuse par nombre des sujets de Sa Majesté. Le vieux lion intrigue pour que Townsend soit muté loin de Buckin­gham, à Bruxelles. À 25 ans, soumise à une forte pression, Margaret annonce renoncer à l’élu de son cœur dans un communiqué aussi sobre que déchirant, le 31 octobre 1955 : « Certes, si j’avais renoncé à mon droit de succession, j’aurais pu contracter un mariage civil. Cependant, assumant l’enseignement de l’Église sur le mariage indissoluble, et consciente de mes devoirs envers le Commonwealth, j’ai résolu de placer ces considérations avant les autres. »

Pendant plusieurs décennies, Elizabeth endossa le rôle de la « méchante » à propos de cette affaire. On considéra qu’en dépit de son affection pour sa sœur elle avait sacrifié Margaret sur l’autel d’une raison d’État asservie au conservatisme ecclésiastique le plus impitoyable. C’est à cause de cette lâcheté que Margaret serait ensuite tombée dans la spirale catastrophique que l’on connaît. Nouant un mariage malheureux avec Antony Arm­strong-Jones en 1960, puis plongeant dans l’alcool et les excès de la jet-set des années 1970, la princesse maudite finit par sombrer dans un abîme de solitude et de souffrance, jusqu’à sa mort en 2001.

La vérité est plus complexe. En 2004, des archives déclassifiées prouvent qu’Elizabeth avait monté, avec Anthony Eden, Premier ministre après Churchill, un compromis permettant à Margaret d’épouser Townsend, tout en gardant ses émoluments princiers et son titre ­d’altesse royale, mais en renonçant à son droit de succession – celui-ci étant virtuel. Néanmoins, Margaret cala devant l’obstacle. Il est possible que le facteur spirituel l’ait emporté dans la conscience de Margaret, jadis pieuse. En effet, certains « tradis » anglicans lui promettaient l’enfer à cause d’une union adultère aux yeux de Dieu et lui interdisaient de communier si elle se mariait dans de telles conditions, même uniquement civilement. D’autres commentateurs expliquent que les cœurs de Margaret et de Peter s’étaient éloignés au fil de ces deux années de séparation forcée. De la même manière que la religion bannissait toute personne divorcée dans la famille royale avait été la raison invoquée en 1936 pour détrôner un sympathisant nazi, la religion aurait donc servi de prétexte, 20 ans plus tard, pour dissimuler que la passion amoureuse entre Margaret et Peter s’était évanouie.

Le prince, la princesse et la maîtresse

L’affaire Townsend passée, Elizabeth n’en a pas fini avec l’épineuse gestion des affaires conjugales de ses proches, sur fond d’alliance entre le trône et l’autel. À la fin des années 1970, la souveraine se soucie du mariage de son fils aîné, Charles, héritier de la Couronne, car le devoir de celui-ci est d’assurer l’avenir de la dynastie. La reine n’est pas sans savoir que si son fils ne lui a jamais présenté une fiancée, c’est qu’il est amoureux de Camilla Shand, mariée à Andrew Parker Bowles. Honni soit qui mal y pense… La très pragmatique reine ne renonce pas à la possibilité de trouver une épouse capable de détourner Charles de cette liaison, voire de s’accommoder de l’adultère du prince, si d’aventure Camilla et Charles s’avéraient définitivement inséparables. Les amants eux-mêmes considèrent qu’il leur est possible de poursuivre leur relation même si le prince prend une épouse officielle… Camilla n’est-elle pas ­l’arrière-petite-fille d’Alice Keppel, qui fut la maîtresse du prince de Galles, futur Edward VII ?

Trouver la perle rare n’est pas aisé. Puisqu’il n’est pas question que l’on puisse lire un jour dans un tabloïd le témoignage d’un homme affirmant qu’il a couché avec la future reine consort avant son mariage avec Charles, il faut dénicher une Anglaise du meilleur rang, mais aussi réellement vierge. Pas si simple, dans un pays où la révolution sexuelle de 1968 a aussi touché les « grandes » familles… Le sort tombe finalement sur une oie blanche de 19 ans, enfant d’une famille amie de la reine mère, qui a ses terres dans le Norfolk. Piégée par les mirages d’un avenir digne des contes de fées, Diana Spencer apprend, peu de temps avant son mariage, la scabreuse manigance à laquelle Buckingham la destine, sans avoir cependant le courage d’enclencher la marche arrière. Ainsi, le 29 juillet 1981, quand Diana et Charles se disent oui dans la cathédrale Saint-Paul de Londres, Camilla se trouve dans l’assistance, sans doute bien décidée à ne rien perdre de son statut.

L’année noire

Le conte de fées de Diana vire au cauchemar. Délaissée par son mari, qui refuse de renoncer à sa maîtresse, Diana sombre dans le désespoir et se jette dans des bras (faussement) consolateurs. La jeune femme s’effondre psychologiquement, dans l’indifférence presque totale de sa belle-mère, qui rechigne à exiger de Charles qu’il quitte Camilla. En 1992, Diana révèle ses déboires à un journaliste, Andrew Morton, qui publie ensuite une biographie au vitriol, terrifiante chronique du martyre de la princesse… C’est alors que la presse à sensation se déchaîne. On publie, par exemple, les confessions audio sans équivoque que Diana a faites à l’un de ses amants. Quelques semaines plus tard, le public fait ses gorges chaudes de l’enregis­trement d’une conversation téléphonique volée entre Charles et Camilla, où le prince avoue son fantasme d’être un Tampax dans le vagin de sa maîtresse… La même année, la fille d’Elizabeth, Anne, divorce officiellement de son mari, Mark Phillips, qu’elle avait déjà quitté depuis plusieurs années. Et le prince Andrew se sépare de son épouse Sarah Ferguson, dont les journaux relatent les ébats amoureux avec de jeunes amants – ils divorceront en 1996.

