« Nous devons rebâtir la confiance, et pour cela, nous n’avons pas de temps à perdre »

Le nouveau Président entend privilégier, non seulement la recherche de solutions par la solidarité entre les Etats membres, par l’accent sur la durabilité et l’appui de la communauté scientifique aux délibérations de l’Assemblée générale, mais aussi s’attacher à promouvoir efficacement leur mise en œuvre.

« Nous devons honorer nos engagements, au sein des pays, et dans les relations internationales » assure-t-il. C’est notre responsabilité », a-t-il expliqué dans un entretien avec ONU Info.

ONU Info : Toutes les nouvelles sessions de l’Assemblée générale commencent avec la transmission symbolique du fameux marteau de l’Assemblée générale entre le Président partant et son successeur. Quel est, métaphoriquement, le poids de ce marteau, à votre avis ?

Csaba Kőrösi : Le poids physique de ce marteau est des plus modestes, en dépit de l’origine de l’objet. Mais son poids politique et spirituel sera bien plus lourd vu la crise complexe que vit le monde.  L’ONU est un reflet des affaires extérieures, et elle est aussi divisée aujourd’hui que le monde qui l’entoure.  Nous devons donc, à la base, tenter de résoudre les grands problèmes qui nous divisent. Cela relève de la gestion de crise et l’ONU est censée aider les Etats membres à aller de l’avant. Cela signifie aussi une transformation. Toutes les grandes décisions vues par le prisme de la gestion de crise et de la transformation connaitront [l’approbation par] ce marteau.

ONU Info : Vous avez suggéré, comme devise de votre présidence, les solutions par la solidarité, la durabilité et la science. Les termes de solidarité et durabilité nous sont familiers mais la science est un nouveau composant de la formule. Comment l’intégrerez-vous dans le travail de l’Assemblée générale pendant cette session ?

Csaba Kőrösi : Je vous propose de reprendre les termes les uns après les autres.

Solutions. Nous avons déjà tant de traités, d’accords, d’objectifs, de cibles, de plans d’action, mais nous sommes beaucoup moins forts en matière de mise en œuvre, et c’est le moment d’y remédier. Le moment d’engager non seulement plus d’actions, mais aussi plus d’actions transformatrices.

Solidarité. Les inégalités se creusent dans le monde depuis de nombreuses années déjà. A l’intérieur des pays et entre les pays. Et si nous laissions ces inégalités croître à l’infini, cela conduirait inévitablement à plus de frictions, plus de tensions et plus de conflits et plus de crises. Nous devons faire quelque chose à ce sujet. Et le plus important est d’honorer nos engagements – nos engagements au sein de nos pays et entre tous les pays dans les relations internationales. Si nous laissons tomber les communautés, le monde entier en souffrira. N’oublions pas : nous restons debout ou tombons ensemble.

Durabilité. Il s’agit de transformation. C’est une question de responsabilité. Il s’agit de regarder vers l’avant. Quel genre de monde allons-nous avoir aujourd’hui ? Demain ? Quel monde allons-nous laisser à nos enfants et petits-enfants ? Et la responsabilité est ici et maintenant. La durabilité signifie que nous adoptons des points de vue intégrés sur des questions très complexes.

La transformation n’est possible que si cette intégration se concrétise.

Photo ONU/Manuel Elias

Csaba Kőrösi, Président de la 77e session de l’Assemblée générale, devant la presse.

ONU Info : Comment la science renforce-t-elle tous ces efforts ?

Csaba Kőrösi : Les États membres sont confrontés au déclin de la confiance, à la division entre les États, entre les communautés. Bien sûr, il sera très difficile de chercher des solutions idéologiques. Et ce n’est pas notre tâche. Notre tâche est de trouver des solutions reposant sur des preuves ; des preuves solides qui peuvent nous aider à aller de l’avant. La science peut fournir des preuves scientifiques.

