La folle histoire de “La Beuze”, la comédie qui a fait de Michaël Youn une star

Dans les coulisses des comédies françaises (8/12) – Cet été, BFMTV vous dévoile les secrets de films comiques hors-normes, cultes ou insolites. Aujourd’hui, La Beuze.

Réalisé il y a vingt ans, La Beuze a fait de Michaël Youn une star. Un coup du destin extraordinaire, pour l’ex-trublion du Morning Live qui n’aurait jamais dû incarner le héros de cette comédie potache, un certain Alphonse Brown, autoproclamé roi du “Frunkp” et fils caché de James Brown. Un personnage délirant qui lui colle désormais autant à la peau que celui du rappeur Fatal Bazooka.

Tout commence à la fin des années 1990 avec le compositeur de rap Tefa et le réalisateur Philippe de Chauveron, quelques années avant qu’ils ne deviennent respectivement le producteur de Diam’s et le co-créateur de Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu?. “Je voulais faire un film sur l’herbe”, se souvient Tefa, fasciné à l’époque par des œuvres du genre comme Les Fumistes avec Dave Chappelle ou Les Frères Pétard avec Jacques Villeret.

“J’avais cette idée d’herbe des nazis. Ça me faisait rigoler que dans les années 1940 les nazis aient créé une herbe pour empêcher les Américains de venir. Je voyais La Beuze comme le petit frère des Frères Pétard. J’ai grandi avec ce film. Je me disais que c’était triste qu’il n’y ait qu’un seul film sur la beuh en France.”

Tefa confie son idée à Philippe de Chauveron. Séduit, il contacte Guy Laurent, scénariste avec qui il a travaillé sur la sitcom de Nagui Mes Pires Potes. Guy Laurent leur présente Abel Nahmias, producteur chez Pathé: “Son coup d’éclat, c‘est qu’il leur avait fait gagner beaucoup d’argent en achetant des productions animées japonaises. Il cherchait à produire des films un peu nouveaux. Quand on lui a parlé de La Beuze, il a immédiatement flashé.”

“C’était très drôle à lire”, se souvient Abel Nahmias. “C’est très rare de lire un script et de se marrer en le lisant, même un script de comédie. Là, c’était tellement con, tellement poussé, tellement sans filtre qu’on se marrait énormément en le lisant.”

“Pendant des mois, le film est mort”

Le scénario remonte alors jusqu’au bureau de Richard Pezet, alors ​directeur général des activités françaises de Pathé. Il partage l’avis d’Abel Nahmias. “Il nous dit qu’il n’a jamais rien lu d’aussi drôle depuis Les Sous-Doués“, se souvient Guy Laurent. Alors complètement sous l’influence du cinéma de genre américain, de David Cronenberg à John Carpenter, et fervent détracteur du cinéma français populaire, le jeune scénariste tombe des nues: “J’ai vraiment cru qu’il se foutait de notre gueule!”

Mais le grand argentier du cinéma français ne rigolait pas. Il valide le projet, avec Philippe de Chauveron à la réalisation: “Il n’y avait que le titre qui posait problème. Ça n’a pas été facile de le garder. Mais comme ils n’ont rien trouvé de mieux, il a été gardé!” Pour incarner Alphonse Brown et son acolyte Scotch, le cinéaste envisage Pascal Elbé et Fred Saurel, deux comédiens qu’il a déjà fait tourner dans son précédent film, Les Parasites.

Refus catégorique de la part de Pathé. “Abel ne supportait pas Elbé”, révèle Guy Laurent. “Et Pezet disait, ‘Moi vivant, jamais un mec aussi laid que Fred Saurel sera à l’écran.’ Mais Philippe voulait rester fidèle.” D’autres comiques sont contactés, comme Eric et Ramzy, Omar et Fred, mais tous refusent. “On s’est un peu embourbés”, reconnaît Philippe de Chauveron. “Ça a été tendu.” Le bras de fer est tel que le cinéaste se fait racheter le scénario par Pathé et quitte le projet.

“Pathé lui a racheté le film”, précise Guy Laurent. “Pendant des mois, le film est mort. Puis un jour, Abel m’appelle pour me dire que je dois absolument regarder ce mec à 6 heures du mat’ sur M6. C’était Youn. Le coup de génie d’Abel a été d’aller chercher Michaël Youn et son pote [Vincent Desagnat] au moment où ils montaient pour jouer Alphonse et son copain Scotch.”

