Samuel Grzybowski, Missionnaire ad majorem Dei gloriam

EPISODE 2 – Missionnaire ad majorem Dei gloriam[1]

Où l’on suit Samuel Grzybowski, homme de foi, dans son œuvre de promotion de la religion à l’école, dans sa lutte contre la laïcité et l’universalisme et dans ses rapports douteux avec l’islam radical. Le tout pour « la plus grande gloire de Dieu » et avec la bénédiction de l’Observatoire de la laïcité et de quelques autres.

Samuel Grzybowski s’étend volontiers, dans ses textes autobiographiques[2], sur ces moments d’inspiration où sa foi s’est trouvée enrichie par un séjour dans des lieux de retraite ou de pèlerinage (Taizé, Jérusalem) ou par des rencontres avec des personnalités ou des pensées religieuses (Christian de Chergé incarné par Lambert Wilson dans le film Des hommes et des dieux). Dans ces moments il avait, dit-il, « rendez-vous avec Lui » et il trouvait à nourrir quelque chose d’essentiel pour lui, « la relation tissée dans la foi ».

Porté par sa spiritualité et sa passion oecuménique, tout à fait logiquement Samuel Grzybowski évangélise, suivant un « chemin de foi ». Et il accommode sa foi à beaucoup de sauces, « un œil sur l’Évangile, un œil sur le journal »[3].

Il évangélise les organisations publiques, comme l’école, et privées, comme les entreprises. Il évangélise la jeunesse en mode « œcuménisme new age », avec une parfaite connaissance des courants de pensée qui la traversent et du type d’engagements qui la mobilisent et la socialisent, à savoir des grandes causes génériques (environnement, antiracisme, égalité hommes-femmes, discriminations, violences sexuelles, etc.). Il possède aussi une parfaite maîtrise des mécanismes qui fonctionnent au sein de ce segment de population : la méfiance à l’égard des institutions et du personnel politique ; la promotion du concept de « liberté de religion », absent des références culturelles et de l’arsenal législatif français qui met l’accent sur la seule liberté de conscience[4] ; l’obsession du droit des individus ; la monomanie du « partage » et du « ensemble » ; la tentation communautariste ; la recherche effrénée du consensus, etc. Au sein de Coexister et des autres planètes de la galaxie Grzybowski, le « respect de l’autre » et de ses convictions règne justement en maître et le credo du « vivre ensemble », ce substitut paresseux à la fraternité universelle, prospère. « Respect de l’autre », « vivre ensemble », deux concepts chers aux jeunes esprits apolitiques, séduits par l’éthique du care et la culture de l’empathie. Il excelle dans ce discours aux connotations religieuses qui, sans que l’on y prenne garde, insidieusement, cléricalise la langue depuis des décennies, installant un lexique de substitution qui envahit pensées et paroles : bien commun, bienveillance, sollicitude, humilité, respect mutuel, vulnérabilité, dévouement, tolérance, compassion, réparation, repentance, etc. Dans ce système sémantique, l’impératif du care n’est pas loin d’être l’équivalent de la vertu théologale de charité.

Avec efficacité et habileté, il a su rassembler autour de lui des jeunes, plus ou moins croyants, plus ou moins pratiquants, attirés par les vertus de l’interreligieux et de l’interconvictionnel, rapprochements créateurs, selon Samuel Grzybowski, de « lien social ». Il met les « religions et convictions en partage […] pour répondre aux défis posés par la cohabitation religieuse de nos sociétés »[5]. Sa « philosophie », la « coexistence active », est une grosse barque dans laquelle il fait monter beaucoup de monde, du défenseur de la liberté absolue de religion au champion de la lutte contre le « racisme systémique » en passant par le combattant de « l’islamophobie et de toute discrimination à caractère religieux ou convictionnel ». Samuel Grzybowski pose frontalement la question : « Et si les religions faisaient partie de la solution ? ». Ruse rhétorique car les religions, pour lui comme pour d’autres, font bien partie de la solution. Allons au-delà : pour lui, les religions sont la solution, celle qui permet de « faire société ».

