Dans une « Forest School » occitane, les enfants apprennent naturellement

Le concept des “forest school”, qui repose sur la pédagogie par la nature, essaime peu à peu en France. Illustration sur le terrain, du côté du piémont pyrénéen, avec l’association Lien sauvage. Elle propose aux enfants des centres… très aérés.

Le cadre n’est pas tapissé de mappemondes. Il offre une vue imprenable sur les Pyrénées. On distingue aussi, à l’horizon, deux châteaux cathares ariégeois : le renommé Montségur, le plus confidentiel Roquefixade. Bienvenue à Lien Sauvage, une “forest school” basée à Soula, près de Foix en Ariège.

Nul besoin d’ouvrir les fenêtres pour se nourrir du panorama : ici, il n’est pas question d’être enfermés entre quatre murs. La “classe” est un terrain de trois hectares, où se mêlent forêt et clairière, où cohabitent plusieurs espèces. “Il se distingue par sa biodiversité, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous l’avons choisi”, admire Elodie Corradini.

La jeune femme, éducatrice à l’environnement de formation, dotée d’une certaine “fibre naturaliste”, est à l’origine de cette école de la forêt à l’occitane. Elle a semé en 2018 la première graine du projet, avant d’avoir eu vent du concept qui a germé sur les terres anglo-saxonnes, et pousse timidement en France. “J’avais envie d’offrir un cadre de contacts réguliers avec la nature, et que les enfants – ou les adultes – soient vraiment acteurs de ce qu’ils y faisaient”

Dormir sous la tente : l’apothéose pour les enfants

Elodie Corradini. L’éducatrice à l’environnement a créé Lien Sauvage en 2018.
DR

Elodie Corradini est désormais membre du conseil d’administration du Réseau de Pédagogie Par la Nature (RPPN), créé en 2018 en France, pour creuser le sillon dans un domaine encore en friche. Elle est aussi directrice d’accueil de loisirs, grâce aux centres très aérés proposés par Lien Sauvage, dûment agréés.

L’association, âgée de 4 ans et demi à peine, animée par deux salariés et quatre bénévoles, connaît une croissance à souligner. L’offre s’est ramifiée en de multiples possibilités, et l’on peut aller piocher sur le site internet dédié. “On a commencé par proposer des ateliers mensuels pour les familles, baptisés Familles Sauvages. Cela a bien fonctionné et, du coup, on a décidé d’aller plus loin, avec des ateliers hebdomadaires”, retrace la jeune femme.

Désormais, Lien Sauvage s’adresse d’abord aux jeunes pousses, les enfants de 6 à 11 ans. On les appelle les “Sauvageons”, le nom donné à cet accueil périscolaire hebdomadaire en pleine nature (les mardis et mercredis). Pendant les vacances, des formules sur une semaine (les après-midi) sont proposées. L’année est aussi ponctuée de deux “immersions sauvages”, “au printemps et à l’automne. Il s’agit de trois jours et demi d’immersion. On dort sous la tente… Pouvoir ainsi dormir sur place, pour les enfants qui viennent toutes les semaines, c’est un peu l’apothéose !” note Elodie.

Certains n’aiment pas toucher la terre

"Certains enfants n'aiment pas toucher la terre", et il ne s'agit pas seulement des citadins.
“Certains enfants n’aiment pas toucher la terre”, et il ne s’agit pas seulement des citadins.
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Tous ateliers confondus, une centaine de familles sont ainsi accueillies dans l’année, surtout grâce au bouche-à-oreille. Les enfants viennent de tous horizons – Toulouse, Perpignan, Aude…- et pas seulement du voisinage ariégeois.

Ils ont leurs racines à la campagne mais aussi à la ville, et entretiennent avec la nature des relations différentes. “Il ne faut pas généraliser, signale la directrice. Il y a des enfants citadins qui sont très sensibilisés à la nature, et d’autres qui ne le sont pas, alors qu’ils habitent en pleine campagne. Cela dépend bien souvent de l’accompagnement des parents”.

Lien Sauvage, qui faute d’hébergement “en dur” ne peut prétendre à devenir “classe verte”, cherche à toucher malgré tout les écoles. “On a commencé à accueillir l’an dernier plusieurs classes, par exemple grâce à des instits qui étaient venus en famille, et ont décidé d’amener leur classe. C’est super intéressant, car cela permet de toucher des enfants qui n’auraient pas fait la démarche pour venir d’eux-mêmes”.

Car l’association a une valeur : “l’inclusion”. “On a des tarifs les plus bas possibles, pour ouvrir les portes à des publics qui ne sont pas forcément sensibilisés. Lorsque les prix sont plus élevés, cela peut vite tourner entre convaincus”. Pour la “forest school” ariégeoise, l’idée “est de permettre aux enfants qui ne sont pas très à l’aise avec la nature de se lancer dans l’aventure. Certains n’aiment pas toucher la terre, ou ont du mal à s’asseoir par terre…”

Contrairement à un savoir qui nous arrive de l’extérieur

Avec les ateliers de Lien Sauvage, tous retrouvent un élan naturel. Prodige de la nature : les enfants finissent par devenir leurs propres maîtres. “Chacun s’approprie le lieu, les notions, et c’est ce qui est intéressant avec cette pédagogie : contrairement à un savoir qui nous arrive de l’extérieur, c’est quelque chose qui vient d’une motivation intrinsèque”, admire Elodie.

