Diocèse de Digne, une mémoire à réveiller

Le diocèse de Digne, Riez et Sisteron épouse les contours du vaste département des Alpes-de-Haute-Provence qui compte environ 165 000 habitants, très inégalement répartis sur le territoire. « Près de 70 % de la population vit sur l’axe de la Durance où les villes se développent beaucoup », explique le père Christophe Disdier-Chave, vicaire général depuis dix-sept ans. « Et par ailleurs, nous avons 100 communes de moins de 100 habitants. »

Pour faire connaissance avec son diocèse, le nouvel évêque devra donc passer du temps en voiture puisqu’il faut compter deux heures pour parcourir l’axe Barcelonnette-Manosque, aux extrémités d’un département très prisé des touristes. Il découvrira aussi la nouvelle maison diocésaine, inaugurée en 2021 à Peyruis, entre Manosque et Digne, le grand projet de son prédécesseur, qui a décidé de vendre l’évêché de Digne.

Malgré des moyens modestes, mais comptant sur des laïcs créatifs et des prêtres – dont certains viennent d’Afrique ou d’Amérique du Sud – plutôt jeunes, la présence de l’Église, bien que vieillissante, demeure vivace, s’appuyant sur une culture chrétienne bien ancrée dans les villages.

L’Église des Alpes-de-Haute-Provence peut aussi se référer à l’une de ses figures tutélaires : Mgr de Miollis, évêque de Digne de 1805 à 1838 qui inspira Victor Hugo dans Les Misérables.

« Rejoindre les attentes spirituelles des touristes »

Chantal Bartet, gérante d’une maison d’hôtes à Digne-les-Bains

Avec mon mari Jean-Hugues, diacre permanent, nous gérons une maison d’hôtes – plus de 1 000 nuitées par an – dans le hameau des Hautes-Sièyes, sur les hauteurs de Digne. L’activité touristique est très importante dans notre département. Nous avons le sentiment de vivre notre rôle de chrétiens auprès des touristes, hors des murs de l’Église. J’essaye d’être à leur écoute, de comprendre leurs attentes, de prendre soin d’eux.

Certains passent dans la petite chapelle restaurée tout près de la demeure. Les touristes qui viennent dans notre région peuvent vivre quelque chose de spirituel : c’est notre mission d’être présents. Même si cela n’a pas été facile, aujourd’hui, la pastorale du tourisme est active, avec notamment des permanences dans les églises pour les faire visiter et accueillir les personnes qui choisissent d’y entrer. Elle concilie l’attachement des gens d’ici à leurs paysages et à leur village avec le désir de repos et de découverte des visiteurs, qui peut prendre une dimension spirituelle.

Plus largement, je crois que cela participe à donner la première place aux périphéries. Pour bâtir l’Église de demain, il nous faut ne pas tout attendre des prêtres. Il ne s’agit pas de « sauver les meubles » et faire comme avant, mais de donner plus de place aux laïcs et de permettre des lieux de débat. Durant la démarche synodale, à laquelle j’ai activement participé, les personnes que j’ai interrogées ont très peu parlé de l’Église. Il nous faut vraiment mettre l’accent sur l’aspect non pas organisationnel mais spirituel.

« Réveiller ce qui dort en chaque baptisé »

Père Benoît Nguessan,curé du secteur du bas Verdon

Originaire de Côte d’Ivoire, je suis arrivé dans le diocèse de Digne en 2016, après six ans dans celui d’Avignon. Dans le doyenné, au sud-est du département, dont je suis le responsable, nous comptons environ 8 000 habitants au sein d’un vaste espace qui me conduit à parcourir beaucoup de kilomètres. En hiver, l’activité tourne au ralenti. Mon secteur paroissial regroupe 16 communes pour 66 clochers. Je suis aidé par un prêtre à la retraite de 86 ans et un diacre qui vit à Castellane. Au sein de ce secteur, quatre communautés sont constamment visitées – Saint-André-les-Alpes, Barrême, Senez et Castellane –, les autres en fonction des besoins. Chaque village célèbre son saint et, lors de ces fêtes populaires, l’Église est toujours invitée. Je me fais ainsi davantage proche de ces populations.