Sa méthode, c’est la « sacralisation » du lien social. Il incite les individus à se reconnaître dans la position religieuse, comme des êtres religieux et à croire que « le rassemblement ne s’effectue que par la croyance ». Avec Samuel Grzybowski, « la présence de l’effet religieux piège désormais toute pensée, tout geste qui se prétend politique », comme le dit avec acuité la philosophe Catherine Kintzler[6]. Dans cette configuration, « bien qu’il soit possible de ne croire à aucune religion, il est exclu qu’on échappe à la forme du religieux, exclu qu’on s’avise d’être incroyant sur la question du lien. [….] L’effet religieux est désormais présenté, au prétexte que les religions sont partout répandues, comme le modèle en dehors duquel toute association apparaîtra bientôt comme impossible ou vaine : il deviendra impensable qu’une cité puisse avoir pour fondement autre chose que la sacralisation d’un lien, autre chose que des ‘’valeurs communes‘’ et une croyance au ‘’vivre ensemble‘’. Il deviendra impensable qu’on puisse s’associer pour se soustraire à toute appartenance ».

Samuel Grzybowski est un prosélyte au service de LA religion, non d’UNE religion. Et ce n’est pas la présence-alibi très valorisée de quelques athées ou agnostiques dans les mouvements et entreprises dans lesquels il est impliqué qui doit nous laisser penser le contraire.

Sa méthode, c’est aussi le travestissement du principe de laïcité pour l’absorber et la dévoyer dans son propre système, aidé en cela par le courant « baubériste ». Il la réduit de manière littéraliste à la séparation des Églises et de l’État et à la neutralité de l’État et se bat contre, dit-il, la « neutralisation des individus ». Il se veut aveugle au fait que la laïcité est aussi un projet de société porté par la République qui, depuis la Révolution, a profondément modelé la société française qui s’est sécularisée et exige de chacun la discrétion sur ses convictions dans l’espace public. Il vend à ses suiveurs et interlocuteurs, dans une story séduisante, la  laïcité « plurielle », la  laïcité « positive », la  laïcité « d’intégration », la  laïcité « de reconnaissance et de dialogue », ouverte à toutes les identités et diversités. La laïcité qui n’est pas « inclusive » est pour lui une « laïcité falsifiée », en l’occurrence un « laïcisme ». Irait-il jusqu’à adopter l’absurde concept de « laïcité concordataire », une des « sept laïcités » identifiées par Jean Baubérot [7]? Il en rajoute une couche en accusant la République française d’ « universalisme ethnocentré ». Ne doit-on pas déduire du storytelling de Samuel Grzybowski que, déguisée en « conviction », la religion devrait être libre de s’imposer à travers des signes ostensibles dans les entreprises comme dans les associations, à l’école comme dans les services publics ? Une aubaine pour les groupes de pression religieux.

Samuel Grzybowski et Coexister ont bien « les deux pieds dans le bénitier »[8]. Le jeune croyant fait deux fois le voyage au Vatican pour y rencontrer le Pape François : une première fois en 2013 dans le cadre de son Interfaith Tour, cornaqué par le Cardinal Etchegaray, trop heureux de présenter cette pépite au souverain pontife ; une seconde fois en 2021, alors qu’il fait partie de la délégation de « 2022 ou jamais »[9] en compagnie de Eva Sadoun, co-présidente du Mouvement Impact France et de Cyril Dion, activiste climatique. Le pape a profité de cette entrevue pour dénoncer le « laïcisme », ce qui a dû satisfaire Samuel Grzybowski, et a affirmé à cette occasion : « Quand la laïcité devient une religion, c’est comme un chien qui retourne à son vomi ». Une violence verbale digne des grands affrontements entre l’Église et l’État du début du siècle passé et qui nous rappelle que l’Église n’a pas renoncé à réinvestir la Cité !

