Les papes conciliaires et le paganisme

Dès 1907, saint Pie X prédisait dans son encyclique Pascendi que le modernisme aboutirait logiquement à une forme de panthéisme. Depuis le document conciliaire Nostra aetate, nous assistons à la manifestation de plus en plus ouverte de cette doctrine.

Si le divin se manifeste d’une manière ou d’une autre dans toutes les religions, ou si le “Christ” représente l’union de Dieu à toute la race humaine (comme le soutiennent Gaudium et spes et Jean-Paul II dans Redemptor hominis), ne pouvons-nous pas continuer à dire que le Christ représente l’union du divin à toute la création ?

Dans l’encyclique Laudato si’ de 2017, les éléments en ce sens sont très nombreux : « Le Père est la source ultime de tout, le fondement aimant et communicatif de tout ce qui existe. Le Fils, qui la reflète, et par qui tout a été créé, a été uni à cette terre lorsqu’il a pris forme dans le sein de Marie. L’Esprit, lien infini d’amour, est intimement présent au cœur de l’univers, animant et suscitant des voies nouvelles » (n. 238).

« Pour l’expérience chrétienne (sic), toutes les créatures de l’univers matériel trouvent leur véritable signification dans le Verbe incarné, parce que le Fils de Dieu a incorporé dans sa personne une partie de l’univers matériel, où il a introduit un germe de transformation définitive » (n. 235).

« Le Christ a assumé en lui ce monde matériel et maintenant, ressuscité, il habite au plus profond de chaque être, l’entourant de son affection et le pénétrant de sa lumière » (n° 221).

Toutes les religions sont égales, mais le paganisme est plus égal que les autres

Dans une telle perspective, si, pour le moderniste, toutes les religions sont des expressions valables de l’immanence vitale du divin en l’homme, le paganisme en est l’expression la plus valable. Le pape François avait déjà illustré ce principe à sa manière.

Dans son sermon du 7 octobre 2019, il demande : « Quelle est la différence entre les plumes que vous avez sur la tête et les coiffes que portent les fonctionnaires de nos dicastères ? » Dans son habituel langage brutal, le pape a exprimé l’idée de l’indifférence des diverses expressions religieuses, de toutes les manifestations du sens universel du divin inhérent à l’homme.

Cette plaisanterie est la manifestation d’une pensée élaborée, maintes fois exprimée, en termes plus appropriés, par l’œcuménisme moderne. Mais si, pour parler du cosmos en tant que divinité, le christianisme doit faire l’effort d’utiliser l’image de l’Incarnation et de la prendre comme paradigme de quelque chose d’autre, comme le font Teilhard et Laudato si’, les anciens paganismes n’ont pas besoin de tels sauts.

D’où l’éloge répété de la culture aborigène contenu dans Laudato si’ (cf. n° 146 et 179), pour son union exemplaire avec le cosmos divin, et d’où l’image idyllique de la culture amérindienne présentée par le synode amazonien.

L’Instrumentum laboris (IL) de ce synode fait de la vie en union avec le “biome” des Indiens un modèle absolu : non seulement parce qu’ils respectent la nature, mais parce qu’ils vivent une conception spirituelle qui leur permet de s’intégrer au tout.

L’éloge d’une telle conception est très explicite et répétée : au n. 104 il est suggéré de « récupérer les mythes et d’actualiser les rites et les célébrations communautaires qui contribuent de manière significative au processus de conversion écologique ».

En effet « les rituels et les cérémonies indigènes sont essentiels pour la santé intégrale car ils intègrent les différents cycles de la vie humaine et de la nature. Ils créent l’harmonie et l’équilibre entre les êtres humains et le cosmos. Ils protègent la vie des maux qui peuvent être causés par les humains et les autres êtres vivants. Ils aident à guérir les maladies qui nuisent à l’environnement, à la vie humaine et aux autres êtres vivants » (n° 87).

Il semblerait difficile de dire plus clairement que l’harmonie avec le cosmos est le résultat de la conception spirituelle des indigènes et de leurs rituels ; mais le texte va beaucoup plus loin. Au n° 75, nous lisons : « Dans les familles, l’expérience cosmique palpite. […] En somme, c’est dans la famille que l’on apprend à vivre en harmonie : entre les peuples, entre les générations, avec la nature, en dialogue avec les esprits. »

Dieu lui-même, compris comme le sens du divin inhérent à l’homme et au cosmos, est à l’œuvre en tout cela, il s’y incarne même (de manière teilhardienne) : « C’est une grande occasion pour l’Eglise de découvrir la présence incarnée et active de Dieu : dans les manifestations les plus diverses de la création ; dans la spiritualité des peuples originels ; dans les expressions de la religiosité populaire ; dans les diverses organisations populaires qui résistent aux grands projets ; dans la proposition d’une économie productive, durable et solidaire qui respecte la nature » (IL n. 33).