Si la pratique est moins forte, une réalité qui peut parfois être décourageante, la culture chrétienne est imprégnée dans l’âme de chaque habitant. Comme notre ancien évêque, il nous faut réveiller ce qui dort en chacun car la plupart sont baptisés. Il est frappant de voir combien les gens d’ici sont attachés à leur église et aux rites de passage importants de la vie : baptême, mariage, obsèques. L’Église se fait toujours présente dans ces moments. Par ailleurs, il nous faut aussi encourager les pratiquants. Ce que j’appelle le petit reste est très précieux parce que chacun apporte vraiment sa pierre à la construction de cette Église, pour l’animation de la catéchèse, la préparation des funérailles, ou pendant l’été, pour accueillir les nombreux touristes et résidents secondaires.

« Les relations entre les maires et l’Église sont très suivies »

Daniel Spagnou,maire de Sisteron et président de l’Association des maires des Alpes-de-Haute-Provence

J’ai toujours entretenu d’excellentes relations avec les évêques du diocèse et je serai présent à l’installation de Mgr Gobilliard, en tant que représentant des 198 maires du département. Ce territoire reste profondément marqué par la religion catholique. Ainsi, à Sisteron, lors de la Fête de l’agneau, l’emblème de la ville, le prêtre vient bénir le troupeau. Dans le cadre de la laïcité, mes fonctions me commandent de demeurer proche et à l’écoute de toutes les religions, sur lesquelles je porte un regard bienveillant. Mais, les maires doivent entretenir des relations privilégiées avec l’Église catholique. La plupart des communes sont en effet propriétaires des édifices religieux qui nécessitent des investissements importants, notamment pour leur entretien.

En contrepartie, les maires utilisent souvent les églises pour l’organisation de manifestations culturelles. Sisteron en est l’un des exemples lors du festival des Nuits de la citadelle. Dans le département, les relations entre les maires et l’Église sont donc très suivies, même s’il a pu y avoir quelques tensions quand l’évêché a quitté Digne, la préfecture, pour s’installer à Peyruis. Cela va beaucoup mieux aujourd’hui, et les grandes cérémonies ont toujours lieu à Digne. Pour ma part, je suis en contact avec l’Église dans le domaine social, notamment par l’intermédiaire du Secours catholique qui fait un travail remarquable. Comme beaucoup de maires, je m’adresse souvent à eux pour qu’ils interviennent.

Celebratio, un projet de messes plus « festives »

Comme ailleurs, le diocèse de Digne cherche à rejoindre les jeunes. À la question, qui se pose parfois cruellement dans certaines paroisses où les assemblées sont vieillissantes, pas de réponse miracle. Autour d’une équipe, menée par Christine Géraud, 48 ans, qui fait partie de l’équipe de la pastorale des jeunes, est né le projet « Celebratio », visant à former une nouvelle génération d’acteurs liturgiques pour les paroisses. Il est issu des réflexions menées dans le diocèse avant le Synode des jeunes de 2018. Ce dernier avait constitué une assemblée des jeunes. Parmi les attentes régulièrement exprimées revenait le besoin que les messes du dimanche soient plus vivantes. « Il ne faut pas que toutes les assemblées dominicales soient dans le style pop louange, mais il est important que, dans certaines églises, le style musical proposé rejoigne la culture des jeunes », assure Christine Géraud.

La première édition de Celebratio, ouverte à toutes les sensibilités liturgiques, a attiré, en mai, une quarantaine de personnes de tout le diocèse – une trentaine pour la deuxième fin novembre. Deux autres dates sont déjà programmées en 2023 pour ces sessions qui comprennent un enseignement, des ateliers et une célébration. « Nous sommes obligés d’être créatifs », témoigne Christine Géraud, indiquant qu’un responsable du Service national de la pastorale liturgique doit venir en janvier pour « voir ce qu’on fait ». « L’idée, c’est que les participants – nous ciblons les 20-40 ans – puissent ensuite appliquer dans leur paroisse ce qu’ils ont reçu. »

Une formation pour revisiter les fondamentaux de la foi

« Avec mon mari, nous nous sommes rendu compte que nos connaissances sur notre foi remontaient à nos années de catéchisme et d’aumônerie. » C’est forte de ce constat que Delphine Lombard, 36 ans, habitante de Manosque, a décidé de s’inscrire à la formation « Croire et comprendre », lancée par le diocèse à la rentrée. À la faveur de leur préparation au mariage puis du baptême de leur fils, le couple, pratiquants réguliers, souhaite s’investir davantage. C’est à point nommé qu’il prend connaissance de cette initiative dans le bulletin de leur paroisse, avec en plus la possibilité de faire garder leur enfant.

