Gad Elmaleh se raconte au JDD : « Moi, je picolais en toute occasion »

Il est revenu avec la ferme intention de retrouver sa place de taulier. Et il faut le reconnaître, Gad Elmaleh pourrait bien remporter son pari. Lancé en septembre dernier, après six ans d’absence sur les scènes françaises, son spectacle D’ailleurs cartonne avec déjà une centaine de dates au compteur. Mardi, il retrouvera le Dôme de Paris, où il a triomphé durant un mois en février. On peut parler d’un retour gagnant. Et même d’une « remontada », sourit Gad Elmaleh dans un café à deux pas de son appartement parisien. Le stand-upeur revient de loin. Des États-Unis où il s’est offert une escapade de trois ans durant laquelle il a alterné le pire (sa série Huge in France sur Netflix) et le meilleur (son spectacle en anglais American Dream, sur Netflix également). Il a aussi traversé une zone de turbulences avec des accusations de plagiat, sur lesquelles il fait ici son mea culpa. Aujourd’hui, sa force comique fait de nouveau des étincelles dans un one-man-show où il passe de l’intime à l’observation sociale, du stand-up au sketch avec une aisance réjouissante.

Vous aviez la pression avant de retrouver la scène après une telle absence ?
Six ans, c’est très long dans le milieu ultra-compétitif de l’humour . J’avais de gros doutes sur la qualité de mon spectacle, sur le retour du public après la crise sanitaire. Je me demandais s’il ne m’avait pas oublié, si mon image n’avait pas été durablement écornée par les polémiques. Je me savais attendu au tournant. Au final, le public est au rendez-vous. Cela rappelle combien le spectacle vivant et l’humour sont des activités essentielles, je dirais même de première nécessité.

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​À 51 ans, vous faites figure de vétéran d’une scène dominée par la jeune génération. Comment rester dans le coup ?
En évitant le piège de l’embourgeoisement. Je fréquente avec assiduité le circuit des comedy clubs comme un sportif va à la salle d’entraînement. Avant un combat, le boxeur se prépare de longs mois pour être affûté. Pour un humoriste, c’est pareil. Ce spectacle, je l’ai rodé dans les petites salles, deux à trois fois par semaine. C’est ­indispensable pour tester l’efficacité de mes vannes, car rien ne remplace le verdict du public. Quand j’ai un jour off, je file au Paname [un établissement du 11e NLDR] pour essayer de nouvelles idées, peaufiner des transitions… Récemment, j’ai joué dans un bar à chicha. Je me suis pris un bide. C’est dur sur le moment, puis tu te dis : « je vais revenir et tout défoncer. »

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Dans votre spectacle, le mot « vérité » revient souvent mais vous n’évoquez jamais la polémique sur le plagiat. C’est paradoxal, non ?
J’en ai parlé au début de la tournée. J’avais deux ou trois vannes sur l’affaire, mais je les ai supprimées parce que le public ne rigolait pas. Cette histoire, c’est du passé, je l’ai digérée. Si j’avais joué à l’époque de la polémique, en 2017, j’aurais été obligé d’en parler. Évidemment, elle m’a affectée. S’il suffisait de s’inspirer des vannes d’humoristes américains pour réussir, il y aurait plein de stars dans l’humour. C’est un peu plus compliqué… On parle de quelques minutes sur une carrière de trente ans. J’ai pris ces ­accusations avec orgueil, je manquais de recul. J’aurais dû aussi faire mon mea culpa, mais j’étais dans le déni.

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 Cette histoire m’a permis de faire un grand ménage de Pessah dans mes relations ! 

Vous vous êtes senti lâché par le milieu ?
Un proverbe arabe dit : quand la vache vacille, les couteaux sortent. Des humoristes français et québécois se sont engouffrés dans la brèche, sur le mode « moi aussi il m’a volé une vanne » pour faire parler d’eux. J’étais devenu si radioactif que des amis réalisateurs, animateurs de télé ou comédiens m’ont tourné le dos. Ils sont revenus quand j’ai recommencé à vendre des billets. Cette histoire m’a permis de faire un grand ménage de Pessah dans mes relations ! « Ce n’est pas parce qu’il m’a perdu comme ami qu’il m’a gagné comme ennemi », disait le rappeur 2Pac. Vous voyez, je cite mes sources… Cette affaire m’a obligé à me remettre en question. Je suis allé vers un one-man-show où je me raconte comme jamais, pour que personne ne puisse dire : « Ce n’est pas toi ! » Parler de choses personnelles, je l’ai fait toute ma vie. Mais parler de choses personnelles intimement, c’est une autre affaire.

