Bitcoin (BTC) : Sans les poètes, c’est foutu

Je vais vous révéler pourquoi Bitcoin n’a toujours pas transformé l’essai. D’aucuns pensent que la raison est purement technique. Absolument faux. C’est un problème social, axiologique, voire marketing. Bitcoin est encore un embryon parce qu’il y a plus d’ingénieurs que de poètes. Plus de cryptographes, que d’artistes. Plus de nerds que de prophètes. Le changement de paradigme est trop grand pour espérer devenir la nouvelle norme monétaire de manière entropique, sans repenser le langage dans toute sa complexité.

Le problème fondamental de Bitcoin est social, pas technique

Après vous avoir parlé des derniers Ponzis dénichés dans l’écosystème crypto (StepN et les degens du Move-to-Earn), je voulais vous parler cette semaine d’un sujet vraiment important et très sérieux.

Je pense avoir compris la raison pour laquelle Bitcoin ne vaut que 20 000 dollars après une décennie d’existence. La raison pour laquelle il ne reste probablement qu’une dernière bulle si rien ne change. Et que même si ça change, il faudrait un changement vraiment extraordinaire pour devenir la prochaine norme monétaire. C’est-à-dire la bulle qui s’autoalimente sans jamais éclater. 

Et ce n’est ni en raison de la taille des blocs, du manque de développeurs sur Lightning Network ou sur l’impossibilité de faire tourner StepN sur le Layer-1.

C’est avant tout un problème axiologique. Or, seuls les artistes, notamment les poètes, ont la capacité de transformer notre système de valeurs. Plus que jamais, ils doivent être mobilisés pour engendrer ce changement extraordinaire dont a besoin Bitcoin. 

C’est une question de vie ou de mort.

Steve Jobs, contre-culture et poésie

Si vous avez un ordinateur aujourd’hui, c’est aussi grâce aux artistes comme Steve Jobs.

Dans les années 60, dans une côté Ouest Américaine bouleversée par une révolution technologique (puces, jeux vidéo, fabricants d’ordinateurs), naissait une sous-culture de pirates. 

Animée par des geeks qui refusaient de travailler pour Hewlett Packard, qui fumaient du LSD, écoutaient de la musique hippie et cherchaient à élever leur âme en pratiquant la méditation, le yoga, le cri primal ou l’hindouisme. 

Je pense que Satoshi pratiquait le cri primal.

Un mélange entre des hippies aux cheveux longs adeptes du Flower Power et les puces électroniques. De la spiritualité et de la haute technologie. 

Steve Jobs est l’incarnation de cette rencontre originale. Le jour, il méditait et prenait du LSD, l’après-midi il étudiait la physique à Stanford. Le soir, il travaillait chez un fabricant de jeux vidéo. Il écrivait des poèmes et jouait de la guitare. (Steve Jobs continuera de lire des poèmes lorsqu’il sera multimillionnaire avant de commencer certaines réunions du conseil d’administration d’Apple).

La poésie a fait évolué la vision des ordinateurs

Une rencontre d’autant plus originale que de nombreux adeptes de la contre-culture considéraient les ordinateurs comme l’arme oppressive de Big Brother. 

Beaucoup pensaient sincèrement que les ordinateurs étaient profondément liberticides.  Mais au début des années 70, les gens commencèrent à changer d’avis au sujet des ordinateurs. Un temps, décrits comme des objets diaboliques, bureaucratiques, ils deviennent progressivement des instruments de libération de l’individu. 

La langue des poètes n’y ait pas pour rien dans cette évolution. Seuls les artistes pouvaient être à l’origine d’une telle transfiguration.

Lisez ce superbe poème de Richard Brautigan « All Watched Over by Machines of Loving Grace ». La machine qui engendre un monde paradisiaque, harmonieux et libère le genre humain. 

Concilier art et technologie

La contre-culture de la baie de San Francisco autant adepte du rock, du LSD que des puces électroniques a favorisé l’essor des ordinateurs. Tout au long de sa vie, Steve Jobs a toujours été cet artiste élitiste, là où Steve Wozniak n’était qu’un génial ingénieur dépourvu de sensibilité poétique. C’est la réunion des deux, le poète qui comprenait les désirs des gens, mêmes les plus invisibles, et du technicien. Jobs définissait le « why » et Wozniak le « how ». 

« les clients ne savent pas ce qu’ils veulent tant qu’on ne leur a pas montré ». Steve Jobs avait cette fibre poétique : il comprenait le réel dans toute sa profondeur jusqu’à définir les désirs cachés des gens.

Steve Jobs a toujours eu cette ambition de réunir l’art et le matériel technologique. Après Apple, il le fera avec Pixar : réunir les gens créatifs d’Hollywood et les techniciens de la Silicon Valley. Combiner le grand Art, dont la poésie en capture le mieux l’essence, et la technologie. C’est comme ça que Jobs transforma l’industrie des films d’animation comme jamais depuis 1937 lorsque Walt Disney donna vie à Blanche-Neige.