“Michaël a fait l’unanimité. Il avait cette énergie comique qui correspondait bien au personnage. L’idée n’était pas vraiment d’avoir des acteurs qui composent. Il a amené une fraîcheur qui correspondait au sujet”, complète Abel Nahmias.

“Un côté à l’américaine”

Michaël Youn et Vincent Desagnat, qui s’étaient rencontrés en 1997 à Fun Radio, étaient alors complètement novices. Youn avait fait le cours Florent et s’était fait recaler au casting d’un film d’Etienne Chatiliez. Desagnat avait décroché une panouille dans La Bostella (2000) d’Edouard Baer. Ils venaient de tourner dans un court-métrage, La Malédiction de la mamie (2000), réalisé par le frère de Vincent, François, et son complice Thomas Sorriaux.

Le duo intercède pour que les deux réalisateurs les suivent dans l’aventure. Ils sont immédiatement séduits par le scénario: “Il y avait un côté à l’américaine qui était vachement excitant. On pouvait faire des choses vraiment ‘bigger than life’.” En arrivant sur le projet, ils remanient le scénario avec Guy Laurent qui calme rapidement leurs ardeurs sur les scènes d’action. “On était allé un peu trop loin”, concède François Desagnat. “À vouloir se réapproprier totalement le scénario, on s’était un peu éparpillé.”

Le duo préfère aussi se montrer prudent sur le sujet du cannabis. “En France, il y a toujours ce côté réactionnaire sur l’herbe”, regrette Tefa. “Si vous regardez le film, on se justifie tout le temps, on dit qu’elle n’est pas plus forte que ça, alors que je ne voulais pas faire ça. C’est des choses qu’ils [la production] nous ont demandé de faire. Ils avaient peur. Ils ont vachement édulcoré le propos qu’on avait écrit. On ne voulait pas en faire l’apologie, mais en rire.”

Le prologue, où Alphonse Brown et Scotch voyagent en TGV avec d’énormes goudas truffés de cannabis, est ainsi supprimé. La SNCF, qui craint d’avoir une mauvaise image à cause de la drogue, refuse d’accorder à l’équipe l’autorisation pour tourner. La séquence, qui permettait d’expliquer les origines noires-américaines d’Alphonse Brown, sera finalement tournée dans un bus, puis coupée au montage.

“On était un peu le cul entre deux chaises”

Au fil des réécritures et des problèmes de casting, certains personnages changent. Ambroise, le dealer incarné par Alex Descas, voit son importance réduite. “Il était vraiment méchant. Ils l’ont aseptisé”, déplore Tefa. Prévu à l’origine pour une actrice métisse ou noire, le rôle de Dina échoit à la Chilienne Leonor Varela, devenue une vedette internationale en incarnant Cléopâtre dans un téléfilm américain. Mais elle se désiste une semaine après le début du tournage.

Après un casting express, qui voit défiler notamment Alice Taglioni, Leonor Varela est remplacée au pied levé par Zoé Félix. En blanchissant Dina, la production sacrifie la dimension grotesque d’Alphonse Brown, souligne Tefa. “Il y avait tout un tas de trucs où Alphonse lui disait, ‘Je suis comme toi, je te comprends, mon père, c’est James Brown.”

L’humoriste Juliette Arnaud, alors la compagne de Michaël Youn, intervient aussi sur le scénario et ajoute sur ses conseils une histoire d’amour entre Alphonse et Dina. Mais cette romance peine à se matérialiser à l’écran. “Dès qu’on partait là-dedans, on s’éloignait un peu du cœur du film. On était un peu le cul entre deux chaises”, regrette Thomas Sorriaux.

Rencontre avec James Brown

Lors de la préparation du film, un petit miracle se produit. James Brown est en concert à Paris au Palais des Congrès le 30 mai 2002. Une idée germe: et si Michaël Youn et Vincent Desagnat rencontraient le parrain du funk, grimés en Alphonse Brown et Scotch? Ils décrochent un rendez-vous dans sa loge après le fameux concert.

Michaël Youn s’approche du chanteur vieillissant. “Vous êtes venu à l’Olympia en 1977, vous avez rencontré cette petite Française, c’était ma mère, je suis votre fils. Est-ce que vous voulez me reconnaître?” “Je ne vais pas te reconnaître, mais je vais t’aimer”, lui répond James Brown avant de le prendre dans ses bras. “C’était intimidant de se retrouver face à lui et ils avaient plutôt assuré”, salue Thomas Sorriaux.