L’Eglise a précisément le rôle de “découvrir” cette présence de Dieu et de l’insérer dans ses propres institutions et dogmes, car Dieu se révèle précisément dans cette présence panthéiste et surtout dans la spiritualité du paganisme, si révélatrice de ce que les modernistes pensent de Dieu.

Pontifes chrétiens et rites païens

À la lumière de ce bref exposé, la participation des papes modernes à de véritables rites païens ne peut plus surprendre. Nous ne parlons pas ici des rites autorisés et organisés par les papes dans des réunions œcuméniques de type Assise, mais de ceux auxquels ils ont personnellement participé.

Tout le monde connaît la vénération de la Pachamama par le souverain pontife et les membres du synode amazonien en 2019 ; peu savent cependant qu’à l’été 2017, à l’occasion de l’anniversaire des relations diplomatiques avec le Japon, une représentation de théâtre No a eu lieu au Vatican, avec le drame classique Hagoromo auquel a été associé un élément appelé Okina, un rituel shintoïste au cours duquel les acteurs jouent des divinités qui dansent pour la paix et la prospérité.

L’exécutant de l’Okina doit se purifier avant de commencer. Parmi les offrandes présentées à l’autel figurent le Menbako, coffre contenant les masques utilisés pour le spectacle et le saké utilisé pour l’Okina. C’est donc un véritable rituel païen qui s’est déroulé dans les palais apostoliques, sur la colline du Vatican purifiée par le martyre de saint Pierre, l’œuvre de Constantin et de saint Sylvestre, il y a de nombreux siècles.

En juillet 2022, au quatrième jour de son récent voyage au Canada, dans le cadre de la cérémonie de bienvenue prévue, un chaman de la nation huronne-wendat a effectué une « purification rituelle (smudging) dans les quatre directions » devant le pape, en utilisant de l’herbe douce et des plumes d’animaux pour répandre une fumée sacrée brûlée en l’honneur de Manitou, le grand esprit.

Le pontife a reçu une plume de dinde et de l’herbe douce, puis a été invité à participer à un « cercle spirituel », à partir duquel « nous pouvons visualiser un feu sacré ». Le sorcier ajoute que « le feu sacré unit tout ce qui existe dans la création ».

« Nous allons honorer la terre, le vent, l’eau et le feu », a déclaré l’indigène dans des termes ésotériques classiques. « Nous allons honorer l’aspect minéral, l’aspect végétal et l’aspect humain. »

Pour « ouvrir les quatre directions », l’ancien chaman a sifflé quatre fois dans un instrument en os en prononçant des formules d’invocation spéciales. Arrivé à la « porte occidentale », il entonne : « Je demande à l’ancêtre occidental de nous donner accès au cercle sacré des esprits pour qu’ils soient avec nous, pour que nous soyons unis et plus forts ensemble. »

Toutes les personnes présentes ont été invitées à placer leurs mains sur leur cœur. Des séquences vidéo montrent que le pape, ainsi que les évêques et les cardinaux, ont tous exécuté l’ordre cérémonial païen qui leur avait été donné.

En 1984, Jean-Paul II, au Canada, avait déjà participé à la même cérémonie que le pape François : mais on lui avait donné une plume d’aigle trempée dans des essences rares et du sang, en souvenir de la tentative d’assassinat alors récente, pour disperser la fumée. Un récit de ce rituel, tout à fait similaire à celui célébré avec le Pape François, est donné dans La Croix des 8/9 septembre 1984.

Le nombre de rituels païens auxquels Jean-Paul II a participé ne peut être catalogué ici dans son intégralité : en termes de gravité et d’ampleur, nous ne mentionnons ici que la prière dans la Forêt Sacrée du Togo, avec l’invocation d’esprits par un sorcier, et une purification rituelle avec la participation active du défunt Pontife (voir L’Osservatore Romano du 11 août 1985).

En 1986, en Inde, le pape a été reçu avec le chant d’hymnes védiques (donc païens et ouvertement panthéistes) et de nombreuses cérémonies de nature très clairement hindoue, mêlées même à la célébration de la messe.

Enfin, sur une note pittoresque, le premier pape à porter la coiffe de plumes indiennes fut même Paul VI, lors d’une audience à Castel Gandolfo en septembre 1974.

Il n’y a rien de nouveau sous le soleil du modernisme papal…

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