Mais il est très important de comprendre : nous ne demandons pas aux scientifiques de nous dire quoi faire. Nous leur demandons de nous montrer les options et de nous indiquer quelles pourraient être les conséquences de nos actions ou inactions. La science devrait être invitée comme une aide. La science devrait être invitée en tant que soutien. Mais la décision politique ultime revient aux États membres. Et la responsabilité est aussi entre leurs mains.

ONU Info : Donc, vous envisagez de vous appuyer sur l’expérience du système des Nations Unies en général, comme l’Organisation mondiale de la santé et d’autres organisations, ainsi que sur la communauté mondiale ?

Csaba Kőrösi : Oui, en effet. Nous voudrions recourir aux connaissances et aux conseils des agences de l’ONU qui travaillent très profondément et qui sont très impliquées dans la science. Mais ce n’est peut-être pas suffisant pour le moment. Nous aimerions établir et mener des consultations régulières avec des institutions à vocation scientifique, des institutions confessionnelles, des milieux d’affaires, des institutions financières pour nous conseiller sur la manière dont ils aborderaient les questions très complexes qui sont à l’ordre du jour des États membres. Il ne s’agit pas seulement d’en faire une caisse de résonance, mais de s’assurer que leurs suggestions, leurs conseils parviennent jusqu’aux États membres.

Nous aimerions également convoquer un processus de consultation régulier. Auparavant, cela s’appelait « consultations du matin » et « cafés du matin » ou « dialogue du matin » avec un petit groupe de membres, d’ambassadeurs dans un environnement très détendu, très informel. Pour entendre les conseils émis par la communauté scientifique ou la communauté des affaires, savoir quels sont les points d’intérêts des États membres, quels sont les faits sur le terrain… Et ce que nous pouvons faire ensemble. [Ce serait une discussion] sans aucune obligation. Donc, c’est un peu la préparation du processus de prise de décision qui aurait lieu dans l’Assemblée générale.

ONU Info : Concernant l’Ukraine, vous avez dit que la guerre ne peut pas apporter la prospérité, elle ne peut qu’apporter la souffrance et [cette] guerre doit être arrêtée. Comment comptez-vous utiliser votre bureau pour trouver la solution et aider à atteindre cet objectif au cours de la prochaine semaine de haut niveau et au-delà ?

Csaba Kőrösi : Merci de l’avoir mentionné. Je pense que l’agression, telle qu’elle a été décrite dans une résolution de l’Assemblée générale, a marqué un tournant dans la pensée de nombreux pays. Une très grande majorité des États membres se sont prononcés sur cette question. Ils ont compris que nous sommes au seuil d’une nouvelle ère de l’histoire. Cette guerre, cette agression, a causé des souffrances à des millions de personnes en Ukraine, en Russie, dans les pays voisins, et en fait à de nombreux autres pays, à des milliers de kilomètres de la zone de conflit. En perturbant les chaînes d’approvisionnements alimentaires, les approvisionnements énergétiques, en portant les taux d’inflation à des niveaux sans précédent au cours des dernières décennies. Elle a introduit une incertitude et une méfiance générales. Et commencé à décomposer le système de coopération fondé sur la confiance et les accords. Il faut donc le reconstruire. Je ne suis pas naïf. Je ne dis pas que ce sera fait dans un délai d’un an. Mais nous n’avons pas un seul jour à perdre. Car les souffrances doivent être atténuées.

L’aide humanitaire doit pouvoir atteindre les personnes qui souffrent. Les menaces patentes contre la sécurité doivent être réduites dès que possible. Par conséquent, je demande à tous de travailler à un cessez-le-feu urgent. Et de s’assurer que la souffrance humaine est atténuée.

Et en termes concrets. La 11e session d’urgence de l’Assemblée générale est [en cours]. Elle peut être reconvoquée à tout moment lorsque les États membres le demandent. en fonction des circonstances, dans un délai de 24 heures. Et je suis prêt à le faire.