A l’église Saint-Sulpice, en février 2022, l’interreligieux bat son plein et Coexister est grandement impliqué dans l’organisation d’un « rassemblement islamo-chrétien ». Cette rencontre œcuménique, organisé par l’association Efesia et le mouvement « Ensemble avec Marie », a fait couler beaucoup d’encre. Chez les catholiques, choqués qu’un espace de l’église ait été réservé à la prière musulmane ou que des chants coraniques aient été entonnés depuis l’ambon dans le chœur de l’église. Chez les laïques aussi, à la vue d’une chorale islamo-chrétienne où chantaient des petites filles en hijab – et dont le chef de chœur était « Monsieur Papa », Laurent Grzybowski. L’interconvictionnel ne s’offusque de rien, même pas de la maltraitance des enfants !

Les relations de Samuel Grzybowski avec des courants, certains diront conservateurs, d’autres intégristes, de l’islam interrogent depuis qu’il a initié l’appel #NousSommesUnis du 15 novembre 2015, deux jours après le massacre du Bataclan. Parmi les signataires, on remarque notamment le rappeur Médine, auteur de la chanson « Don’t laïk », qui appelle à la crucifixion des « laïcards » et à l’application de la charia, et le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), dissout en 2020 pour son « action de propagande islamiste ». Caroline Fourest accuse Samuel Grzybowski dans Le Monde du 26 janvier 2016 d’ « accommodements » avec les intégristes. Un procès injuste, selon l’activiste, appuyé il est vrai dans ses positions par Jean-Louis Bianco, président de l’Observatoire de la laïcité, et par Nicolas Cadène, rapporteur général. A cette époque, Samuel Grzybowski apprécie les responsables du CCIF qu’il qualifie sur Twitter, le 8 janvier 2016, de « courageux militants de la famille antiraciste », et quelques jours plus tard dans Mediapart de «  pestiférés, mis au banc de la République, victimes d’une excommunication laïque et symbolique ».[10] Il n’hésite pas à nier la présence de l’islamisme, comme par exemple dans ce Tweet du 20 septembre 2020 : « Il n’y a pas d’islamisme significatif en France ! Ce mensonge répété ne vise qu’à faire peur ». Pour lui, pour ses amis « coexistants », ces jeunes sur le terrain « humbles militants pénétrés d’idéal » selon S. Grzybowski qui reprend la formule de François Mitterrand[11], « tous les dogmatismes se valent » et il assène : « le laïcisme est le dogmatisme de la laïcité comme l’islamisme est le dogmatisme de l’islam »[12]. Une telle énormité relève-t-elle de la naïveté ou de la compromission ?

A cette époque aussi, Samuel Grzybowski, pour qui le voilement est le symbole de la liberté de la femme, multiplie des interventions auprès d’organisations comme les Étudiants musulmans de France (EMF) ou l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), devenue « Musulmans de France » et dont l’affiliation politique avec les Frères musulmans est établie [13]. Il affiche son soutien à Baraka City, association sulfureuse dissoute elle aussi en 2020[14] du fait de sa proximité avec l’islamisme et le terrorisme des milieux salafistes[15] et il ne rechigne pas à participer à la Journée mondiale du Hijab à Orléans[16]. Coexister n’hésite pas non plus à partager des causes avec des associations qui pratiquent un militantisme plus moderne, telles que Lallab, une association intersectionnelle pro-hidjab qui affirme « défendre les droits des femmes musulmanes qui sont au cœur d’oppressions sexistes, racistes et islamophobes », une association également sur la ligne des Frères musulmans[17]. En 2016, Coexister décernera même le « Prix de la jeune Française émergente » à la fondatrice de Lallab, Sarah Zouak, avec le concours de Jean-Louis Bianco, président de l’Observatoire de la laïcité. Faut-il s’étonner que Sarah Zouak ait été depuis lors  reconnue comme Ashoka Fellow ?

Les appuis de Samuel Grzybowski dans son œuvre interconvictionnelle sont multiples et puissants, internationaux et nationaux.