En l’espace d’une année, les trois enfants mariés de la reine et du prince Philip étalent au grand jour, et au niveau du caniveau, l’échec de leurs couples respectifs. Pour la mère de famille comme pour la cheffe de l’Église, l’humiliation est grande. Sa famille est en ruine, à l’image de son cher château de Windsor, ravagé par un incendie en novembre 1992. Ce qui vaudra à ce millésime d’être déclaré annus horribilis par la souveraine. Jamais la royauté britannique n’est tombée aussi bas. Il faut attendre 2005 et le mariage de Charles et Camilla, pour que cette blessure cicatrise un peu. Pour autant, Charles et Camilla ne se sont pas unis devant Dieu, même si ce mariage est possible d’un point de vue ecclésial, puisque l’Église anglicane permet le remariage des divorcés (Charles est veuf, mais pas Camilla). Ils ont toutefois fait bénir leur union.

Ces épreuves, engendrées par le césaropapisme à l’anglaise, auraient pu faire perdre la foi à la souveraine. C’est bien mal connaître Elizabeth, une chrétienne insubmersible. Fidèle à sa tradition de discrétion sur ses états d’âme, la reine ne s’est jamais épanchée sur sa vie intime avec Dieu. Néanmoins, de nombreux témoignages abondent sur son atta­chement au christianisme. La légende raconte que sa foi d’adolescente a inspiré le discours du roi George VI s’adressant, à la fin de 1939, aux Britanniques et à ses sujets du Commonwealth, désemparés par la « drôle de guerre » (ou plutôt, comme on dit outre-Manche « the phoney war » – « la fausse guerre »). Alors qu’il rédige ses vœux pour une année 1940 qui se présente sous les plus sombres auspices, la jeune princesse de 13 ans lui glisse le petit poème d’une illustre inconnue, Minnie Louise Haskins, aux vers édifiants : « J’ai dit à l’homme qui se tenait au seuil de l’année : “Donne-moi une lampe pour que j’avance en sécurité vers l’inconnu”. Alors il répondit : “Va, sors dans l’obscurité, et mets ta main dans la main de Dieu. Cela vaudra mieux pour toi qu’une lampe, et cela sera plus sûr qu’un chemin balisé”. » Ces mots seront gravés dans l’esprit de tous les Britanniques comme les symboles de la confiance et du courage dont la monarchie fit preuve pendant la guerre, sans faiblir. Il est vrai qu’à l’époque on ne craignait pas d’instrumentaliser Dieu pour la bonne cause. Quelques mois plus tard, en juin 1940, Winston Churchill engage le pays dans la guerre contre le nazisme afin de sauver, selon lui, la « civilisation chrétienne ». Elizabeth II incarne, à la suite de ses parents, le fameux Keep Calm and Carry On, ce stoïcisme dont l’Angleterre témoigna, seule face à Hitler, cette mystique du sacrifice et de l’honneur qui inspira longtemps l’image flatteuse que les Britanniques ont d’eux-mêmes, dans laquelle se mêle une grosse pincée de rédemption chrétienne.

Une foi à toute épreuve

Sans brandir sa foi à chaque instant, la reine n’a jamais caché qu’elle était croyante. Elle se rendait indéfectiblement à la messe chaque dimanche. Au point qu’on la crut en danger lorsqu’à Noël 2016 elle n’est pas venue à l’office à cause d’un rhume. Elle fut même vivement critiquée pour avoir, le jour de la mort de son ancienne belle-fille, Diana, le 31 août 1997, emmené ses deux petits-fils, William et Harry, à l’église, près de son château écossais de Balmoral. Selon la souveraine, il était tout naturel d’aller à l’église ce dimanche-là, d’autant que le jeune William venait de faire sa confirmation. Par ailleurs, la reine a dit prier tous les jours dans son message télévisé de Noël de 2002. Après être revenue sur cette année particulièrement chargée en émotions, en raison de la mort de sa mère et de celle de sa sœur, Margaret, et alors que son jubilé d’or battait son plein, la souveraine avoua, face caméra : « Je sais combien je m’appuie sur ma propre foi pour me guider à travers les moments bons et mauvais. Chaque jour est un nouveau départ. Je sais que la seule façon de mener ma vie et de faire ce qui est juste, de prendre du recul, de donner le meilleur de moi-même dans toutes les occasions qui se présentent, est de mettre ma confiance en Dieu. »

Cette profession de foi, on la retrouvait chaque année dans son message de Noël : un rendez-vous suivi par des millions de fans à travers le monde, radiodiffusé puis, à partir de 1957, télévisé. Chaque 25 décembre, sans faillir, la reine déclinait son attachement à Jésus et à l’Évangile en des termes clairs et engagés. Ces mots endossaient une valeur particulière puisqu’ils venaient de la reine elle-même : c’est l’une des rares fois dans sa vie où Elizabeth n’était pas obligée de lire un discours écrit pour elle. Sa Majesté ouvrait son cœur. Sans mettre son Jésus ou sa Bible dans sa poche.