Csaba Kőrösi a été élu Président de la 77e session de l'Assemblée générale des Nations Unies.

Photo ONU/Eskinder Debebe

Csaba Kőrösi a été élu Président de la 77e session de l’Assemblée générale des Nations Unies.

ONU Info : Vous avez tiré la sonnette d’alarme au sujet de la crise de l’eau. Allez-vous garder ce sujet en tête de votre ordre du jour pendant la session ?

Csaba Kőrösi : Oui, tout à fait ! Car c’est probablement le prochain défi majeur auquel nous allons être confrontés.

En fait, ce défi a déjà commencé. Regardez le Pakistan, regardez les énormes sécheresses à travers les continents. Nous avons essentiellement trois types de problèmes avec l’eau : trop peu d’eau, trop d’eau ou eau trop polluée. Et la plupart des pays souffrent des trois à la fois, dans différentes régions. Et c’est un problème complexe qui peut faire échouer le développement durable. Et annihiler les progrès réalisés dans de très nombreux domaines – de l’éradication de la pauvreté à la sécurité alimentaire, en passant par la production d’énergie et la transformation économique.

C’est une question très complexe qui touche à la vie politique, à la sécurité, aux dimensions humaines, aux dimensions économiques et à l’état général de notre environnement. C’est une question centrale. Et l’ONU convoquera bientôt sa première conférence à part entière sur l’eau… en près de 50 ans, depuis 1977. Elle donnera l’occasion aux États membres de prendre des mesures transformatrices.

Nous savons quels sont les problèmes. Les problèmes ont été énumérés maintes et maintes fois. C’est maintenant le temps des solutions. L’heure est aux solutions transformatrices.

ONU Info : Dans le cadre de votre [mandat], vous êtes censé aider les délégués à parvenir à un consensus et, par extension, à unir le monde. Qu’allez-vous faire, vous et votre bureau, pour instaurer la confiance et rétablir l’esprit de coopération entre les pays ?

Csaba Kőrösi : Si la question était de savoir si je pouvais ou non faire des miracles, si je pouvais ou non résoudre tous les grands problèmes en un an, alors, bien sûr, la réponse serait “Ce n’est pas réaliste !”  Mais comme je l’ai déjà dit, nous n’avons pas de temps à perdre, pas un seul jour. Nous sommes dans une situation très difficile. Nous devons reconstruire la confiance. Nous devons reconnaître que l’ONU reflète l’état général du monde. Mais l’ONU a aussi une autre caractéristique. Elle a toujours eu une autre caractéristique. Elle a montré des solutions, montré des opportunités. Et je pense qu’il faut s’en saisir. Ces opportunités sont là pour renforcer la confiance entre les acteurs ici même dans cette salle.

Comme je l’ai mentionné, je prévois d’organiser régulièrement des consultations informelles très ouvertes, j’espère très intéressantes et inspirantes sur des questions très difficiles. Imaginons 20 ambassadeurs assis au « coin du feu », discutant de questions qui peuvent avoir une incidence directe sur les délibérations de l’Assemblée générale. Aucune formalité, aucun enregistrement. L’attention portera sur les faits sur le terrain, sur les preuves scientifiques qui pourraient être prises en considération et sur les préoccupations de certains pays. Je pense que cela peut créer un peu de confiance.

Pour instaurer un peu de confiance nous devons aussi écouter ceux qui sont à l’extérieur de cette salle – des millions de personnes qui attendent de l’ONU qu’elle soit à la hauteur.

C’est leur espoir. C’est leur espoir pour cette institution, pour cette Organisation. Eux aussi ont des besoins, des connaissances, et de l’expérience sur le terrain.

J’espère avoir des consultations avec ces organisations pour leur donner la possibilité d’informer les États membres. Je pense qu’il est toujours bon d’être sur la même longueur d’onde, d’avoir les mêmes informations, d’écouter les mêmes sources. Il est important, bien sûr, que ces sources proviennent de tous les coins du monde.