La séquence a été filmée, mais les images n’ont jamais pu être exploitées. “La productrice qui avait arrangé la rencontre avec James Brown ne lui avait pas vraiment dit que c’était pour un film”, déplore François Desagnat. “Elle avait fait cette rencontre un peu à l’arrache et on n’avait pas vraiment l’autorisation. On n’a même pas pu les mettre dans le DVD. Et depuis ces images ont totalement disparu.”

L’invention du “Frunkp”

Lorsque le tournage débute quelques semaines plus tard, un élément crucial manque: la chanson du film, Le Frunkp. “On était un peu embêtés”, se souvient François Desagnat. Ils décident de repousser au dernier jour de tournage la séquence où Alphonse Brown doit interpréter son morceau devant Scotch, pour avoir le temps de peaufiner les paroles.

Ludovic Bource, le futur compositeur oscarisé de The Artist, travaille sur le morceau avec le rappeur Faf Larage, qui forme alors avec ​​Eben le duo humoristique Gomez et Dubois. Objectif: pondre un tube sur le modèle de Will Smith, dont chaque film à l’époque, de Men in Black à Wild Wild West, est accompagné d’une chanson diffusée en boucle à la radio.

Avec Le Frunkp, Michaël Youn fait trois ans avant Fatal Bazooka une première incursion dans le rap. “On se demandait comment il allait rapper le morceau”, raconte Faf Larage, qui aide le comédien à trouver “un flow clairement inspiré d’Eminem”: “J’ai choisi un flow accessible et moderne que Michaël serait capable de reproduire. Il l’a reproduit à sa sauce. On a été agréablement surpris.”

Eben trouve la mélodie du refrain, “Alphonse Brown, son nom c’est Alphonse Brown” tandis que le refrain – “La puissance du port du Havre/La culture de la betterave” – est une improvisation de Michaël Youn. “C’est arrivé très simplement”, s’étonne encore Faf Larage. “On écoutait la démo et d’un coup, quand il y a eu ‘Alphonse Brown’ chanté par Eden, Michaël a sorti ça.”

“Des crottes de nez, des couilles…”

De l’avis de tous, le tournage se déroule dans une forme d’insouciance. “C’était la première fois pour tout le monde. On s’est bien marrés”, souligne Abel Nahmias. Pour les deux comédiens, le défi est de jouer le même personnage pendant plusieurs semaines. “Pour un premier rôle, ils s’en sortent pas mal”, salue le producteur. Sur le plateau, ils s’appuient sur Éric Théobald, metteur en scène du premier one-man-show de Michaël Youn, Pluskapoil. “Il a été une béquille importante pour nous”, précise Thomas Sorriaux.

Très exigeant, Michaël pousse les réalisateurs à se remettre en question. “Il veut être efficace à la caméra. Il est généreux. Il ne compte pas ses heures. Il fait tout à fond”, note Abel Nahmias. François Desagnat se souvient en particulier d’une discussion à bâtons rompus pour une scène de danse que Michaël Youn avait préparée pendant de longs mois. “Il voulait plus de plans cool et dynamiques pour mettre en valeur la chorégraphie.”

Le budget, estimé à 5 millions d’euros, est confortable. “On avait plutôt les moyens de faire ce qu’on imaginait. Michaël et Vincent n’étaient pas payés des sommes indécentes, nous évidemment non plus. L’argent est à l’image”, insiste François Desagnat. “On s’est amusés à mélanger les couleurs pour un rendu plus fun à l’image. En termes de couleurs, le film est assez intéressant”, juge le directeur de la photographie Vincent Matthias. “Une comédie comme ça doit trancher avec la grisaille du quotidien”, confirme Abel Nahmias.

L’ensemble est saupoudré de références allant de Terminator à Scarface en passant par Rabbi Jacob, Police Squad et la blaxploitation, ces polars des années 70 avec des stars noires. Desagnat et Sorriaux sont aussi inspirés par un autre duo, les frères Farrelly (Mary à tout prix). “Dans le film, il y a des trucs terriblement farrelliens”, souligne Thomas Sorriaux. “Des crottes de nez, des couilles… Tous ces trucs-là très mal élevés qu’on ne montre jamais et que les Farrelly te transforment en trucs drôles.”

“Michaël a été hyper laconique”

Avant d’être montré à la presse, La Beuze est projeté à l’équipe chez Pathé. Le résultat plaît, même à Philippe de Chauveron, parti au début du projet. “Je suis très content du film, c’est bien réalisé, le film a de la gueule, il vieillit bien”. “Au début, on ne savait pas si ça allait finir en film! Vu le thème, ce n’était pas sûr que ça passe. J’ai trouvé ça fun, ça m’a fait marrer”, note Faf Larage. “On sent aussi que ça a été écrit par des gens qui ont une vraie affinité avec le rap.”