En 2000, par exemple, Elizabeth résume toute la vie du Christ puis, ouvrant sa bible et citant saint Paul, elle livre la morale de son histoire personnelle : « Ce qu’a enseigné le Christ et le fait que je doive rendre des comptes devant Dieu me donne un cadre pour vivre mon existence. Comme beaucoup d’entre vous, dans les moments difficiles, je tire un grand soutien de la vie et de l’exemple du Christ. » L’exemplarité du Christ comme source d’inspiration est un leitmotiv dans ses messages de Noël. En 2014, elle se confesse ainsi : « Pour moi, la vie de Jésus-Christ, le prince de la paix, dont nous célébrons la naissance, est une inspiration et une ancre dans ma vie. Vrai modèle de réconciliation et de pardon, il a tendu ses mains pour aimer, guérir, accueillir. L’exemple du Christ m’a appris à chercher, à respecter toutes les personnes, quelle que soit leur foi, ou leur non-foi. »

Une mystique du service

On pourrait se demander si, en évoquant Jésus de Nazareth, la reine ne cherche pas plus ou moins consciemment à revendiquer sa royauté paradoxale : comme Lui, la reine règne sans réel pouvoir ; comme Lui, elle légitime son autorité par ses multiples bonnes actions, son dévouement à autrui. Cette mystique du service que l’on retrouve dans presque tous ses messages royaux, la reine l’a énoncée dès l’âge de 21 ans, lors de son fameux discours du Cap, en Afrique du Sud, le 21 avril 1947. Elle qui n’était encore que princesse délivrait une véritable déclaration d’amour à son peuple, au service duquel elle se vouait jusqu’à son dernier souffle.

Dans ces séances de catéchisme télévisé, on trouve pourtant – et c’est ce qui fait son charme – nombre de clichés et de bons sentiments, la souveraine tissant ensemble générosité humaniste et valeurs évangéliques. Voici ses mots en 2013 : « Pour nous, les chrétiens, comme pour les autres gens qui ont la foi, la réflexion, la méditation et la prière nous aident à nous renouveler dans l’amour de Dieu, alors que nous nous efforçons chaque jour d’être de meilleures personnes. » L’année précédente, la reine avait plaidé pour le vivre-­ensemble, l’une de ses marottes : « Je suis toujours frappée de la façon avec laquelle le vivre-ensemble est au centre de l’histoire de Noël. Une jeune mère, un père dévoué et leur bébé ont été rejoints par de pauvres bergers et des visiteurs lointains. Ils sont venus avec leurs cadeaux pour adorer le Christ enfant. Depuis ce jour, des gens en ont été inspirés pour s’engager au bénéfice des autres. C’est le temps de l’année où nous nous souvenons que Dieu a envoyé son Fils unique pour servir et ne pas être servi. Il a remis l’amour et le service au centre de nos vies dans la personne de Jésus-Christ. Je prie pour que son exemple et son enseignement continuent à rapprocher les gens pour qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes. »

Si Elizabeth II est « la » reine chrétienne, sa religion est pourtant avant tout une sorte de moralisme piétiste qui recycle les préceptes d’un Jésus débonnaire et pragmatique : « Beaucoup ont été inspirés dans leur vie par le message simple et puissant de Jésus : aime ton prochain comme toi-même. Autrement dit, traitez les autres comme vous voulez être traité vous-même. Il a mis l’accent sur l’aspect pratique de la spiritualité », explique la monarque en l’an 2000, réduisant le message évangélique à cette fameuse « règle d’or », qui n’est pas l’apanage des chrétiens… C’est la parabole du bon Samaritain qu’elle cite le plus fréquemment le jour de Noël. En 1986, son petit sermon est d’une grande ingénuité : la reine rappelle que, même si Jésus est né dans une étable, il a tout de même changé la face du monde. Moralité, selon Elizabeth : « Pas besoin d’être riche et puissant pour rendre le monde meilleur. Chacun de nous, à son niveau, peut faire quelque chose. » Facile à dire, surtout si l’on se trouve du bon côté de la barrière…

Régner sans gouverner

En réalité, Elizabeth témoigne d’un Jésus consensuel, compatible avec le multi­culturalisme, très différent du Nazaréen au verbe rugueux, venu sauver les hommes du péché au prix d’un combat spirituel passant par la Croix. Ce Jésus élisabéthain – à vrai dire pas si éloigné de celui évoqué depuis les chaires de maintes églises européennes – manifeste une sorte de religion civile typiquement britannique, qui rejoint la lutte pour les grandes causes : l’importance de la famille, la solidarité intergénérationnelle, le souci des pauvres, le bien des enfants, le pardon et l’amour du prochain. Tout cela est bien sûr adossé à la glorification de la culture et de la nation britanniques. En 2010, la reine donnait dans le culturel identitaire en évoquant un de ses prédécesseurs, James Ier, à l’occasion des 400 ans de la publication de la King James Bible, véritable monument de la civilisation anglaise. La reine rappelait le rôle du roi dans la tentative de pacification du royaume et exaltait « le glorieux langage de la Bible ».