ONU Info : Allez-vous utiliser également les informations et la perspicacité de plusieurs sources pour discuter de la question de la revitalisation de l’ONU et de l’Assemblée générale ? Et serait-ce également l’approche que vous allez suivre lorsque, par exemple, vous discuterez de la réforme du Conseil de sécurité ?

Csaba Kőrösi : Oui, tout à fait, même si la marge de manœuvre d’un Président de l’Assemblée générale est assez différente quand il s’agit des affaires de l’Assemblée générale ou des affaires du Conseil de sécurité. Mais reconnaissons-le : le monde change. Les réalités du monde changent. La complexité des défis auxquels nous sommes confrontés évolue. Il en va de même pour notre Organisation. Il en va de même pour nos institutions. Des institutions ont été créées pour nous aider à aborder nos problèmes et à résoudre nos problèmes.

Et si les problèmes et les défis sont très différents de ceux qui prévalaient lors de la création de l’Organisation, alors l’Organisation a besoin d’être réformée. Et nous sommes en pleine réforme de l’ONU, y compris de l’Assemblée générale. Et j’appuie sans réserve la poursuite de la réforme, la poursuite de la soi-disant revitalisation des travaux de l’Assemblée générale. Et je pense que la direction prise par les États membres est très encourageante.

Sur la réforme du Conseil de sécurité… Je suis ces discussions, ces négociations, et maintenant, comme on dit, ces négociations intergouvernementales depuis plus de 20 ans. Et j’ai entendu tous les arguments – pour et contre – et j’ai aussi vu les résultats, ou l’absence de résultats. Alors que le monde change, les défis changent et deviennent de plus en plus complexes. Il est évident que les communautés s’attendent à ce que les Nations Unies fassent mieux pour leur sécurité. Et je pense que le Conseil de sécurité a un grand rôle, un rôle très spécial à jouer dans ce domaine.

Par conséquent, je pense que les négociations intergouvernementales devraient être axées sur l’impact et sur les résultats. Et bien sûr, je nommerai des co-facilitateurs et je leur demanderai d’être aussi concentrés sur les objectifs, sur l’impact, et sur les résultats que possible.

Mais vous savez mieux que moi qu’il s’agit d’un processus piloté par les États membres. Ce n’est pas au Président de l’Assemblée générale de dire quel sera le résultat des négociations et quand nous pourrons arriver au résultat des négociations. J’aiderai les co-facilitateurs. Et en cas de besoin, j’aiderai les États membres autant que je le pourrai dans ma modeste capacité.

ONU Info : Vous avez promis que votre bureau ferait la promotion des valeurs du multiculturalisme et du multilinguisme. De quelle manière allez-vous le faire ?

Csaba Kőrösi : Sur le multiculturalisme, c’est la valeur partagée, un patrimoine partagé par nous tous. Nous appartenons à des nations très différentes avec des traditions très différentes, des cultures très différentes. Dans l’ensemble, ce que nous représentons, c’est le patrimoine commun de l’humanité. Toute pièce perdue de ce patrimoine actuel serait une perte pour nous tous. Donc, je vais m’en préoccuper en de très nombreuses occasions. Qu’il s’agisse d’événements parallèles, d’expositions ou d’événements spéciaux, j’encouragerai les États membres : Apportez votre patrimoine, apportez vos valeurs, partagez-le avec d’autres États membres.

Sur le multilinguisme, nous le savons tous, il y a six langues officielles des Nations Unies. Nous savons également quelles sont les règles d’utilisation de ces langues. Nous savons aussi que c’est un exercice très coûteux. Mais dans la mesure du possible, je ferai tout mon possible pour utiliser ces six langues au même niveau. Et si possible, faisons attention aux autres grandes langues à travers le monde, car elles portent la culture, elles portent notre patrimoine culturel commun.

« Nous devons rebâtir la confiance, et pour cela, nous n’avons pas de temps à perdre » – Csaba Kőrösi