Les dix meilleures séries de 2022

Après deux ans de ralentissements dus à la pandémie de Covid-19, les séries sont revenues en force en 2022. Au-delà de l’arrivée de mastodontes de fantasy (House of the Dragon, Les Anneaux de pouvoir) et des adieux à certaines des meilleures productions de la décennie (Atlanta, Better Call Saul, Better Things), on a assisté à la naissance de nouveaux projets rafraîchissants (Yellowjackets), de comédies britanniques addictives (Slow Horses, Bad Sisters, Starstruck), d’adaptations mélancoliques (Conversations with Friends), ou de réinventions malines (Une équipe hors du commun).

Les productions françaises ont également prouvé qu’elles n’avaient rien à envier à leurs homologues anglo-saxonnes avec Oussekine, Parlement, Chair tendre, Drôle, etc. Bref, il n’y a jamais eu autant de séries télé ni autant de manières différentes de les regarder. Si vous ne trouvez pas votre préférée dans notre liste, ce n’est donc pas parce qu’on estime qu’elle est nulle: c’est juste un signe de l’immense diversité et qualité des productions à l’heure actuelle.

10. «The Dropout» (Disney+)

L’année 2022 a été celle des scammeuses. Inventing Anna (Netflix) était un divertissement frivole dont on ne pouvait détourner le regard –en grande partie grâce à l’interprétation hypnotique de Julia Garner–, et WeCrashed (Apple TV+) était surtout là pour nous rappeler combien Jared Leto est fatiguant.

Mais dans le genre «série de true crime sur une entrepreneuse-arnaqueuse blanche, mince et monstrueuse», seule The Dropout a vraiment réussi à se démarquer. La mini-série retrace l’ascension et la chute d’Elizabeth Holmes, jeune prodige de la Silicon Valley qui a arnaqué ses investisseurs en prétendant avoir inventé une manière révolutionnaire de réaliser des analyses de sang.

The Dropout cloue au pilori la culture start-up et parvient à créer de l’empathie pour son héroïne, sans jamais perdre de vue l’ampleur de ses crimes ni tenter d’excuser ses actes. Un numéro d’équilibriste remarquable que l’on doit aussi à la performance ahurissante d’Amanda Seyfried dans le rôle principal –tellement impressionnante que Jennifer Lawrence a renoncé à jouer Elizabeth Holmes dans un autre projet.

9. «The Bear» (Disney+)

Dans une industrie télé de plus en plus dominée par les stars de cinéma et les franchises (Game of Thrones, Star Wars, Le Seigneur des Anneaux), le succès phénoménal de The Bear s’apparente presque à la victoire de David contre Goliath. Cette petite surprise sortie de nulle part, créée par Christopher Storer, suit le quotidien d’un restaurant de sandwichs de Chicago en plein bouleversement: Carmy, jeune chef passé par les meilleurs restaurants gastronomiques du pays, décide de reprendre l’affaire familiale après la mort de son frère et doit gérer crise après crise.

Malgré son atmosphère électrique (pour ne pas dire anxiogène), The Bear est avant tout une série de «hang out», sans concept, dynamisée par un casting avec lequel on aimerait juste passer de très nombreuses heures. Une série à l’ancienne, en somme. Ou presque. Car en plus d’explorer certains des thèmes les plus courus du moment (le deuil et le traumatisme), elle se permet des exercices de bravoure stylistique comme seule la télé contemporaine sait en faire, notamment son épisode 7 tourné en plan-séquence. Une saison courte, addictive et inventive et portée par des acteurs tous plus magnétiques les uns que les autres (Jeremy Allen White et Ebon Moss-Bachrach en tête).

8. «Severance» (Apple TV+)

Une autre surprise à l’identité visuelle et sonore entêtante s’est rapidement transformée en obsession. Nouveau venu dans l’univers des séries, le créateur et scénariste Dan Erickson a fait forte impression avec ce thriller dystopique sur une entreprise mystérieuse, dont les employés ont accepté de scinder leur conscience en deux: l’une n’est présente qu’au travail, tandis que l’autre vit en dehors, et leurs expériences ne se croisent jamais.

En quelques épisodes, Severance crée un univers unique, fait de couloirs interminables, de pièces étrangement aseptisées et de touches cryptico-absurdes (pourquoi y a-t-il des chevreaux dans ce bâtiment?!). À la réalisation, Ben Stiller et Aoife McArdle déploient une palette sombre et oppressante, contrebalancée par l’humour noir de la série.

Au casting, Adam Scott et Britt Lower continuent de prouver l’étendue de leur talent, tandis que Tramell Tillman est une révélation dans le rôle de Milchik. Mais notre coup de cœur revient à John Turturro, à contre-emploi dans le rôle d’un employé zélé et profondément sensible. Lorsque le final s’achève, on n’a qu’une seule question: comment tenir jusqu’au printemps 2023 pour voir la suite?