Vous racontez par exemple avoir arrêté l’alcool…
C’était le 21 août 2021. Sur scène, je me décris comme « un alcoolique asymptomatique ». Certains pourraient dire « mondain ». L’alcoolique, ce n’est pas toujours un type qui se roule par terre et saigne du nez. C’est aussi un mec classe qui enchaîne les coupes de champagne en riant. Moi, je picolais en toute occasion. J’étais heureux, je buvais ; j’étais malheureux, je buvais ; je donnais un bon show, je buvais ; un mauvais show, je buvais. C’était trop…

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Vous avez aussi arrêté la cigarette, opté pour le célibat et vous suivez des cours de théologie. Vous allez vous reconvertir en moine humoriste ?
J’habite dans le 16 [16e arrondissement], je ne suis pas dans l’ascèse ! J’ai une famille, une carrière… Mais la vie monacale me fascine. Il m’arrive de partir en retraite spirituelle dans des abbayes pour prendre du recul, lire… J’adore cette phrase du rabbin Nahman de Bratslav : « Ne demande jamais ton chemin à celui qui le connaît, tu risquerais de ne pas t’égarer. » Ce cheminement spirituel n’est pas nouveau, mais il s’est accéléré depuis cinq ans. C’est sans doute lié à l’âge. J’épure à tous les niveaux : dans ma vie professionnelle, personnelle… La prochaine étape, c’est l’abstinence sexuelle. Non, je déconne ! Mais j’écris un sketch sur le sujet. Le tantrisme me fascine.

Vous croyez en Dieu ?
En tout cas, l’hypothèse de Dieu me rend joyeux. J’aimerais ­beaucoup écrire une comédie sur la foi, pour l’humour de Dieu… Enfant, j’ai reçu une éducation religieuse, j’étudiais le talmud, qui m’a beaucoup nourri. La pensée juive est une pensée active fondée sur le débat intellectuel, un questionnement sans fin. Elle a logiquement influencé mon humour : focaliser sur un détail anodin pour en tirer un fil comique, partir de l’infiniment petit pour aller vers l’infiniment grand. C’est la base de l’humour juif, de Groucho Marx à Jerry Seinfeld en passant par Woody Allen.

Dans le spectacle, vous mettez en scène vos funérailles. La finitude vous travaille ?
[il sourit.] Elle m’obsèque, oui ! Ce sketch est une manière de conjurer l’inéluctable. J’incarne successivement un rabbin, un imam et un prêtre lors d’une cérémonie funéraire. C’est mon côté œcuménique. Je m’éclate à échanger avec le grand rabbin de France Haïm Korsia, ou Abd Al Malik qui m’a au parlé du soufisme, j’assiste aux cours du père Pascal Ide au collège des Bernardins. On n’a pas besoin d’être musulman pour avoir la chair de poule en entendant l’appel du muezzin, d’être chrétien pour admirer une cathédrale ou juif pour être ému par le chant du schofar à Kippour. J’aime cette phrase de Charles de Foucauld : « C’est en voyant les musulmans prier que j’ai compris la dévotion. » Son destin est hors norme : il a été militaire, libertin, flambeur, linguiste, géographe, pour ensuite dédier sa vie à Dieu comme moine avec les Touaregs dans le Sahara, où il a été assassiné lors d’une razzia en 1916. Difficile de faire plus romanesque.​

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​Vous étiez justement au Vatican, le 15 mai, pour sa canonisation…
Il m’était impossible de manquer cet évènement. J’ai la chance de connaître l’employeur du « miraculé » à l’origine de l’élévation de Charles de Foucauld au rang de saint. Un certain Charle, sans le « s », un jeune charpentier de 26 ans, non baptisé et non croyant. En novembre 2016, il a fait une chute de 15 mètres de haut sur un chantier dans une chapelle à Saumur. Il a fini sur un banc, avec l’abdomen perforé. L’accident est survenu la veille du centenaire de la mort de Charles de Foucauld !Et Charle a survécu sans la moindre séquelle. C’est quand même fascinant. Sans parler de sa ressemblance avec Charles de Foucauld [il montre une photo de lui aux côtés du miraculé NLDR]. Et le plus amusant, c’est que ce jeune homme n’a toujours pas trouvé le chemin de la foi !​