Delphine et son mari font ainsi partie de la soixantaine d’inscrits à cette formation proposée, au cours de sept samedis, avec la participation active de l’Institut de sciences et théologie des religions (ISTR) de Marseille. Ouverte à tous, elle est particulièrement destinée à ceux qui sont actifs dans leur paroisse ou qui souhaiteraient le devenir. Ce projet est né dans la foulée de l’inauguration, en septembre 2021, de la nouvelle maison diocésaine flambant neuve – le Bartèu – à Peyruis, regroupant l’évêché et les services du diocèse.

De facture assez classique, la formation aborde l’Église, le Credo, l’Écriture, la doctrine sociale, la morale, la vie sacramentelle et, pour finir, la notion de « disciple missionnaire », chère au pape. « Je suis impressionnée par l’engagement des participants qui sont tout sauf passifs, explique Géraldine Lasserre, xavière et l’une des intervenantes de ce parcours. On retrouve cette soif de formation – et c’est touchant – même chez des octogénaires. Ce thème était d’ailleurs remonté dans les échanges sur le synode. Tout le monde s’accorde sur la nécessité de l’évangélisation mais beaucoup disaient ne pas oser, par manque de formation. »

Un besoin de repères que ressent Irène Wauquiez, 60 ans, qui s’est inscrite avec son mari. Chantre, près de Digne, elle ne cache pas être secouée par la crise profonde de l’Église. « J’ai besoin de mieux comprendre les bases de ma foi pour me permettre de continuer, malgré mes questions et mes doutes », confie-t-elle. Irène apprécie la pédagogie et les thèmes abordés. « Durant la première session, il a été question de l’Église, or j’ai du mal, dans le Credo, avec l’Église sainte, souligne-t-elle. Mieux comprendre les incohérences entre le message du Christ et certains fonctionnements de l’Église institutionnelle m’aide à mieux m’y engager. »

Cette formation au cœur d’un vaste diocèse aux moyens limités lui donne une couleur locale particulière. « Plutôt que de se former dans son coin, il y a une dimension communautaire, d’autant que l’enseignement n’est pas vertical, explique Géraldine Lasserre. Les participants travaillent ensemble, partagent aussi en petits groupes. » « Au début, nous avions un peu peur de ne retrouver que des personnes très engagées dans les paroisses ou dans le diocèse, mais finalement les profils sont très différents », témoigne Delphine Lombard.

Pourquoi s’exprime aujourd’hui, sur le terrain, ce fort besoin de formation, comme si les chrétiens du diocèse souhaitaient devenir des catéchumènes ? Pour la xavière Géraldine Lasserre, les chrétiens se retrouvent « à devoir rendre compte de leur foi et de leur espérance, dans une société pluraliste », ce qui n’est « pas du tout évident » et nécessite de travailler « l’intelligence de la foi ». « Il s’agit de nourrir son identité pour entrer en dialogue sans peur avec les autres », poursuit-elle. Être à l’aise avec ce que l’on croit offre la possibilité de répondre aux éventuelles questions et expliquer simplement les fondements de la foi tandis que la culture chrétienne s’effrite.

Concrètement, et alors que les sessions de la formation doivent se poursuivre jusqu’en mai 2023, elle semble avoir déjà quelques conséquences directes. Ainsi, Delphine Lombard et son mari vont s’engager dans la préparation au mariage et au sein d’une Équipe Notre-Dame (END) qui se constitue dans leur paroisse : « Dans un petit diocèse comme le nôtre, quand des gens se bougent pour proposer des choses, il faut répondre ! »

Diocèse de Digne, une mémoire à réveiller