Avec le temps, les paroles de la reine se montrent cependant plus musclées en matière de théologie. Ainsi, en 2011 : « Dieu a envoyé dans le monde une personne unique, qui n’est ni un philosophe ni un général (bien qu’ils soient importants), mais un Sauveur, avec la puissance de pardonner. Le pardon est au cœur de la foi chrétienne. Il peut guérir des familles brisées et réconcilier des communautés divisées. C’est dans le pardon que nous ressentons la puissance de l’amour de Dieu. » En 2015, pour clore l’année, Elizabeth cite directement la Bible : « Il est vrai que le monde a été confronté à des moments de ténèbres, mais l’Évangile de Jean contient un verset empreint d’un grand espoir : “La lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point vaincue.” » En vieillissant, la reine semble tenir des discours moins mièvres, ses prises de parole reflétant les préoccupations de ses contemporains, davantage conscients du mystère du Mal.

C’est à travers cet apostolat médiatique du message de Noël, appuyé sur l’exemple d’une solidité sans faille dans le service, qu’Elizabeth a honoré le titre qui lui a échu en tant que souveraine, celui de Defender of the Faith. Un titre ambitieux qui s’est prêté à différentes interprétations au fil des siècles. Ironie de l’histoire, il avait initialement été conféré, en 1521, par le pape Léon X à Henry VIII parce que celui-ci avait écrit un pamphlet pourfendant Luther. À l’époque où le redoutable Henry VIII est au mieux avec la papauté, le titre confirme le soutien inconditionnel du souverain britannique à la lutte catholique contre le protestantisme, même si le roi coupera les ponts une dizaine d’années plus tard, un autre pape se refusant à valider son divorce. L’inversement du sens a lieu à la fin du XVIe siècle, lorsqu’Elizabeth Ire, soucieuse de mettre fin à 50 ans de conflits politiques aux soubassements confes­sionnels, décide, au grand dam de Rome, de refonder son pays sur un protestantisme mâtiné de ritualisme catholique. Le pape Pie V excommunie Elizabeth Ire en 1570, et celle-ci déclenche une vague de persécutions contre les catholiques prétextant leur fidélité à Rome, les plus récalcitrants endurant des supplices particulièrement atroces. Dans ce contexte, le souverain « défenseur de la foi » est devenu le champion d’un protestantisme vigoureux opposé à un papisme obscurantiste, asservi aux puissances étrangères qui veulent la perte de l’Angleterre. Cette conception s’adoucit avec le temps, mais demeure le fondement symbolique du système politique mis en place en 1689, et toujours en vigueur de nos jours, celui d’une monarchie constitutionnelle où le souverain règne, sans gouverner, avec l’aide de Dieu.

Un pays multiethnique et plurireligieux

Sous le règne d’Elizabeth, la seconde du nom, la métamorphose du paysage politico-religieux aura induit une nouvelle interprétation du combat pour la foi : la reine n’a d’ailleurs pour armes de guerre que son sourire et ses chapeaux extravagants assortis à ses tenues colorées. N’ayant pas eu à défendre son royaume contre la menace catholique, elle a géré au mieux le passage de la société centrée, dans les années 1950, sur l’anglicanisme vers le multicultu­ralisme assumé des années 2000 (cependant remis en cause après les attentats terroristes de Londres et Manchester en 2017). La défense de la foi s’est muée en une sorte de protectorat de toutes les religions où le christianisme est gardien d’une éthique du respect d’autrui. En 2012, devant les chefs religieux réunis à Lambeth Palace, la résidence de l’archevêque de Canterbury, la reine expliquait comment son rôle à la tête de l’Église anglicane était garant d’une inclusion large de tous : « Le concept de notre Église établie est parfois mal compris, et, je le crois, souvent sous-estimé. Son rôle n’est pas de défendre l’anglicanisme à l’exclusion des autres religions. Au contraire, l’Église (anglicane, ndlr) a le devoir de protéger la pratique libre de toutes les religions dans ce pays. » Un propos accentué par l’ancien grand rabbin du Commonwealth, Jonathan Sacks : « On ne se rend pas assez compte du rôle que la reine a joué dans l’un des changements les plus importants de ces 60 dernières années : la transformation de la Grande-Bretagne en un pays multiethnique et plurireligieux. Personne ne fait mieux sur le plan de l’interreligieux que la famille royale, et la reine en premier. »

 

Certains pourraient cependant reprocher à la souveraine d’avoir failli à défendre spécifiquement le christianisme face aux mutations du siècle. Celle-ci, observant une stricte neutralité vis-à-vis du champ politique, s’est toujours tenue en retrait des polémiques visant la défense des valeurs chrétiennes par un certain nombre de ses sujets, soit qu’ils aient voulu affirmer leur foi au travail, soit qu’ils aient été considérés comme rétifs aux lois contre les discriminations. Un nombre non négligeable de chrétiens, notamment anglicans mais d’obédience évangélique, se sont retrouvés au ban de la société au nom de leur attachement à leur compréhension de l’Évangile… Stupéfiant, car paradoxal, dans un pays où l’Église a pignon sur rue. Ce fut le cas d’une infirmière, licenciée pour avoir prié avec des malades, d’une hôtesse de l’air malmenée par British Airways car elle avait porté une croix, d’un conseiller conjugal ayant affirmé son incompétence à aider des couples homosexuels… On se souvient aussi de la démission stupéfiante de Tim Farron, chef des libéraux démocrates, harcelé pour avoir émis des doutes en tant que chrétien (pourtant très modéré) sur l’IVG et le mariage de personnes de même sexe.