Coexister est intégré dans le vaste réseau des organisations interreligieuses internationales. Il reçoit notamment le soutien de la « United Religions Initiative » (URI), organisation non gouvernementale, dont le siège est aux Etats-Unis et qui œuvre « pour un dialogue interreligieux vecteur de paix et de justice ». L’URI rassemble des associations locales comme Coexister (vertueusement nommées « cercles de coopération ») qui ont pour rôle d’inciter les citoyens « à construire des ponts entre les différences religieuses et culturelles et à travailler ensemble pour le bien commun ». Coexister est par ailleurs très lié au Global Interfaith Youth Network – Religion for peace, une organisation fondée à l’Université catholique de Louvain pour faciliter la résolution des conflits grâce au religieux. Ces connexions interreligieuses n’ont rien de surprenant.

Ce qui s’est passé en France est beaucoup plus inquiétant. Coexister a bénéficié de la protection maternante et indéfectible de Jean-Louis Blanco et de l’Observatoire de la laïcité (ODL) qui en ont fait un porte-parole de la laïcité multiconfessionnelle et un acteur incontournable de la « gestion des faits religieux » dans notre pays. Et Samuel Grzybowski, qui s’est vu décerner par l’ODL en 2016 une mention au Prix de la laïcité de la République française au nom de Coexister et une autre mention en 2019 au nom de Convivencia Conseil, le lui rend bien : « Depuis 2013, un Observatoire national présidé par Jean-Louis Blanco redonne ses lettres de noblesse à la laïcité »[18].

Comment aurait-il pu en être autrement ? Samuel Grzybowski coche toutes les cases. Son activisme au sein des projets qu’il a concrétisés et su médiatiser (Coexister, Interfaith Tour, Ensemble à sang%, etc.) et ses orientations interconvictionnelles ne pouvaient que retenir l’attention de l’Observatoire de la laïcité.

Le trio composé de MM. Bianco, Cadène et Grzybowski a fonctionné à merveille sur des bases partagées. Résumons : la laïcité sans adjectif – le laïcisme – opprime, discrimine, divise la société. Les principales victimes de cette laïcité de contrainte et de contrôle sont les musulmans qu’elle stigmatise ; elle est le terreau dont se nourrit l’islamophobie. Une nouvelle vision, apaisante, dédramatisante, s’impose du fait du multiculturalisme de la société française, de la « prolifération du croire »[19] et de l’importance de l’identité religieuse. Pour eux, la dimension collective et coalisante des religions est une réalité positive sur laquelle il faut prendre appui et l’interreligieux est assurément parmi les meilleures armes pour solidifier un lien social réputé menacé et réussir le « vivre ensemble ». Et si la recherche d’une nouvelle cohésion doit passer par des accommodements œcuméniques aboutissant en France à la juxtaposition de communautés identitaires et religieuses sur le modèle anglo-saxon, pourquoi pas ? La République indivisible, laïque, démocratique et sociale n’est-elle pas une référence dépassée, en particulier chez les jeunes ? Tous trois sont à ce titre des émules de Jean Baubérot.

Jusqu’à son abrogation par décret en 2021[20] l’Observatoire de la laïcité, qui affirmait en 2013 par la voix de son président « La France n’a pas de problème avec sa laïcité », a été au centre de vives polémiques du fait de sa vision dévoyée de la laïcité, d’avis et de prises de position publiques au mieux contestables, au pire contraires au principe de laïcité (dont l’appel #Noussommesunis, l’avis admettant le port des signes religieux par les jeunes « appelés » du SNU, etc.) et d’attaques ad hominem contre des personnalités laïques (Elisabeth Badinter). Cet organisme stratégiquement placé (commission consultative rattachée au Premier ministre) a profité de sa position pour affaiblir le principe de laïcité, en dénaturer le concept et entretenir la confusion, au sein des administrations comme dans l’esprit des citoyens. Jean-Louis Bianco, en misant sur Samuel Grzybowski, a fait le bon choix car celui-ci, militant de la fraternité interconfessionnelle et conteur de talent, n’a eu aucune difficulté à mettre en récit, via Coexister et Conviviencia, les thèses accommodantes de l’Observatoire de la laïcité. En toute sérénité et espérant un bon retour sur investissement, l’ODL lui a ouvert grand toutes les portes : celles des ministères, des relais d’opinion et des entreprises et surtout celles de l’école de la République.