Guy Laurent confesse quelques déceptions. “La dernière partie manque de drôlerie. Et le méchant, Adolfo, est foiré.” “Il est mou, il n’est pas bon”, renchérit Abel Nahmias. “Il aurait dû faire plus flipper.” François Desagnat reconnaît quelques erreurs de débutant dans la construction du récit. “Le premier montage faisait 2h10. Il y avait tout ce qu’on avait tourné. On a dû couper des choses, donc forcément il reste des petites incohérences dans le film.”

Pour Michaël Youn, l’expérience est particulièrement déstabilisante. “Il voyait pour la première fois sa tête sur grand écran, ça lui a fait tout drôle”, raconte Thomas Sorriaux. “Il a été hyper laconique quand on lui a montré le film pour la première fois.” “Il ne nous a quasiment rien dit, puis il est parti”, ajoute François Desagnat. “On est resté un peu comme des cons en se demandant ce qui se passait. Je me souviens qu’il s’était fait engueuler par Juliette qui lui avait dit de nous rappeler.”

“Déception de la part des fans de Michaël”

La sortie, le 5 février 2003, sera un triomphe. Le Frunkp devient disque de platine en France et en Belgique avec plus de 500.000 exemplaires vendus. 1.938.000 spectateurs se pressent dans les salles obscures pour goûter à La Beuze. Malgré tout, ce succès a un goût amer. “Ce qui est assez fou, c’est qu’on a tous ressenti, même si le film a eu beaucoup de succès, une sorte de déception de la part des fans de Michaël et Vincent et du Morning Live“, raconte François Desagnat.

Avec Thomas Sorriaux, leur ambition avec La Beuze était justement d’offrir “des personnages cohérents” et “une histoire” aux deux trublions. Tout l’inverse des sketchs du Morning Live. “On voulait sortir Michaël de cette image de télé”, insiste François Desagnat. “On pense l’avoir atteint et on l’a d’autant plus atteint que tous les fans de Michael de la télé étaient un peu déçus. Ils avaient envie de voir plus de délire, plus de folie.”

“Les gens s’attendaient à voir Morning Live, le film“, acquiesce Thomas Sorriaux. “C’est une des raisons pour lesquelles Les 11 commandements existent, parce que Les 11 commandements, c’est vraiment Morning Live, le film. Comme le public n’a pas eu ce qu’il pensait avoir la première fois, on s’est dit qu’on allait lui donner ce qu’il avait envie de voir.”

“La Beuze” plagié par Seth Rogen?

La Beuze a continué son chemin, au gré des diffusions TV. D’autres fictions françaises, depuis, ont abordé le sujet du cannabis, comme la série Netflix Family Business (2019-2021), que Tefa admire. “Ça tue. Ça va largement plus loin que La Beuze.” Et peut-être même que La Beuze a inspiré le cinéma américain, et notamment Pineapple Express avec Seth Rogen.

“C’est le même début [que La Beuze] et je me souviens que Michael était un peu vexé”, s’amuse François Desagnat. “Il disait, ‘Je suis sûr qu’ils ont vu La Beuze, qu’ils nous ont pompés’! Je serais très honoré que Seth Rogen ait vu La Beuze et qu’il nous ait piqué l’idée. Je trouverais ça très cool.”

Malgré le succès de La Beuze, aucune suite n’a été produite. Souvent évoqué de manière informelle, le projet pourrait cependant bientôt voir le jour. “On y réfléchissait il y a encore quelques mois”, révèle François Desagnat. Guy Laurent, Tefa, Philippe de Chauveron et Abel Nahmias planchent sur La Rebeuze, une suite spirituelle sous forme d’un “legacyquel” avec de nouveaux personnages.

“Ça n’a jamais été aussi près de se faire”, prévient Guy Laurent. “On a un pitch drôle et actuel.” “L’idée, c’est d’essayer de faire un film pour le même public que La Beuze à l’époque, soit des jeunes”, ajoute Abel Nahmias. “C’est compliqué de faire La Beuze pour des mecs de quarante balais aujourd’hui. Il faut compter sur un autre public.” Tefa veille en bon gardien du temple: “Je rêve d’en faire une série pour refaire La Beuze, puis raconter la nouvelle histoire. Pour la suite, je ne céderai pas sur l’aseptisation.”

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