Égypte : La découverte qui a subjugué le monde

En 1922, Harry Burton est largement reconnu comme le plus grand photographe d’archéologie du monde. Tout comme Carter, c’est un garçon de la campagne anglaise et d’origine modeste. Burton installe une chambre noire de fortune dans un tombeau voisin. Ses clichés contribuent à faire de la découverte et des fouilles un événement médiatique planétaire.

Dans un monde qui cherche désespérément à se divertir après les horreurs de la Première Guerre mondiale, le nouveau pouvoir des médias déclenche une vague d’égyptomanie. L’enfant-roi devient une star de la culture populaire.

Tut (abréviation de Toutankhamon en anglais) se retrouve sur des citrons de Californie, des cartes de paquets de cigarettes à collectionner, et même un jeu de société – de petits archéologues en métal, à dos d’âne, cherchent des trésors. Des chansons comme Old King Tut sont des succès de l’ère du jazz, sur lesquels dansent des femmes portant des coiffes en forme de cobra et de l’eye-liner au khôl évoquant l’œil d’Horus.

Les symboles égyptiens imprègnent l’art déco. Les hiéroglyphes et les cartouches envahissent vêtements, papiers peints et tissus d’ameublement. Ornés de dieux et de sphinx, de colonnes de papyrus et de fausses fresques funéraires, des cinémas sur le thème de l’Égypte ouvrent dans une cinquantaine de villes des États-Unis.

Lorsque Lord Carnarvon rentre en Angleterre, il est reçu au palais de Buckingham en audience privée par le roi George V et la reine Mary, tant le couple royal est impatient d’avoir des nouvelles de Toutankhamon. Carnarvon cède au London Times les droits exclusifs sur l’histoire en cours contre 5 000 livres sterling et un pourcentage sur les ventes futures. L’accord met en rage les journalistes égyptiens et la presse internationale, dont les reporters doivent se démener pour dénicher la moindre bribe d’information.

C’est dans la patrie de Toutankhamon que la ferveur est la plus intense. Les Égyptiens affluent en masse dans la Vallée des Rois pour voir les fouilles. Les écoliers jouent des pièces de théâtre célébrant le jeune pharaon, avec des accessoires inspirés par les photographies de Burton. Les dirigeants politiques et les poètes saluent le souverain comme un héros national.

« Il leur rappelle leur grandeur passée, analyse l’historienne Christina Riggs, et ce que leur nouvelle nation, libérée de la tutelle britannique seulement quelques mois auparavant, pourrait accomplir à l’avenir. »

Le retour au monde de Toutankhamon est considéré par les Égyptiens comme un message venu de leur glorieux passé. L’écrivain Ahmad Chawqi, icône de l’indépendance égyptienne, s’adresse dans ses poèmes à Toutankhamon en tant que chef spirituel du peuple égyptien : « Pharaon, le temps de l’autonomie est venu, et la dynastie des seigneurs arrogants est passée.  De ce jour, dans chaque pays, les tyrans étrangers doivent renoncer à leur domination sur leurs sujets ! » Les Égyptiens revendiquent d’ailleurs la souveraineté sur leurs lois et leur économie, mais aussi sur leurs antiquités. 

L’archéologie et l’Empire britannique sont depuis longtemps étroitement liés. En effet, les grandes fouilles sont financées par des musées, des universités et de riches collectionneurs européens et nord-américains, à l’image de Lord Carnarvon. Les bailleurs de fonds s’attendent à recevoir en retour jusqu’à la moitié des antiquités découvertes, conformément à la tradition du partage, vieille de plusieurs décennies.

Mais les nouveaux dirigeants égyptiens vont rapidement insister sur le fait que tous les trésors de Toutankhamon relèvent du patrimoine national et doivent rester en Égypte. « La décision du nouveau gouvernement égyptien de garder la collection de Toutankhamon en Égypte constituait une importante déclaration d’indépendance culturelle, explique l’égyptologue Monica Hanna. C’est la première fois que nous, les Égyptiens, avons commencé à avoir un droit de regard sur notre propre culture. »

 

Une seconde découverte majeure a lieu en février 1923. Carter pratique un trou dans le mur de la chambre funéraire de Toutankhamon, brandit une lampe de poche et regarde à travers. « Une vue incroyable est révélée par sa lumière, écrira-t-il plus tard, un mur en or massif. »

En réalité, ce mur en or fait partie d’une grande structure dorée –ou chapelle funéraire. Celle-ci abrite trois autres chapelles et un sarcophage en quartzite. Et dans le sarcophage –Carter le découvrira plus tard– se trouvent trois cercueils momiformes, emboîtés les uns dans les autres.

Lord Carnarvon rejoint Carter dans le tombeau pour l’ouverture tant attendue de la chambre funéraire. Mais, moins de deux mois plus tard, le cinquième comte décède d’une piqûre de moustique qui s’est infectée, provoquant un empoisonnement du sang et une pneumonie.

Sa disparition soudaine génère des rumeurs et de nombreux articles fantaisistes dans les journaux : la malédiction de la momie apporterait la mort ou le malheur à ceux qui dérangent le lieu de repos du pharaon. Sans se décourager, Howard Carter poursuit les fouilles. Il est désormais soutenu par la veuve de Lord Carnarvon, la comtesse douairière Almina Carnarvon. Mais, quand les autorités égyptiennes commencent à jouer un rôle plus actif dans les fouilles, Carter cesse le travail en signe de protestation. Ce qui pousse ses nouveaux superviseurs à lui interdire l’accès au tombeau. Près d’un an s’écoule avant qu’il puisse y retourner – non sans que lui et sa protectrice aient renoncé à toute revendication sur les biens funéraires de Toutankhamon.

Les travaux vont reprendre en 1925. Carter se concentre sur un objectif: dissocier les cercueils gigognes. La tâche, colossale, requiert une haute technicité. Le cercueil interne est en or massif et pèse 110 kg. À l’intérieur se trouvent les restes momifiés de Toutankhamon. Un incroyable masque d’or lui couvre la tête et les épaules. Cet artefact deviendra le symbole du fier passé de l’Égypte. Toutefois, l’homme derrière le masque ne va pas livrer ses secrets tout de suite.

 

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