Elle ne prit pas davantage la parole au moment du divorce européen – auquel elle dut donner son « assentiment royal » –, laissant les observateurs conjecturer sur ses opinions. Cependant, lors de ses vœux de Noël prononcés en 2019, elle lance un appel à l’unité, manifestement inquiète des fissures ravivées au Royaume-Uni par le Brexit, l’Écosse et l’Irlande du Nord se voyant retirer contre leur gré de l’Union européenne. Le magistère spirituel d’Elizabeth apparaît à beaucoup comme une farce dans un pays où le politiquement correct et une conception laïciste de la société ont conquis le champ social.

Rapprochement entre les Églises

Sans craindre de faire se retourner Elizabeth Ire dans sa tombe, Elizabeth II a contribué au specta­culaire renversement des relations entre les Églises catholique et anglicane. En 1952, au moment où elle devient reine, l’œcuménisme n’est pas d’actualité, même si les chrétiens les plus lucides y travaillent. C’est l’époque où il est inimaginable que des catholiques et des anglicans puissent prier ensemble. Le concile Vatican II (1962-1965) pose la question, provoquant une explosion des échanges entre les différentes confessions chrétiennes, en particulier entre catholiques et anglicans. Ces derniers, notamment en raison de leur liturgie très ritualisée et de l’existence d’un clergé (diacres, prêtres, évêques), sont proches du catholicisme. Le 24 mars 1966 a lieu la rencontre historique entre le pape Paul VI et le primat de la Communion anglicane, Michael Ramsey. À cette époque, certains pensent que la réconciliation organique entre les Églises est l’affaire de quelques années. Mais à partir des années 1980, la Communion anglicane amorce un virage libéral et progressiste (acceptation de l’IVG, ordination des femmes), tandis que l’Église catholique de Jean Paul II opère un recentrage théologique et disciplinaire sur les questions de foi et de mœurs, sans toutefois que le dialogue amical et théologique ne se rompe.

En contrepoint de ces évolutions, Elizabeth II joue un rôle non négligeable. Elle est la première souveraine du Royaume-Uni à rencontrer un pape, Jean XXIII, en mai 1961 à Rome (en tant que princesse héritière, elle avait rencontré Pie XII en 1951). L’impact symbolique est énorme. En effet, la jeune souveraine, non contente d’être la cheffe d’une Église qui s’est séparée de Rome, porte le même prénom que l’ancienne ennemie jurée du pape Pie V, Elizabeth Ire, une figure qu’elle n’aimait guère, comme elle l’a souvent affirmé, à cause de son despotisme. À l’époque, le théologien Yves Congar souligna, non sans humour, une facétieuse coïncidence de dates (selon l’ancien calendrier liturgique, alors en vigueur mais révisé depuis) : « Elizabeth II est sans rancune : elle est allée visiter en reine le successeur de Pie V le jour même où le calendrier place la fête de celui-ci ! »

Elizabeth II a tendu les mains à maintes reprises aux catholiques. Probablement par souci sincère de se montrer proche de ceux que le pouvoir royal avait si longtemps persécutés puis méprisés – les catholiques ne recouvrèrent leurs droits civiques qu’en 1829 outre-Manche –, aussi, sans doute, pour des considérations plus politiques. En Irlande du Nord, les accords de réconciliation entre les factions catholiques et protestantes, signés en 1998, furent précédés de 30 années d’attentats meurtriers, dont celui visant lord Louis Mountbatten en 1979, l’oncle de Philip d’Édimbourg, l’époux de la reine. Dans ce contexte, l’implication affective de la reine auprès des catholiques était une manière de montrer que le conflit nord-irlandais ne pouvait aucunement se targuer d’une quelconque légitimité religieuse.

En 1982, le voyage de Jean Paul II au Royaume-Uni apparaît comme une reconnaissance de la réconciliation entre Rome et l’anglicanisme « politique », car il s’agit du premier voyage d’un pape sur l’île britannique – deux ans seulement après la visite de la reine au Vatican –, et Elizabeth fait l’honneur au pape polonais d’une réception à Buckingham Palace. En 2000, elle retourne voir le vieux pape, très diminué. En 2010, elle reçoit Benoît XVI dans son palais de Holyrood, à Édimbourg. Le geste est symboliquement fort. En Écosse, la reine ne dirige pas l’Église, la Scots Kirk, de nature presbytérienne calviniste, mais elle a, le jour de son sacre, promis de veiller sur sa pérennité. Accueillir sur ses terres protestantes le chef de l’Église catholique est donc lourd de sens. En 2014, Elizabeth et son époux rendent visite au pape François à Rome, lui offrant une grande corbeille remplie de produits provenant des différentes propriétés royales : confitures, chutney, jus de pomme, miel, cidre et… évidemment, du whisky ! Quoi de plus efficace pour matérialiser la normalisation totale des relations entre le Vatican et Buckingham que cette proximité qui évoque le thé de cinq heures ou la gastronomie britannique ? Accessible, la reine sait l’être aussi avec celui qu’elle appelait « mon cardinal », à savoir Basil Hume, archevêque de Westminster de 1976 à 1999, qui avait gagné le cœur d’une souveraine par ailleurs assez avare de manifestations affectives. Autre anecdote qui dénote l’empathie de la reine pour l’univers catholique : lors de son message télévisé de Noël de 2016, Elizabeth II souligne que Mère Teresa, qu’elle avait rencontrée en novembre 1983 à New Delhi, s’appelle désormais « sainte Teresa de Calcutta » – se référant à sa canonisation à Rome cette année-là – et la cite ainsi : « Ce n’est pas tout le monde qui peut faire de grandes choses. Mais nous pouvons de petites choses avec un grand amour. »