Revenons à l’humour. À quel moment avez-vous pris conscience du pouvoir du rire ?
À 7 ou 8 ans, en classe, pour attirer l’attention, briller, être aimé. Je faisais souvent l’école buissonnière pour rendre visite à ma grand-mère et lui faire mon petit numéro. Elle s’appelait Simha, « la joie » en hébreu. Elle me disait toujours « fais-moi la rigolade ». J’avais mon sujet récurrent : ses voisines, des femmes avec des caractères très forts mariées à des hommes bizarrement très effacés. Ma grand-mère parlait à peine le français, donc je blaguais dans le dialecte judéo-arabe, avec une serviette sur la tête comme seul accessoire. À la fin, elle me donnait une pièce, parfois un billet de 10 dirhams, mes premiers cachets. Elle est disparue il y a cinq ans, à 102 ans. Je lui rends hommage car elle a été la première à rire de mes blagues, dans la clandestinité puisque j’étais censé être à l’école, ce qui était encore plus jubilatoire.

Durant votre spectacle, vous parlez du « syndrome du blédard ». C’est le complexe de l’immigré ?
C’est toujours en moi, malgré l’argent, la reconnaissance. À chaque fois que j’ai été invité à l’Élysée, j’ai eu cette petite peur de ne pas trouver mon nom sur la liste et de me faire refouler. Quand la femme de ménage vient chez moi, je fais toujours un peu de rangement, pour lui faciliter le travail. Dans mon spectacle, je reviens sur la rencontre à Monaco entre ma famille et celle de mon ex-­compagne, la princesse Charlotte Casiraghi. Je raconte comment ma mère demande à ma belle-famille : « C’est beau chez vous, vous louez ou vous êtes propriétaires ? » Un choc des cultures entre le glamour-paillettes et le couscous-boulettes !

L’hypothèse de Dieu me rend joyeux

Ce complexe est-il aussi un moteur ?
Oui, il me pousse à sortir de ma zone de confort, comme quand je me suis installé trois ans aux États-Unis pour repartir de zéro. Tout le monde m’avait pourtant déconseillé de me lancer dans cette aventure. Woody Allen, qui m’a fait l’honneur de me faire tourner dans Minuit à Paris [2011] et dans sa série Crisis in Six Scenes [2016], m’avait prévenu : « C’est un gros risque, mais au pire, tu te prends une gamelle et tu rentres en France. »​

Vous pensez avoir pris une gamelle ?
Si c’est le cas, la gamelle m’allait… J’ai quand même donné mon spectacle, en anglais, au Carnegie Hall de New York après trois ans à écumer le circuit des comedy clubs, à donner des interviews dans des radios locales jusqu’au talk-show de Jimmy Fallon. C’était un combat, avec des moments de solitude et des leçons d’humilité. J’ai joué dans des hypermarchés, dans des caves où l’on écorchait mon nom. Je touchais 100 dollars par session, mais ils avaient une saveur unique. J’ai aussi fait le tour des États-Unis en première partie de Jerry ­Seinfeld, mon idole absolue. Pour faire vraiment carrière dans ce pays, il faut rester sur place. Si j’ai choisi de rentrer, c’est aussi pour m’occuper de mes fils. Mais je compte bien y retourner prochainement pour retrouver les comedy clubs.

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Que vous inspire la gifle de Will Smith à l’humoriste Chris Rock lors des Oscars ?
J’adore Will Smith, mais son attitude a été minable et scandaleuse. J’ai eu l’impression de voir sur scène une transposition de la violence des réseaux sociaux, où tout le monde se bastonne par écrans interposés. Cette gifle, c’était comme un tweet haineux balancé dans la vraie vie. Je le vois à mon petit niveau : sur les réseaux, il y a des gens qui veulent m’épouser ou me tuer. Et parfois, c’est la même personne !

Sur scène, vous clamez votre amour de la France. Pourquoi n’avoir pas demandé la nationalité française ?
C’est vrai, j’ai mon passeport canadien, marocain, mais pas français. Quand je suis arrivé en France, j’avais fait la queue pendant des heures devant la Préfecture pour obtenir ma carte de séjour et avoir le droit de travailler. Quelques années plus tard, j’ai fait les démarches pour obtenir la nationalité française mais c’était vraiment trop compliqué, long et fastidieux, je me suis un peu découragé. Depuis, je n’ai pas renouvelé. Mais j’aime la France, je lui dois beaucoup. J’y habite et y paye mes impôts. Ma seule frustration est de ne pouvoir voter.

Du 31 mai au 4 juin au Dôme de Paris-Palais des sports (15e). Le 23 juillet à Carcassonne, le 28 à Colmar.

Gad Elmaleh se raconte au JDD : « Moi, je picolais en toute occasion »