« Quand je suis allé chez Pixar, j’ai pris conscience d’un grand dilemme. Les sociétés technologiques ne comprennent pas la créativité. Elles n’apprécient pas la pensée intuitive. Elles pensent que les artistes sont une bande de joyeux lurons affalés toute la journée sur des canapés…. Je suis l’une des rares personnes à savoir que la technologie requiert de l’intuition. » – Steve Jobs.

Bono, un ami de Steve Jobs déclara : « Ces hippies qui fumaient de l’herbe et marchaient avec des sandales comme Steve ont inventé le XXIe siècle, parce qu’ils proposaient une autre vision du monde. Les années 1960 furent un bouillon de culture, un terreau idéal pour inventer le monde de demain. »

Susciter une « autre vision du monde », c’est ce que propose également la poésie. Steve Jobs est probablement le plus grand entrepreneur des dernières décennies (du siècle). C’est en alliant la puissance de la poésie à celle des processeurs, en insufflant son âme artistique dans ses produits qu’il est parvenu à bâtir Apple.

Bitcoin a cruellement besoin de cette sensibilité poétique pour réveiller les consciences.

Des poètes pour réinventer la monnaie

Il y a plus d’une décennie, un génial développeur a proposé un document de quelques pages présentant une innovation monétaire. D’une monnaie gouvernementale, gérée de manière discrétionnaire par des banquiers centraux, Satoshi Nakamoto proposait à l’humanité d’adopter une nouvelle norme. Puisqu’on ne pouvait pas faire confiance aux hommes derrière ces institutions et qu’ils avaient tendance à produire systématiquement de l’inflation, le code informatique et les incitations économiques devaient les remplacer.

Amputer l’État de son monopole de production monétaire.

C’est un acte scandaleux. Aussi scandaleux que de vouloir séparer l’État et l’Église il y a un siècle. 

Les poètes ont un rôle crucial à jouer ici en cela que la poésie a toujours affirmé la suprématie du mouvement sur la fixité. Rien n’est immuable en poésie, tout est plastique, en commençant par la langue qu’on peut atomiser. « Je est un autre », disait Arthur Rimbaud. 

Elle peut donc devenir un instrument extrêmement utile pour faire accepter ce renouvellement scandaleux de la nature et de l’identité de la monnaie. Une nature que les gouvernements veulent figer et cloisonner comme le seul fruit de leurs entrailles.

« Les cryptos ne sont pas des monnaies, point final », disait récemment Christine Lagarde. Elle donnait là une définition minimale de la monnaie pour euthanasier notre fonction d’imagination et asphyxier l’innovation en matière monétaire.

Nous avons besoin d’un Rimbaud pour objecter à Christine Lagarde la simplification du concept de monnaie qu’elle cherche à inoculer pour soumettre notre pensée. Elle nous vole les mots. 

Un vers suffirait à anéantir cet acte totalitaire du langage.

On n’est pas sérieux quand on est banquier central. Pan !

Transformer Bitcoin en arme de guerre, par le langage

Les poètes ont la capacité d’élargir notre conscience du réel. Il ne s’agit certainement pas d’écrire des poèmes décoratifs et les diffuser sur Twitter « car ça sonne bien ». Ça n’aurait aucun intérêt. Ce serait même ringard. La poésie est un manuel de combat.

Au contraire, la poésie, en rejetant la monosémie du concept de monnaie, peut anéantir la prison du sens dans lequel nous sommes enfermés. En produisant un autre réel, où la monnaie serait purement immatérielle, apatride et acéphale, les poètes augmenteront les probabilités d’une hyperbitconisation

La langage est une arme

Les poètes doivent atomiser le concept de monnaie afin de le reconstruire entièrement. Les bitcoiners n’ont rien d’autre que les mots pour s’engager dans cette lutte à mort avec le dollar. Sur tous les autres terrains : médiatique, militaire, politique … ils échoueront et leurs efforts seront vains. 

Comme l’expliquait Aimé Césaire, « Je refuse l’antinomie révolution et utopie, praxis et imagination. Je considère que l’action se fait précisément par l’imagination et par le verbe. » 

Commencer par déranger l’oreille en écrivant des poèmes dans nos sociétés antipoétiques pour accoucher d’un réveil des consciences. Si une langue alternative est possible, alors un autre énoncé du monde l’est. Un monde où la monnaie ne posséderait aucun gène gouvernemental. 

« La forme linguistique est non seulement la condition de transmissibilité, mais d’abord la condition de réalisation de la pensée », Emile Benveniste.

Bitcoin est infiniment complexe

Bitcoin est infiniment complexe. Plus qu’une monnaie, il fait appel à des notions aussi techniques que la relativité du temps, la thermodynamique ou la cryptographie. Un objet avec autant de « métamorphoses » a besoin d’un Ovide pour l’exprimer dans toutes ses possibilités.