Il serait facile d’ironiser sur les airs de fausse modestie de cette maxime – la reine n’est préci­sément pas tout le monde – et, pourtant, la phrase résonne avec une justesse presque dramatique, dans une fin de règne marquée par des effondrements à tous les niveaux. Politique, pour commencer. Le 23 juin 2016, les Britanniques sont convoqués pour un référendum afin de répondre à la question suivante : le Royaume-Uni doit-il rester un membre de l’Union européenne ? Alors que des averses torrentielles s’abattent sur Londres ce jour-là, la couleur du ciel a quelque chose d’un mauvais présage. Parmi les 72 % de votants qui ont bravé les intempéries pour se rendre dans les urnes, une majorité (près de 52 %) a choisi le Brexit. Sale temps pour l’Europe.

En l’espace de quelques heures, le Royaume-Uni est ainsi redevenu une île. David Cameron, le Premier ministre, qui, jusqu’à la dernière minute a refusé de croire au Brexit, annonce d’une voix blanche son départ dans les quatre mois. Qu’en est-il de la reine ? Pense-t-elle à cet instant à ce que lui a confié Jean Paul II, 16 ans plus tôt, lors d’une visite officielle au Vatican ? Après avoir salué de manière un peu protocolaire « la contribution de la Grande-Bretagne à l’édification de l’Europe chrétienne », et rappelé l’évangélisation de l’Angleterre par Augustin de Canterbury, l’homme en blanc s’était fait grave et avait ajouté que le Vieux Continent se trouvait « à un tournant de son histoire ». Plongeant son regard bleu glacier dans celui, acier, de la souveraine, il lui avait parlé d’égal à égal : « Vous et moi avons personnellement vécu l’une des guerres les plus terribles d’Europe, et nous voyons clairement le besoin d’édifier une unité européenne profonde et durable, solidement enracinée dans le véritable génie humain et spirituel des peuples de l’Europe. »

Le Brexit, plébiscite ou faillite ?

En 2016, beaucoup auraient aimé se trouver dans la tête de la reine, qui ne peut exprimer une opinion personnelle sur la politique, sans déclencher une crise constitutionnelle. Cela n’avait pas empêché le tabloïd The Sun – ouver­tement en faveur du Brexit – de publier en une, le 9 mars 2015, ce titre choc : Queen backs Brexit (« la reine soutient le Brexit »). Dans l’article, le commentateur fait état d’indiscrétions sur les paroles échangées, quatre ans plus tôt, lors d’un déjeuner privé avec des membres du gouvernement. Elizabeth II aurait alors sidéré l’assistance en soutenant que l’Union européenne allait dans « la mauvaise direction ». Les services de communication de Buckingham, qui ne plaisantent pas avec ce genre de révélations, sortent immédiatement la lance à incendie et démentent que la reine soit en faveur du Brexit.

D’autres affirment, au contraire, qu’elle serait pro-­remain (« en faveur du maintien dans l’Union européenne »). Pour preuve, ils rappellent que, quelques mois plus tôt, à Berlin, lors d’un dîner officiel, elle a livré un plaidoyer pour l’unité devant le président allemand, ­Joachim Gauck : « Au cours de nos vies, nous avons vu le pire, mais aussi le meilleur sur notre continent. Nous avons été les témoins du fait que les choses peuvent changer très vite pour le meilleur, mais nous savons aussi à quel point nous devons travailler durement pour main­tenir les bénéfices de l’après-guerre. » Si réservée d’ordinaire, elle conclut sur une note alarmante : « Nous savons que la division en Europe est dangereuse et que nous devons nous en préserver, aussi bien dans l’ouest que dans l’est de notre continent. » L’écho avec l’interpellation de Jean Paul II au tournant du millénaire est frappant.

Que peut la reine face au Brexit ? Force est de constater son éternelle « impuissance » royale. Ce serait oublier un peu vite, toutefois, son attention aux « petites choses ». En 2017, alors qu’elle déclame le discours d’ouverture du Parlement et se fait le porte-voix de Theresa May ainsi que le veut l’usage – « La priorité de mon gouvernement est de garantir le meilleur accord possible alors que le pays quitte l’Union européenne » –, tous les regards sont braqués sur l’exubérant chapeau bleu roi constellé de fleurs bleue et jaune qu’elle arbore ce jour-là… et qui rappelle sans détour le drapeau européen. Le ministre belge Guy Verhofstadt, référent du Parlement européen sur le Brexit, s’enthousiasme aussitôt sur le réseau social Twitter : « Clairement, l’UE inspire encore certains au Royaume-Uni », smiley à l’appui.

