12 films à voir et à revoir pour le carême

Certes, le genre cinématographique « films de carême » n’est pas dûment répertorié, comme peut l’être par exemple celui de « films de Noël ». Et pourtant…

N’y a-t-il pas, durant cette période annuelle de 40 jours dédiée pour les chrétiens à la conversion personnelle et à la préparation de la fête de Pâques, un temps propice pour goûter certaines œuvres cinématographiques et se laisser porter par leur méditation sur le pardon, le mal, la tentation, le passage de la mort à la vie ? Le temps de « désert » pour se préparer à la célébration de la résurrection du Christ ne peut-il pas s’accompagner de longs métrages à la portée spirituelle ?

Nous avons retenu 12 œuvres, certaines explicitement chrétiennes, d’autres profanes ; des classiques et des films plus contemporains. Laissez-vous guider, comme une retraite par écran interposé…

1-L’Évangile selon saint Matthieu

de Pier Paolo Pasolini (1964)

Marxiste, athée, homosexuel, l’écrivain et cinéaste italien n’était pas fait pour le cinéma édifiant. Pourtant son adaptation scrupuleuse de l’évangile de Matthieu est d’une grande vérité spirituelle. Le choix de Matthieu, assimilé à l’ancien collecteur d’impôts Lévi, n’est pas anodin : c’est le texte évangélique le plus acerbe contre les riches et les puissants.

Joué par des acteurs non professionnels, l’Évangile selon saint Matthieu n’essaye pas de reconstituer une Palestine de l’époque ni de proposer un Jésus iconique ou ultraréaliste. Comme dans les fabliaux du Moyen Âge sur le parvis des cathédrales, on sait que nous sommes en face de personnes qui ne font que donner une représentation de la vie de Jésus.

Mais celle-ci est résolument vraie. Elle refuse tout effet spectaculaire. Ainsi le sermon sur la montagne se concentre-t-il sur le visage du Christ, montrant que l’important est bien la Parole. Et la Crucifixion évite tout pathos, étant filmée de loin. Comme dans le texte évangélique, l’auteur ne s’y attarde pas. L’important n’est pas ce qu’on peut en montrer, mais ce qu’elle dit de la mort et de la vie.

https://www.youtube.com/watch?v=Q3uhOAzsgpo

2-La Loi du silence

d’Alfred Hitchcock (1953)

À Québec, un homme habillé en soutane assassine un avocat pour de l’argent et se confesse de son crime à un prêtre interprété par Montgomery Clift. Petit à petit, le père Logan voit les regards se porter sur lui. On le soupçonne d’avoir assassiné l’avocat car ce dernier l’aurait fait chanter pour une liaison avec une femme. Choisissant de ne pas trahir le secret de la confession, le père Logan ne dénonce pas le coupable.

Acquitté faute de preuve, Logan va se trouver face à un tribunal bien plus redoutable : celui d’une foule haineuse qui ne souhaite que le lyncher. Tenté par la violence (pressé par la foule il brise la vitre de la voiture dans laquelle il rentre), sans aucun recours humain face au déferlement du Mal, le prêtre vit un chemin de croix qui met en scène avec radicalité la question du choix du bien contre le mal, thème souterrain irriguant toute l’œuvre du maître du suspens élevé par les jésuites…

3-Les Communiants

d’Ingmar Bergman (1963)

Trois heures de la vie du pasteur luthérien Thomas Ericsson, en proie à une crise de la foi, au cœur de l’hiver suédois. Alors que Martha, l’institutrice du village le poursuit d’un amour auquel il ne sait répondre, Thomas est interpelé par un paroissien, Jonas, en grande dépression et en pleine épreuve de doute. Mais Thomas ne peut renvoyer à Jonas que son propre vide spirituel. Au sortir de la discussion, Jonas se suicide.

D’un minimalisme radical, les Communiants (Nattvardsgästerna en suédois et Winter Light en anglais) est sans doute un des Bergman les plus aboutis. La scène de la lettre de Martha à Thomas (filmée par un long gros plan sur Martha en faisant la lecture) est un sommet.

Celle de la fin où le sacristain, Algot, vient humblement livrer sa parole au pasteur submergé par l’acédie est d’une densité spirituelle rare. Commentant la Passion comme souffrance certes physique, mais aussi psychique et surtout spirituelle ( « Mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ? »), Algot montre que le simple en sait plus que le clerc. Il a compris que sans amour, la foi comme la vie humaine est impossible, voire infernale.