Une école publique ouverte à Dieu ? Comment cela a-t-il été possible ?

A la suite du rapport Debray[21] de 2002, le « fait religieux » est enseigné à l’école publique. Les programmes scolaires intégraient depuis toujours l’enseignement des religions en tant que « faits de civilisation » (R. Debray). Les professeurs de littérature, d’histoire, de philosophie ont ainsi toujours convoqué l’histoire des religions, comme référence ou objet d’étude littéraire, historique, sociologique, philosophique ou comme source d’inspiration artistique. La laïcité scolaire n’a jamais interdit d’avoir accès à la culture religieuse, mais en tant qu’elle est un fait historico-culturel. Nous ne ferons ici ni l’historique, ni l’analyse de la décision d’enseigner le « fait religieux »[22]. Mais il faut être conscient qu’avec le développement du concept de « fait religieux » à l’école, nous sommes en présence d’un événement pédagogique tout à fait mineur, mais face à un événement idéologique majeur. L’introduction de l’enseignement du « fait religieux » n’est pas une question scolaire, mais une question politique.

Depuis 2005, les enseignants des écoles, collèges et lycées sont officiellement chargés d’intégrer le « fait religieux » dans les matières qui ont à en connaître et dans les cours d’enseignement moral et civique, avec la neutralité d’approche requise. L’idée d’isoler cette « matière » et de la confier à des spécialistes (ministres du culte, diplômés en histoire des religions), a toujours été écartée, malgré l’insistance de M. Baubérot. Néanmoins sont progressivement entrées dans l’école des associations pratiquant le dialogue interconfessionnel et intervenant dans le cadre d’ateliers sur le temps périscolaire, et donc loin du contrôle des enseignants[23]. Ces associations ont nom Coexister et Enquête : elles sont les loups religieux entrés dans la bergerie de l’école laïque.

Grâce à cette facilité, la formation au fait religieux est ainsi partiellement déléguée au privé ; elle est devenue de facto une matière en soi, en contradiction absolue avec les décisions officielles. Mais ce n’est pas tout, il y a plus grave. Ces associations infiltrées combinent dans les mêmes ateliers formation au fait religieux ET à la laïcité. Le slogan de l’une d’entre elles franchit la ligne rouge : « Enseigner les faits religieux pour éduquer à la laïcité »[24] ! Respectueuses de la foi et de l’identité religieuse, elles font basculer insidieusement les jeunes esprits vers une conception de la laïcité proche de la coexistence interconfessionnelle et de l’interconvictionnalité. Pour entretenir la confusion, on rapproche de manière tendancieuse religion et laïcité comme si la laïcité ne se concevait que dans un rapport de dépendance par rapport aux religions et n’était pas un principe constitutionnel supérieur, englobant l’ensemble des questions de liberté de conscience, foi, agnosticisme, athéisme et autres points de vue philosophiques et moraux. Il s’agit ici de faire de la laïcité une forme de croyance à laquelle seraient opposées d’autres croyances. La laïcité devient en quelque sorte la religion des non-croyants, sur un modèle proche de celui en vigueur en Belgique.