Amusante « coïncidence », rectifie l’habilleuse royale, manière d’en finir une bonne fois pour toutes avec la rumeur d’une souveraine pro-Brexit, estiment des experts de la monarchie : nul ne connaît au fond les intentions ayant présidé à ce choix vestimentaire. Ceux qui soutiennent mordicus qu’Elizabeth II vient de faire un clin d’œil à l’Europe rappellent qu’elle était déjà (discrètement) sortie de sa réserve au moment du référendum de 2014 sur l’indépendance de l’Écosse. À la sortie de la messe, elle avait laissé échapper : « Eh bien, j’espère que les gens réfléchiront très soigneusement au futur. » David Cameron avait confirmé plus tard à la BBC que cette petite entorse au vœu de silence royal avait été un soutien précieux au maintien de la nation dans le Royaume-Uni. Buckingham avait fait les gros yeux à la BBC, sans doute plutôt pour la forme qu’autre chose, mais le message était passé. L’unité et la réconciliation sont des valeurs centrales dans la vision du monde d’Elizabeth II, qui voit en Jésus, le Prince de la paix, un parfait modèle.

Quant aux passions déchaînées par le chapeau d’Elizabeth II, elles manifestent que, pour une partie significative du peuple britannique, la reine demeure la boussole dans un monde qui perd la tête. Au moment où le Royaume-Uni vient de larguer ses amarres, la majorité des sujets s’accrochent à elle comme à une ancre capable de rattacher l’île à sa mémoire. Véritable icône, elle endosse ce statut avec un humour très British : en 2012, elle est apparue, à la surprise générale, en James Bond girl, dans un court métrage tourné pour l’inauguration des JO de Londres, où on la voyait… sauter en parachute avec l’acteur Daniel Craig en personne. La cascade était évidemment assurée par une doublure, mais l’illusion était parfaite. En 2016, pour son jubilé de saphir, certains journaux soulignent qu’elle a connu « 62 chiens, 11 Premiers ministres et 7 papes »… Sa cote de popularité atteint des sommets : 70 % d’opinions favorables en 2016, contre 45 % en 1981.

Casseroles, scandales et déballages

En pleine lune de miel avec l’opinion publique, la monarchie s’offre même une belle histoire. En 2016, Harry, le prince de la monarchie la plus traditionnelle d’Europe, rencontre Meghan Markle, une actrice américaine divorcée et descendante d’esclaves. Un mariage est annoncé un an plus tard. Par respect envers la tradition, la jeune roturière, issue d’un milieu protestant américain, reçoit préa­lablement le baptême et la confirmation, selon le rite de l’Église d’Angleterre, lors d’une cérémonie privée, célébrée par l’archevêque de Canterbury, Justin Welby. Le jour du mariage, le 19 mai 2018, un vent nouveau semble souffler sur la monarchie. Dans la chapelle Saint-Georges à Windsor, une chorale de gospel et un prédicateur hors norme enflamment l’assistance. Ce dernier s’appelle Michael Curry. À 65 ans, il est le premier Afro-Américain à occuper la fonction de président de l’Église épiscopale aux États-Unis, Église qui avait provoqué une crise avec la Communion anglicane en 2003, car elle avait ordonné évêque du New Hampshire un homosexuel.

Opposant à Donald Trump, l’homme au phrasé de télévangéliste prêche avec fougue sur la victoire de l’amour, cite Martin Luther King : « Si l’amour est la voie à suivre, aucun enfant ne devrait se coucher en ayant faim », lance-t-il devant une assistance hétéroclite de lords, de ladies britanniques et de vedettes hollywoodiennes. « Si nous suivions la voie de l’amour, on ne laisserait pas tomber la justice. Si l’amour était la voie à suivre, la pauvreté serait une chose du passé. La terre serait un sanctuaire. » Et d’évoquer le Salut : « Jésus est mort pour nous sauver. Voilà ce que signifie l’amour. Il est mort pour tous nous sauver. Il n’est pas mort pour se sauver lui-même. Jésus n’a pas reçu de doctorat pour sa mort. Il n’a reçu aucun honneur, il s’est sacrifié pour le bien des autres, pour le bien du monde, pour nous. » Pour les anciens, et aussi pour les amateurs de la série The Crown, cela rappelle les visites de Billy Graham à Buckingham, que la reine a rencontré pour la première fois en 1955. À plusieurs reprises, le « prédicateur le plus influent du XXe siècle » a été invité à donner un sermon dans la chapelle privée de la reine qui l’a même fait chevalier honoraire en 2001. Cette fois, le mariage princier est célébré sous le regard de deux milliards de téléspectateurs à travers le monde.

Malheureusement, le ciel des îles britanniques finit toujours par se couvrir. Et si Elizabeth II a toujours vu la foi comme un instrument de paix et de réconciliation, ce credo lui est bien précieux à partir de 2019. Le prince Andrew, duc d’York, réputé fils préféré de la reine, est mis en cause dans la très sordide affaire Jeffrey Epstein, du nom de l’homme d’affaires américain accusé de viol et de proxénétisme par des dizaines de jeunes filles, et retrouvé pendu dans la cellule où il attendait son procès pour trafic de mineurs. Une des plaignantes, Virginia Roberts, raconte avoir été utilisée à l’âge de 17 ans par Epstein comme esclave sexuelle au service de clients, parmi lesquels le prince Andrew… Celui-ci commence par nier avoir jamais rencontré la jeune femme, mais des photos attestent le contraire. En outre, la justice américaine estime la plainte recevable. Début 2022, le duc d’York, qui s’est retiré de la vie publique, accepte de conclure un accord avec la plaignante, qui abandonne les poursuites contre 12 millions de livres (14 millions d’euros).