4-L’Île

de Pavel Lungin (2008)

Dans les étendues glaciales et tapissées de neige d’une île russe, vit un moine en proie à ses démons intérieurs ; à une terrible faute commise il y a des années, et qui assiège depuis son esprit. Murmurant tout au long de la journée la prière du cœur, suppliant Dieu et sa miséricorde, cet homme confie un jour à son supérieur : « Mes péchés me brûlent. »

Incompris, facétieux, jalousé par ses frères orthodoxes, ce fol en Christ réputé pour ses dons de guérison et de prédication de l’avenir, lit dans les âmes, décèle et chasse les mauvais esprits, apaise les cœurs. Le monde extérieur afflue vers ce moine, libre, radical, à la parole tranchante. Dans sa communauté, seul le supérieur devinera la sainteté de cet homme dont l’existence terrestre aura été un long purgatoire. Un combat spirituel permanent. Un chemin de croix lucide et humble, entièrement tourné vers le Christ.

5-The Tree of Life

de Terrence Malick (2011)

« Il y a deux voies dans la vie, celle de la nature et celle de la grâce. » Dès les premières minutes de ce film-prodige de Terence Malick (Palme d’or 2011 à Cannes), la voix off présage de la suite.

Mais avant le déploiement narratif de cette question cruciale qu’est celle du péché originel, le spectateur assiste – fasciné ou lassé – à une superposition d’images de la création du monde ; cosmos en ébullition, arraché du néant, dans cette violence inhérente à chaque naissance. La voix off poursuit, à coups de paroles bibliques dûment choisies.

Puis vient l’histoire humaine, celle qui incarnera à merveille l’Histoire de l’humanité, aussi banale qu’unique, aussi triviale que spirituelle. Nous voilà dans le Texas des années 1960, immergés dans les joies et les drames de la famille O’Brien. Entre le père (Brad Pitt), figure autoritaire et brutale bien qu’aimante, la mère (Jessica Chastain), douce et sensible, et un des trois fils en particulier, c’est toute la thématique de l’assouvissement à la part de violence sournoise et dévastatrice tapie en chaque être humain ou de l’ouverture à la grâce, salvatrice, qui est exposée.

« Choisis donc la Vie » (Dt. 30,19) semble souffler la voix off aux personnages, tous admirablement interprétés. En ce temps de carême, The Tree of Life (l’arbre de vie) nous invite à sans cesse user de notre liberté, siège de notre dignité, pour refuser le mal, et choisir la porte étroite conduisant au Royaume… à l’image de la scène finale, bouleversante.

6-Into the Wild

de Sean Penn (2007)

Christopher McCandless rêvait d’absolu, et il en est mort. Son histoire vraie a été portée au cinéma après avoir été un passionnant livre enquête signé John Krauker. Étudiant brillant, son diplôme en poche, Christopher fait don de ses 24.000 dollars d’économies à une ONG et opte pour une vie de vagabond.

Il se rebaptise « Supertramp », en référence à ces hobos poussés sur les routes par la misère mais aussi aux clochards célestes de Kerouac en quête d’aventure spirituelle. Lui, le gamin idéaliste, aspire à la liberté, multiplie les petits boulots et les amitiés mais refuse tout attachement. Il veut une nature vierge et sauvage où vivre en ermite, tel Thoreau et tels les héros de Jack London. En avril 1992, il s’élance seul au cœur de l’Alaska. Son aventure extrême se veut une renaissance. Ce sera une lente agonie.

Sean Penn élève Chris au rang de mythe. Mais l’odyssée ne se résume pas aux grands espaces et à une orgueilleuse fuite du monde. Le film est jalonné de rencontres et de partages, qui disent le besoin de relations humaines fraternelles et authentiques, libérées de tout calcul matérialiste. Et l’histoire, finalement, trouve sa raison d’être dans ces quelques lignes tracées par Chris avant sa mort : « Le bonheur n’existe que partagé ».