On a appris à connaître Coexister, qui prêche la bonne parole dans les collèges et lycées. L’association Enquête qui, elle, prêche dans les écoles primaires, en est un clone. Mêmes ambitions, mêmes objectifs, même discours, mêmes méthodes et mêmes soutiens. Leurs fondateurs, Samuel Grzybowski et Marine Quenin, ont un parcours en tous points similaire : ils sont tous deux Ariane de Rothschild Fellows (2013), tous deux lauréats du programme présidentiel « La France s’engage » (2015), tous deux Ashoka Fellows (2016 et 2017), tous deux lauréats du Prix de la laïcité de la République française[25].  Une différence : elle est une personne discrète, lui un papillon attiré par la lumière. Les deux associations sont partenaires du ministère de l’Éducation nationale[26] et étaient parrainées par l’Observatoire de la laïcité. Elles bénéficient des mêmes financements publics et privés, notamment grâce au soutien de réseaux philanthropiques américains[27]. Elles interviennent toutes deux dans des formations pour adultes : dans les INSPE (ex-IUFM, ex-ESPE) pour former les enseignants ; à la demande des ministères pour former les agents de l’État ; dans les collectivités territoriales. Elles sont spécialistes des pirouettes rhétoriques et sont maîtres en storytelling interreligieux bien-pensant. Elles sont vues d’un œil bienveillant par l’inspecteur général de l’Éducation nationale, membre du Conseil des sages de la laïcité de l’Éducation nationale, Abdennour Bidar, qui a fait son coming out spirituel en 2017[28] et qui affirme le samedi 18 septembre 2021 au 28’ d’Arte qu’il est fondamental d’enseigner les religions à l’école – les religions et non le « fait religieux » – pour assouvir la quête de sens « essentielle à nous, les êtres humains » et pour prendre acte de la multiculturalité de la France d’aujourd’hui[29]. Du pur Grzybowski !

Samuel Grzybowski et Marine Quenin, ces deux fellows, ont vraiment beaucoup de choses en commun et, dans le domaine de l’éducation, ils prennent leur rôle de changemaker très au sérieux. Leur objectif, c’est la religion à l’école. Ils sont loin d’être les seuls à le vouloir. Pour un observateur attentif, il est aisé de percevoir une offensive clérico-libérale, protéiforme, avec aux manettes un réseau militant d’inspiration chrétienne, en position d’influence[30], en phase et en lien avec les acteurs européens et parfois avec les fondamentalistes américains. Le soutien à des associations ancrées dans l’interreligieux comme Coexister et Enquête et l’enseignement du « fait religieux » font partie de l’offensive contre la laïcité, contre l’école, contre la République. Et ce n’est pas la nomination à la présidence du Conseil national des programmes de l’Education nationale[31] en février 2022 de Mark Sherringham, dont les positions sont favorables au retour du christianisme dans les questions éducatives, qui va stopper l’offensive !

Mais Samuel Grzybowski n’est pas qu’un évangélisateur ad majorem Dei gloriam. Il sert d’autres intérêts, plus politiques. Il déploie son ardeur et sa persévérance de missionnaire ad majorem Neoliberalismi gloriam.

Dans l’épisode 3 « Ambassadeur du soft power américain », on retrouvera Samuel Grzybowski entouré de vertueux entrepreneurs sociaux à l’américaine soutenus par la fondation philanthropique Ashoka, qui sont les agents d’une nouvelle narration du monde où les valeurs chrétiennes de l’amour du prochain et de la sollicitude règnent en maîtres et deviennent les vecteurs d’un tournant néo-libéral radical et d’une nouvelle politique d’influence américaine.


[1] Ad majorem Dei  gloriam est une locution latine signifiant « Pour la plus grande gloire de Dieu ». C’est la devise de la Compagnie de Jésus, en abrégé A.M.D.G. L’expression en tant que telle n’est pas fréquemment utilisée par Ignace de Loyola, sinon dans ses lettres. Elle se rencontre déjà dans les œuvres de Grégoire le Grand : sed ad maiorem Dei gloriam vicit pietas illud pectus virtutis.

[2] Par exemple dans Fraternité radicale, Paris Ed. Les Arènes, 2018. Collection « Ils changent le monde ».