C’est ensuite la belle histoire de Meghan et Harry qui tourne au mauvais feuilleton. Fin 2019, lors de ses vœux, Elizabeth II, loue l’esprit « d’amitié et de réconciliation » dans son bureau où l’on aperçoit des photos de tous ses proches, sauf de Harry et Meghan. Certains observateurs ont beau inviter à ne pas surinterpréter cette absence, car elle répond au désir du prince Charles de réduire le train de vie de la famille royale par souci d’économie et de sobriété. Pourtant, l’orage gronde. Des rumeurs de tensions entre Meghan et sa belle-sœur, Kate Middleton, épouse du prince William, font les choux gras des tabloïds, contre lesquels Meghan Markle entame un bras de fer. Ses dépenses, jugées excessives, sont scrutées ; ses contradictions – enga­gement en faveur de l’écologie et utilisation d’un jet privé –, pointées du doigt. Au début de l’année 2020, le jeune couple annonce sur le réseau social Instagram qu’il souhaite prendre du recul par rapport à la famille royale. Du jamais-vu. Dans la foulée, ils partent s’installer aux États-Unis, alors que l’épidémie de Covid-19 s’abat sur le monde.

Même En deuil, elle parle de joie

Le 5 avril 2020, la reine prononce le cinquième appel à la nation de son règne, après ceux de 1991 pour la guerre du Golfe, de 1997 pour la mort de Diana, de 2002 pour le décès de sa mère, Queen Mum, et de 2012 pour les 60 ans de son règne. « Dans les années qui viennent, encourage-t-elle, tout le monde pourra être fier de la manière dont il aura relevé le défi. Et ceux qui viendront après nous diront que cette génération était l’une des plus fortes. Que la discipline personnelle, la détermination dans une relative bonne humeur et l’attention aux autres caractérisent toujours ce pays. »

Le 25 décembre de la même année, c’est la souveraine d’un pays en crise sanitaire et politique, et par ailleurs une mère de famille éprouvée, qui rend hommage à toutes les personnes engagées dans la lutte contre le Covid-19 et parle d’espoir. Hélas ! la coupe amère n’a pas encore été bue jusqu’à la lie. En mars 2021, Harry et Meghan sont interviewés par la présentatrice vedette américaine Oprah Winfrey. Les larmes aux yeux, Meghan décrit l’ambiance délétère de ce qu’elle appelle « l’entreprise », avec des mots qui rappellent ceux de Lady Di. Pire, elle accuse certains membres de la famille royale – sans nommer qui que ce soit – de racisme. Ce déballage de linge sale, en rupture complète avec la maxime royale Never Complain, Never Explain (« ne jamais se plaindre, ne jamais expliquer »), fait la une de la presse internationale.

Une accusation de racisme est cependant très grave pour la cheffe du Commonwealth. Deux jours après la diffusion de l’interview, elle répond par un communiqué court. « Les problèmes mentionnés, en particulier concernant le racisme, sont préoccupants », admet Buckingham, qui diligente une enquête interne. Puis nuance : « Bien que certains souvenirs puissent différer, ils sont pris très au sérieux et seront réglés en famille, en privé. » Le texte se termine sur une note chaleureuse : « Harry, Meghan et Archie (leur fils né en 2019, ndlr) seront toujours des membres aimés de la famille. »

Un mois plus tard, Elizabeth II est à nouveau frappée au cœur, cette fois par la mort de son mari, le duc d’Édimbourg, après 73 années de mariage. Peut-être l’introspection sur l’importance du couple pour celui ou celle qui porte la couronne a-t-elle présidé à l’importante décision prise par la reine en février 2022, à l’occasion de la célébration de son jubilé de platine (70 ans de règne). Dans un communiqué publié à cette occasion, elle exprime son souhait que, lorsque Charles sera roi, Camilla soit reconnue comme reine consort. En effet, lors de leur mariage en 2005, il avait été décidé que son titre soit celui de princesse consort, afin de ménager les sensibilités. Privilège de l’âge, la reine, qui a parfois été jugée insensible au cours de son règne, hésite moins à fendre l’armure et laisse parler son cœur et son âme.

Jamais, sans doute, les vœux de Noël n’ont été si personnels que ceux du 25 décembre 2021. Digne mais éprouvée par le décès de son époux, la souveraine, vêtue de rouge, rend hommage à celui qu’elle appelait son « roc » : « L’éclat espiègle et interrogateur (de ses yeux, ndlr) était aussi brillant à la fin que lorsque j’ai posé mon regard sur lui pour la première fois. » Après l’avoir entendue prêcher sur l’espérance et la charité en 2020, les Britanniques contemplent en 2021 une veuve qui parle de joie. Trois vertus chrétiennes par excellence, dont elle témoigne sans bigoterie – consciente de s’adresser à un peuple sécularisé et multiconfessionnel –, mais avec une foi simple, presque enfantine. Simple comme un hymne : God Save the Queen. 

Note aux lecteurs

Les lecteurs familiers de La Vie reconnaîtront dans ces pages la signature de Jean Mercier. Notre confrère et ami, décédé en 2018, a consacré durant sa carrière de nombreux articles à Elizabeth II, dont il était fin connaisseur et gardait affectueusement un portrait accroché dans son bureau. Sa biographie de la reine – reprise et complétée pour un hors-série consacré à la reine (Elizabeth II, la dernière reine chrétienne, à commander ici) – est même l’un des derniers articles qu’il a signés pour l’hebdomadaire, avant de succomber au cancer qui l’a emporté. Aymeric Christensen

Elizabeth II, la dernière reine chrétienne (1926-2022)