Quoi de plus réducteur que d’enfermer Bitcoin sous le concept de monnaie ou de système de paiement ? Un acte quasiment mensonger et scandaleusement simplificateur. Bergson expliquait déjà que le langage est générique là où la réalité est singulière. Le mot « monnaie » ne rend pas compte des milliards de façons d’imaginer la monnaie. Or, sans imagination on ne comprend pas Bitcoin. On n’arrive même pas à comprendre où sont les BTC, ou si même on possède des BTC ou uniquement ses 24 mots.

Comme l’exprimait Novalis « Plus il y a de poésie, plus il y a de réalité ».

Bitcoin a besoin de poésie pour dépasser la description de surface barbante qu’on entend souvent et étendre le concept à l’infini. Seul moyen de créer un nouvel imaginaire voire une nouvelle religion.

Atomiser le langage pour produire des réalités alternatives

Il faut changer le système de valeurs. Seuls les artistes le peuvent, en particulier les poètes.

Tant que les gens parleront de la Fed ou de la Sec comme d’un régulateur, du BTC, comme d’une marchandise dérégulée, ce sera un échec. Tant que les gens estimeront que l’économie doit être « organisée » pour être fonctionnelle, que les gens doivent être protégés contre eux-mêmes…

Bitcoin est contre son temps.

Il parle de responsabilité individuelle dans un monde si irresponsable qu’il en vient à détruire sa seule planète et où les gens qui refusent de porter un masque pensent être des révolutionnaires. Bitcoin parle de préférence pour le long terme quitte à mépriser un présent transitoire où le prix est volatile. Il introduit la rareté absolue dans la civilisation des gadgets inutiles. Une monnaie immortelle à l’ère de TikTok. L’éthique de l’épargne quand ils ne parlent que de relance de la consommation et que les États n’ont jamais été aussi endettés en période de paix.

Hal Finney a tort. Il faut écrire du code et des poèmes.

Bref, Bitcoin repose sur un système de valeurs antithétique au nôtre. Il ne peut donc pas s’imposer de manière entropique. Bitcoin propose un changement total de système : de la place de l’individu à la foi dans les institutions étatiques. Il faut donc tout repenser, changer les règles et forger de nouveaux symboles, valeurs.

De l’incapacité à imaginer une autre monnaie

Notre époque ne déconstruit absolument rien (les gens sont terriblement conservateurs) et surtout pas sur le terrain économique. Ni la pandémie, ni la guerre, ni la catastrophe écologique ne semblent amener les individus à changer. C’est aussi pourquoi la réintroduction de la poésie serait insolente, elle qui détruit tout, en commençant par la forme.

La monnaie est une convention sociale et toutes les conventions sociales peuvent être euthanasiées. Personne n’oblige les gens à préférer le dollar au bitcoin. L’histoire même du dollar est profondément contingente.

Nous touchons là de près le cœur du problème. Nous sommes incapables de comprendre que le système monétaire actuel est profondément contingent. A n’imaginer ne serait-ce qu’une autre possibilité monétaire. Il n’est que le fruit d’un « hasard apparent ». La Fed n’est pas une loi physique. La banque centrale n’est pas un théorème mathématique. Elle peut donc être déconstruite.

Une autre monnaie est possible.

« Il y a un autre monde, mais il est dans celui-ci », Paul Eluard.

Bitcoin, la monnaie de la « liberté libre » ?

« Que voulez-vous, je m’entête affreusement à adorer la liberté libre, et… un tas de choses que « ça fait pitié », n’est-ce pas ? — Je devais repartir aujourd’hui même ; je le pouvais : j’étais vêtu de neuf, j’aurais vendu ma montre, et vive la liberté. » Arthur Rimbaud.

Une génération de poètes bitcoiners ont la possibilité d’inquiéter la Fed. Comment ? En rejetant les dogmes, les injonctions qui figent la notion de monnaie au fruit d’une institution gouvernementale. En étranglant les mots, ils peuvent créer une nouvelle réalité. Mais aussi en s’affranchissant des oukases des banques centrales qui nous enjoignent à nous enfermer dans une définition monosémique de la monnaie.

Si bitcoin est la monnaie de la liberté, alors la poésie doit devenir notre principale machine de guerre.

« La poésie, c’est le meurtre », Mandelstam.

J’en suis convaincu. C’est réunir Rimbaud et Satoshi dont nous avons besoin. Steve Jobs nous a montré que la poésie était indispensable pour définir ce qui était désirable et créer de nouveaux enchantements. Plus que les ingénieurs, ce sont les artistes qui peuvent produire un autre réel face à l’inertie ambiante. Comprendre l’invisible qui nous pousse à préférer le dollar au BTC. Le seul code informatique ne pourra jamais réagencer notre système de valeurs, c’est bien trop ardu. Sans eux, Bitcoin n’a donc aucune chance. Alors, bitcoiners enivrez-vous de poésie !

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Yanis A

Le bitcoin change tout ! Issu d’une formation financière, tout me passionne dans cette technologie. Chaque jour, j’essaie d’enrichir mes connaissances sur cette révolution qui permettra à l’humanité d’avancer dans sa conquête de liberté.

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