[3] 

[4] La liberté de religion est entrée indirectement dans le droit français par le biais de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, entrée en application en 1953 et dont 1er premier alinéa s’intitule « Liberté de pensée, de conscience et de religion ». Les États signataires de la Convention sont tenus de respecter et protéger ces libertés, qui englobent également l’ensemble des convictions des individus. Les décisions de la Cour influencent de manière considérable la jurisprudence ainsi que les évolutions de la justice française

[5] Ces deux citations ne sont pas de Samuel Grzybowski, mais sont le titre d’un projet de recherche intégré dans le programme transfrontalier « Interreg Rhin supérieur » : Religions et convictions en partage (INTER-RELIGIO) : un projet pour répondre aux défis posés par la cohabitation religieuse de nos sociétés ( https://www.interreg-rhin-sup.eu/projet/religions-et-convictions-en-partage-inter-religio-un-projet-pour-repondre-aux-defis-poses-par-la-cohabitation-religieuse-de-nos-societes/) . La problématique de ce projet « concordataire », dans lequel l’Université de Strasbourg, ville concordataire, est logiquement partie prenante, est très proche de celle de SG : pour relever le défi de « la cohabitation et l’intégration des groupements religieux dans nos sociétés, il faut former aux connaissances et pratiques de l’interreligieux contemporain les plus largement possible : les professionnels (ministres du culte, cadres religieux, aumôniers, enseignants…) et les bénévoles (acteurs associatifs). Le projet INTER-RELIGIO a fait émerger un nouveau projet RELI-EN, focalisé sur l’interreligieux dans le milieu de l’entreprise. https://relien.unistra.fr/. A peu de choses près donc, une démarche calquée sur celle de Coexister et de Conviviencia. Avec le Forum pour l’islam de France et le programme INTER-RELIGIO, la coopération européenne permet un subtil contournement de la loi de 1905. Voir la tribune de Jean-Pierre Sakoun et de Pierre Ouzoulias dans Marianne du 24 février 2022 

[6] Les citations de ce paragraphe sont extraites de l’article de Catherine Kintzler « Les humanités et l’enseignement du « fait religieux », paru dans le numéro 316 d’Humanisme (août 2017) 

[7] Jean Baubérot, La Laïcité falsifiée, Paris, La Découverte, 2012 et Jean Baubérot, Les 7 laïcités françaises. Le modèle français de laïcité n’existe pas, Paris, Maison des Sciences de l’Homme, 2015.

[8] 

[9] Voir le chapitre « Les premiers pas en politique »

[10] 

[11] Dans sa déclaration à l’annonce de son élection à la Présidence de la République à Château-Chinon le 10 mai 1981. S. Grzybowski cite F. Mitterrand dans la tribune ci-dessus.

[12] Fraternité radicale p. 205

[13] 

[14] https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/09/25/le-conseil-d-etat-valide-la-dissolution-du-ccif-et-de-barakacity_6095981_3224.html .

[15] En octobre 2014, Samuel Grzybowski avait annoncé sur Twitter le départ de Coexister de la banque CIC, « par solidarité avec BarakaCity » lorsque la banque française avait décidé de clôturer les comptes bancaires de l’association islamiste en août 2014. Idriss Sihamedi, président et fondateur de Barakacity, refuse de serrer la main des femmes et affiche des positions sans ambiguïté : « Je pense que la musique peut être dangereuse, la polygamie une alternative contre l’adultère et le voile un signe de pudeur. Suis-je fou ? » Fou peut-être, mais obscurantiste assurément. Il a refusé par ailleurs de condamner Daech en présence de la ministre de l’Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem, dont la réaction modérée a été vivement critiquée. Voir notamment Judith Waintraub et Vincent Nouzille, « L’islamosphère », Le Figaro Magazine, semaine du 6 octobre 2017, pages 50-56 et 

[16] 

[17] 

[18] Fraternité radicale, p. 142

[19] Expression de Richard Descoings extraite de son discours d’ouverture du colloque « Le fait religieux à l’école. Pour les jeunes, quelle culture des religions ? » https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/cahierducevipof35.pdf        

[20] Quelques semaines après l’abrogation, ses anciens responsables ont créé l’association La Vigie de la laïcité sur les cendres encore chaudes de l’Observatoire de la laïcité.