7. «The White Lotus» (OCS)

La saison 1 de cette satire, sur les clients exécrables d’un hôtel de luxe, était le plus gros coup de 2021: commandée et produite à toute vitesse pour faire face à la pénurie en pleine pandémie, elle est devenue en un été le phénomène sériel de l’année. Devant un tel succès, HBO a évidemment décidé de remettre le couvert, et les résultats sont à la hauteur des attentes pourtant démesurées.

Toujours aussi sadique, le créateur Mike White nous place dans un nouveau lieu à la beauté époustouflante (la Sicile), mais pousse l’angoisse existentielle de ses invités tellement loin qu’il nous est quasiment impossible d’apprécier l’opulence et la beauté des décors.

Le créateur américain met en relief toutes les manières dont la sexualité

et le désir peuvent devenir transactionnels.


Cette deuxième saison, plus fine dans ses portraits psychologiques, délaisse les questionnements initiaux sur les rapports de classe, les tensions raciales et le pouvoir de l’argent pour explorer une autre monnaie d’échange très répandue: le sexe. À travers une nouvelle galerie de personnages en couple, célibataires, queers ou hétéros, le créateur américain met en relief toutes les manières dont la sexualité et le désir peuvent devenir transactionnels.

Une saison fascinante qui fait aussi office de plaidoyer pour le modèle de diffusion hebdomadaire et le retour de la «télé water cooler», tant ses épisodes ont su s’imposer dans les conversations lors de leur sortie.

6. «For All Mankind» (Apple TV+)

Après une saison 2 renversante qui l’a fait entrer dans la cour des grandes, la série uchronique de Ron Moore For All Mankind prouve qu’elle n’a aucune intention de ralentir le rythme. Dans sa troisième saison, cette histoire alternative de la NASA se déroulant désormais dans les années 1990 a continué de multiplier les bonds dans le temps, les scènes d’action ébouriffantes et les choix narratifs toujours plus risqués.

Même l’intrigue la moins intéressante a fourni une récompense de haut calibre dans son final explosif. Aucune autre série au long cours n’est actuellement capable de nous laisser aussi pantois à la fin de chaque épisode. On a hâte de voir jusqu’où elle nous mènera.

5. «Station Eleven» (Syfy)

Comme le livre dont elle est tirée, Station Eleven est un miracle. Une série sur une pandémie, diffusée en pleine pandémie, qui trouve dans l’horreur de son récit un message profondément optimiste. Une adaptation constituée de sublimes tableaux visuels, qui entremêle les points de vue et les époques sans jamais nous perdre.

On y suit une troupe itinérante qui, vingt ans après une pandémie de grippe ayant ravagé le monde, parcourt la région des Grands Lacs pour interpréter des pièces de Shakespeare. L’histoire est entrecoupée de flashbacks vers les premiers jours du drame, ainsi que vers le «monde d’avant». La filiation avec The Leftovers, pour laquelle le créateur Patrick Somerville a écrit, est évidente.

Station Eleven fait souvent preuve d’une mélancolie dévastatrice et crée de la beauté même dans ses moments les plus sombres: un squelette envahi par la végétation ou un appartement enseveli sous la neige deviennent des objets de contemplation et de recueillement plutôt que de terreur.

Malgré des choix d’adaptation radicaux qui déplairont aux puristes, la série s’approprie l’univers du livre et en conserve l’idée principale. Tissant des liens entre les personnages grâce aux œuvres qui les ont marqués (de Hamlet à A Tribe Called Quest, en passant par un comic ou un monologue d’Independence Day), Station Eleven est ainsi une ode bouleversante à l’importance de l’art dans nos vies et notre survie.

4. «Better Things» (OCS)

Au début de la saison 5 de Better Things, Sam (Pamela Adlon) renverse par accident la sculpture qui trône en haut de son escalier. Cela faisait cinq saisons que l’on voyait la mère célibataire et ses filles adolescentes toucher de manière distraite la tête de la petite statue à chaque fois qu’elles passaient devant.

Alors que l’objet éclate en mille morceaux un étage plus bas, l’incident fait l’effet d’une déflagration, aussi intense ou choquante qu’un meurtre dans Game of Thrones. Ce n’est peut être qu’à ce moment-là que l’on réalise ce que la créatrice a réussi à accomplir avec cette œuvre faussement simple, qui ne ressemble à aucune autre. Better Things, récit semi-autobiographique sur une mère et ses trois filles à Los Angeles, n’est pas seulement une série: c’est un foyer pour quiconque la regarde.