7-La Passion du Christ

de Mel Gibson (2004)

C’est sans doute l’un des plus attendu et l’un des plus discuté. Deux heures de torture et de supplice. Montrant les 12 dernières heures de la vie de Jésus sur terre, du mont des Oliviers au Golgotha, la Passion du Christ, ne fait l’économie d’aucun détail sur l’agonie du Fils de Dieu. Le spectateur est comme embarqué avec Lui, entre séquences de flagellation, caméra braquée sur son corps lacéré, et sévices. Insoutenable, insupportable : par ce traitement hyper-réaliste, Mel Gibson a voulu faire prendre conscience à chacun que c’est pour lui que le Christ a souffert.

Édifiant et bouleversant pour certains, hyper-violent pour d’autres, ce film, interdit aux moins de 12 ans, a suscité à l’époque de sa sortie de vives polémiques.

La Conférence des évêques de France avait d’ailleurs soulevé plusieurs limites : « Le choix d’isoler la Passion de la vie et de la prédication du Christ d’une part, et des récits sur le Ressuscité d’autre part, raccourcit le message des évangiles de manière problématique. Les quelques flashes-back, trop allusifs, ne permettent pas de prendre en compte les motifs complexes qui ont peu à peu suscité l’adhésion des foules à Jésus, et la controverse sur sa personne, ses intentions, son mystère. (…) Si le film rappelle crûment l’atrocité des supplices subis et de la mort sur la croix, il le fait avec une complaisance choquante dans le spectacle de la violence. Cette violence, qui submerge le spectateur, finit par occulter le sens de la Passion et plus largement, l’essentiel de la personne et du message du Christ : l’amour porté à sa perfection dans le don de soi consenti. »

8-Le Fils

de Jean-Pierre et Luc Dardenne (2002)

Olivier (Olivier Gourmet) est formateur en menuiserie dans un centre de réinsertion. Il reçoit en stage un jeune homme qui a été emprisonné pour le meurtre de son fils. Caméra à l’épaule, les Dardenne suivent Olivier avec lequel nous faisons corps, tout en gardant une certaine distance.

Pourquoi suit-il partout le jeune homme – dans les locaux, en ville, dans le bois ? Pour s’expliquer ? se venger ? pardonner ? Personne n’en sait rien, Olivier le premier. Le film montre des corps en mouvement, travaillant la matière, en l’occurrence le bois. Ce qui se passe n’est ni cérébral ni psychologique, mais de l’ordre du vital.

Même si les Dardenne laissent une totale liberté d’appréciation au spectateur, on peut lire ce film comme une rédemption par le pardon. Au fur et à mesure des plans, le film se transforme en thriller métaphysique dont la scène de la poursuite dans le bois est un sommet. En tant qu’athées, les Dardenne prennent la matière au sérieux ; en tant que cinéastes, ils savent qu’on ne peut filmer que des corps. Mais de telle manière que surgisse sur l’écran l’indicible et l’invisible ; en un mot, la grâce.

9-Stromboli

de Roberto Rossellini (1950)

En épigraphe du film, Rossellini a choisi cet extrait du chapitre 65 d’Isaïe : « J’ai exaucé ceux qui ne me demandaient rien. Je me suis laissé trouver par ceux qui ne me cherchaient pas. » Karen, réfugiée lituanienne interprétée par Ingrid Bergman, est internée dans un camp car elle a été la maîtresse d’un officier allemand durant la guerre.

Elle épouse un pêcheur de l’île de Stromboli pour sortir du camp, mais n’a pour but que de quitter l’île. Pour ce faire, elle doit accéder à un village côtier en passant par le terrible volcan. Se perdant dans la nuit, elle implore Dieu à son secours au terme d’une longue montée au calvaire.

En filmant une héroïne qui n’a rien d’une figure mystique et dont le vide intérieur se fait de plus en plus abyssal au fur et à mesure que le film avance, Rossellini dépouille Ingrid Bergman de toute psychologie pour retrouver une âme à nu où la grâce peut enfin passer puisque plus rien n’y fait obstacle. Pour Éric Rohmer, Stromboli est le film de « la misère de l’homme sans Dieu ».

10-Le Festin de Babette

de Gabriel Axel (1987)

Dans un petit village danois, deux sœurs célibataires aux cœurs blessés accueillent comme servante Babette Hersant (Stéphane Audran), une Française ayant fui la Commune de Paris.