[21] 

[22] Voir Aline Girard, Enseigner le fait religieux à l’école : une erreur politique ?, Paris, Minerve, 2021 et la conférence d’Aline Girard https://unitelaique.org/index.php/2021/11/27/enseigner-le-fait-religieux-a-lecole-une-erreur-politique/. Voir également l’article du même auteur 

[23] Et parfois à l’insu des parents ! La journaliste de France Culture donne longuement la parole à l’animatrice d’Enquête. A la question: « Sentez-vous parfois de la réticence de la part de l’institution républicaine elle-même à évoquer ces sujets ? », l’animatrice, naïve ou rouée, répond : « Souvent les écoles peuvent avoir peur du regard que vont poser les parents sur cette activité. La majeure partie du temps les parents ne sont pas au courant. Ils découvrent l’atelier avec le jeu qui arrive à la maison. En général cela ne pose pas de problème, mais les écoles sont parfois un peu frileuses à ouvrir l’information et à vraiment parler clairement. » 

[24] file:///C:/Users/Aline%20Girard/Downloads/RA_ENQUETE_2017-18-BD_web.pdf

[25] En 2021, Marine Quenin, pour Enquête, est lauréate du Prix de la laïcité de la République française décerné dorénavant par le Comité interministériel de la laïcité, mis en place après la dissolution de l’Observatoire de la laïcité.

[26] Avec quelques différences néanmoins. Si l’association Coexister est reconnue d’intérêt général depuis 2012, agréée « Entreprise solidaire d’utilité sociale » depuis 2014. Elle a été agréée « Jeunesse et éducation populaire » par le ministère de l’Éducation nationale en mars 2019, mais ce dernier agrément n’a pas été renouvelé en novembre 2020. Enquête est agréée depuis 2015 par le MEN. L’agrément a été renouvelé en 2020.

[27] Voir Sébatien Urbanski et Camille Noȗs,  “Everyone a changemaker!”. Philanthropie, religion et spiritualité au secours de l’école publique in Zilsel, 2021-1. 

[28] Il affirme ailleurs que « notre époque est celle du besoin de sens et du besoin de communier sans frontières ». Nous aurions hélas «éliminé cette dimension [spirituelle] de la vie collective» car il n’y a plus «aucun écosystème public où mettre en culture sa vie spirituelle ». Abdennour Bidar, « Coming-out spirituel, pour une nouvelle société à venir », Blog Huffington Post, 16 février 2017 ; Abdennour Bidar, « Européennes : des élections dans le vide face à notre besoin de sens », Blog Huffington Post, 4 avril 2019.

[29] Abdennour Bidar est fondateur du mouvement Fraternité générale, engagé depuis 2017 dans Le Labo de la fraternité, collectif inter-organisations, issu du collectif #NousSommesUnis. Le Labo est composé de huit organisations, dont Coexister et Singa, et appuyé par quatre partenaires clés, dont l’Observatoire de la Laïcité. Des noms familiers.

[30] Pour guider la mise en œuvre de l’enseignement du « fait religieux », a été créé en 2002 l’Institut européen en histoire des religions (IESR), devenu en 2021 l’Institut des religions et de la laïcité (IREL), bras armé de la réforme bénéficiant de puissants soutiens en France et en Europe. L’IESR/IREL, l’Observatoire de la laïcité jusqu’en 2021 et aujourd’hui la Vigie de la laïcité sont des alliés objectifs et entreprenants et les liens entre ces organismes sont étroits et croisés. Ces trois organismes sont très proches de Coexister et Enquête. Ceux qui les font vivre et étendent leur influence appartiennent à un cercle restreint et les va-et-vient au sein des instances gouvernantes sont multiples. On retrouve Jean-Louis Bianco, Nicolas Cadène, Jean Baubérot, Philippe Portier, Valentine Zuber, Dounia Bouzar. La présidente 2015-2021 de Coexister, Radia Bakkouch, est membre fondateur de la Vigie de la laïcité.

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LES ENQUETES D’UNITE LAIQUE #1

Par ALINE GIRARD
Secrétaire générale d’Unité laïque

Samuel Grzybowski, Missionnaire ad majorem Dei gloriam – Episode 2 – Tribune Juive