Créée, écrite, produite, réalisée et incarnée par Pamela Adlon, Better Things avait commencé comme une dramédie mordante dans la lignée de Louie. Louis CK a d’ailleurs cocréé la série. Mais lorsque ce dernier s’est retiré après avoir été accusé de harcèlement sexuel, Pamela Adlon a repris les rênes seule et en a fait une œuvre d’autrice de plus en plus singulière, personnelle et féministe.

Better Things est une comédie familiale profondément chaleureuse, qui célèbre la complexité des liens maternels. Mais c’est aussi une expérimentation gonzo spirituelle, qui s’est montrée de plus en plus surréaliste et imprévisible à chaque nouvelle saison. Certes, il se passe rarement un épisode sans que Sam cuisine, s’attire l’affection d’inconnus ou se dispute avec ses filles, mais pour le reste, tout est possible –comme l’apparition d’un fantôme, un numéro musical ou un court métrage en noir et blanc. Jusqu’au bout, Better Things aura fait ce qu’elle veut. Un acte de confiance suprême en sa vision, et en son public.

3. «Industry» (OCS)

La première saison d’Industry, sur le quotidien d’un groupe de jeunes londoniens dans une banque d’affaires, intriguait avec ses dialogues jargonneux débités à toute vitesse, sa bande-son électrisante et ses scènes de sexe très très hot.

La deuxième a été la confirmation qu’une grande série était en train de se construire sous nos yeux. Entre les deux, les créateurs Konrad Kay et Mickey Down (eux-mêmes d’anciens banquiers d’affaires) ont tiré des leçons de ce qui avait moins bien marché et décidé de revenir à une structure narrative plus conventionnelle. Et ce, tout en gardant ce qui rend leur série captivante: une atmosphère oppressante, une étude très fine des rapports de classe et de pouvoir au Royaume-Uni et des personnages merveilleusement complexes et ambigus.

En s’inspirant à la fois des Soprano, de Succession et de Mad Men (qu’ils citent ouvertement), les deux Britanniques ont accéléré le rythme, élargi leur intrigue, et ajouté aux épisodes de nouvelles couches d’émotion et de complexité. Le résultat est une saison jouissive et addictive, dans laquelle on trouve aussi l’antihéroïne la plus fascinante de la télé à l’heure actuelle: Harper Stern, incarnée par l’impressionnante Myha’la Herrold.

2. «Andor» (Disney+)

S’il y a une chose à laquelle on ne s’attendait pas cette année, c’est qu’une des réflexions les plus pertinentes sur l’autoritarisme et l’action militante vienne d’une série Star Wars. Tony Gilroy, à qui l’on doit La Mémoire dans la peau mais aussi Rogue One, prête ainsi son talent d’écriture à la meilleure série de franchise de ces dernières années, aussi divertissante qu’intelligente.

Située avant les événements de Rogue One, la série suit le personnage de Cassian Andor (Diego Luna) avant qu’il ne rejoigne la rébellion. Ici, il n’est pas question de Jedi ni de sabres lasers, mais d’un homme ordinaire et individualiste, qui devient résistant car il n’a pas d’autre choix.

Thriller politique enrobé dans la mythologie Star Wars, Andor nous montre le quotidien des rebelles et des citoyens mais aussi celui des fonctionnaires de l’Empire: à travers les levées de fonds, le système carcéral, les violences policières, la bureaucratie et la corruption, la série décrit la manière dont une partie du peuple va finir par se radicaliser après avoir été de plus en plus écrabouillée par un État fascisant –le tout entrecoupé de scènes d’action de haute volée. Les elfes et les dragons ont intérêt à prendre des notes.

1. «Better Call Saul» (Netflix)

Ce spin-off de Breaking Bad, centré sur un personnage secondaire servant avant tout de support comique, a accompli l’impossible: égaler voire surpasser la virtuosité de la série qui l’a inspiré.

En six saisons, la série n’a cessé de se complexifier, maniant habilement une multitude de registres: drame, comédie, action, intrigue judiciaire… Elle a su approfondir des figures déjà mythiques de Breaking Bad (Gus Fring, Mike Ehrmantraut), tout en donnant vie à de nouveaux personnages cultes (Nacho, Lalo Salamanca). Même son final un peu trop sentimental n’a pas éclipsé la qualité de cette excellente saison.

C’est aussi dans ce dernier volet que l’on trouve un des meilleurs épisodes de ces dernières années, «Fun and Games», qui met en scène une confrontation dévastatrice que l’on attendait depuis plusieurs saisons.

Si la chute de Jimmy était courue dès le pilote de Better Call Saul, la saison 6 a surtout marqué celle de Kim, qui est progressivement devenue le personnage le plus fascinant de la série, et son cœur battant. La meilleure série des années 2010 a tiré sa révérence avec brio, et on ne peut que s’estimer chanceux d’avoir assisté à un tel accomplissement.



Les dix meilleures séries de 2022