Pendant 15 ans, elle va servir les deux femmes austères chez qui elle a trouvé refuge, jusqu’au jour où elle apprend avoir gagné 10.000 francs à la loterie. Elle se propose alors d’organiser un grand repas pour douze convives, durant lequel vont s’ouvrir non seulement les palais mais aussi les cœurs et les âmes.

Tout n’a-t-il pas été dit et écrit (à commencer par le menu du repas, disséqué et commenté) sur ce chef d’œuvre, adapté d’une nouvelle de Karen Blixen ? Sommet de profondeur humaine et spirituelle ? long-métrage sur le pardon ? évocation subtile de l’eucharistie ? Il n’y a pourtant pas de message explicitement chrétien dans le film, mais Babette apparaît tant comme une figure christique que beaucoup de croyants ne s’y sont pas trompés.

C’est aussi l’un des films préférés du pape François, qui écrit à son sujet dans l’exhortation apostolique Amoris Lætitia (premier cas d’un film cité en référence dans un document magistériel) : « Les joies les plus intenses de la vie jaillissent quand on peut donner du bonheur aux autres, dans une anticipation du ciel. Il faut rappeler la joyeuse scène du film le Festin de Babette, où la généreuse cuisinière reçoit une étreinte reconnaissante et un éloge : “Avec toi, comme les anges se régaleront !” »

11-Des hommes et des dieux

de Xavier Beauvois (2010)

C’est une histoire d’amour. D’amour pour un pays, d’amour pour des hommes. Une histoire contée au ras de la vie monastique, si l’on peut dire. Au plus près du quotidien de cette communauté de Tibhirine, en Algérie, formée par neuf religieux. Les chants, les études, le travail rythment les scènes.

Avant que les chaos du monde secouent ce monastère de l’Atlas, avant que la violence surgisse, Xavier Beauvois prend le temps d’immerger le spectateur dans une réalité à la fois belle et ordinaire : l’harmonie qui règne entre moines et villageois, entre chrétiens et musulmans.

Puis, quand la menace se précise, se jouent le doute et la peur d’hommes qui s’interrogent sur leur engagement et sur le sens de leur possible mort. En témoigne cette sublime séquence de leur dernier repas, bercé par le poignant Lac des cygnes de Tchaïkovski.

Scène de Cène, où la caméra, s’arrêtant sur chaque visage, révèle un temps suspendu au goût d’éternité, où chaque regard porte en lui des larmes de joie parfaite. Joie du cœur en paix, qui se donne jusqu’au bout, à l’exemple du Fils de Dieu.

12-Ordet

de Carl Theodor Dreyer (1955)

Johannes est le deuxième fils de Morten Borgen, paysan du Jutland. Atteint d’une forme de folie mystique, il parle comme Jésus (Ordet, en danois, signifie la parole). Dans un monde moins unanimement luthérien qu’autrefois (le frère aîné Mikkel est athée), il est un être à part, prêchant dans le vide dans les paysages de bord de mer danois magnifiés par le noir et blanc de Dreyer.

La mort en couche d’Inger, fille de Mikkel, donne l’occasion à Dreyer de filmer une des plus saisissantes scènes de l’histoire du cinéma. La petite Meren, fille de la défunte, prend son oncle par la main et le pousse vers le lit mortuaire.

Là, Johannes prononce ces paroles christiques : « Donne-moi la Parole… Inger, au nom de Jésus-Christ, lève-toi. » Inger retrouve la vie et son mari la foi. Celui qui était fou s’est avéré le plus sage. Lui seul a cru en la force de la Parole. Comme Jean (le Baptiste) il a crié dans le désert. Comme Jean, le disciple bien-aimé, il a cru en la force du Verbe. Et manifesté que la vie ne tient qu’à cette Parole qui est la Vie en plénitude.

 

BONUS : Le journal d’un curé de campagne 

En février 1951, Robert Bresson adapte le roman de Georges Bernanos, sorti 15 ans auparavant. Ce troisième long métrage, marque la confirmation du style du cinéaste : refus de toute expression dramatique ou même psychologique, priorité absolue au corps, et notamment aux visages, pour dire l’invisible, l’âme, dans la permanence de l’être et son secret existentiel.

Retrouvez ici d’autres critiques de films analysés sous le prisme spirituel chaque vendredi, avec le mensuel Prier. 

12 films à voir et à revoir pour le carême