Elle et sa collègue, animatrices, guident les écoliers, bien sûr. Elles insufflent leurs savoirs. Elles balisent le terrain, dûment exploré. “Par exemple, il y a tout un apprentissage sur comment faire du feu. Sur ce que l’on peut récolter, à quel moment. Sur les règles de sécurité. Ainsi, il ne faut pas monter à un arbre lorsqu’il a plu. Pour l’utilisation des outils aussi, on est formées afin de transmettre les gestes de base”, énumère la jeune accompagnatrice.

Les enfants deviennent force de proposition

Les enfants créent eux -mêmes les règles du jeu.
Les enfants créent eux -mêmes les règles du jeu.
DR

Pour autant, pas question de suivre un programme au pied de la lettre. On s’adapte à l’être. “On fait un accompagnement de groupe mais aussi personnalisé. On tient compte de ce que chaque enfant a envie de faire. On co-construit avec eux, ils deviennent forces de proposition”.

Les “sauvageons” apprennent ainsi à devenir bâtisseurs : en matière d’envies, la construction de cabanes reste un tronc commun. Ils deviennent volontiers explorateurs : ils apprécient par exemple les opérations de traçage, destinées à détecter la présence d’animaux. La palme revient aux jeux, dont ils deviennent inventeurs. “La semaine dernière, on parlait des écureuils, illustre Elodie. On s’est demandé : qu’est-ce que l’on pourrait faire comme jeu, en rapport avec eux ? On a fini par organiser une sorte de cache-cache derrière les arbres. Et ce sont les enfants qui ont créé les règles”.

Mine de rien, tout cela permet de s’approprier le terrain. Et de le respecter. Parce que la préservation de la nature n’est pas une science innée, même chez les congénères de Greta Thunberg. “On essaie de les faire se sentir responsables par rapport au lieu. Ils sont impliqués dans la gestion du terrain, à petite échelle bien sûr. Ils ont un regard sur l’impact de leur présence, et c’est une application concrète”. Elodie, branchée ornithologie, n’y est pas pour rien : “En période de nidification, les enfants diront eux-mêmes qu’il ne faut pas couper une branche”.

Pas d’esprit de la forêt, mais du concret

Pas question d'invoquer un quelconque esprit de la forêt. On fait dans le concret.
Pas question d’invoquer un quelconque esprit de la forêt. On fait dans le concret.
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Ils retiennent d’autres leçons, dont celle-ci : “Si l’on veut utiliser une plante pour faire une construction, on essaie de prendre uniquement ce dont on a besoin. Si on constate que l’on a été plusieurs à prélever dans un buisson, on le laisse en paix pour qu’il se reprenne un peu”.

Lien Sauvage cultive aussi “l’empathie envers d’autres êtres vivants”, des plus petits aux plus grands, “sans hiérarchisation”, en se basant “non sur la culpabilisation, mais sur l’observation”: “On a une règle, à Lien Sauvage : on ne tue pas volontairement les animaux, quelle que soit leur taille. Chez eux, les enfants font ce qu’ils veulent, par exemple écraser une fourmi. Ici, on réfléchit à l’impact sur la colonie. Il ne s’agit pas de créer un sanctuaire de la nature, mais de leur apporter cette vision. Même si on trouve un moustique, une tique : on le retire, ou le met au loin. On se rend compte que des enfants qui, au départ, avaient plutôt envie d’écraser certaines bestioles, ne le font plus”.

Précision au passage : “A Lien Sauvage, on ne parle pas de fée, d’esprit de la forêt ou de ce genre de choses. On a une approche concrète de la nature. Pas question “d’amalgame” avec “certains courants qui ont une fibre spirituelle, dont beaucoup proposent des choses pas très clean”. “On ne se reconnaît pas du tout dans ce mouvement, insiste Elodie. On est vraiment insérés dans la société. C’est de l’intérieur que l’on essaie de faire changer les choses. Ce n’est pas une initiative marginale”.

Une plus grande aisance des enfants

Les enfants apprennent à connaître leur environnement, et à le respecter.
Les enfants apprennent à connaître leur environnement, et à le respecter.
DR

De la même manière, les apprentissages ne sont pas à la marge. Des questionnaires et grilles d’évolution sont tenus par les accompagnatrices de Lien Sauvage. Mais les bénéfices récoltés par les enfants sont, avant tout, estimés depuis le terrain. Par rapport à chacun. En filigrane donc : la reconnexion avec la nature, beaucoup évoquée de nos jours, rarement expérimentée. Elle permet de (ré)apprendre, entre autres, l’art d’attendre. “On remarque une plus grande aisance des enfants, par rapport à la notion de temps notamment. Grâce à la familiarisation avec le lieu, il est plus facile pour eux de reconnaître certaines plantes, de voir leur évolution au fil de l’année, qui est assez marquée dans notre zone, le piémont pyrénéen”, décrit Elodie.

Respect de la nature, et donc des siens : l’équation découle. “Les sauvageons” savent reconnaître leurs racines communes, aidés par des accompagnatrices bienveillantes : “En termes d’esprit de groupe, de coopération, de gestion des conflits, il y a un véritable acquis de compétences”.

Sans devoir faire un câlin à un arbre, l’enfant est “apaisé”, grâce au cadre et à l’encadrement. “Chez certains, c’est flagrant. Selon les parents, sur le trajet vers Lien Sauvage, c’est le conflit dans la voiture. Sur le chemin du retour, c’est beaucoup plus calme”.

Les retombées sont aussi réelles en termes de motricité, comme constaté par Elodie : “On voit une évolution de la dextérité chez les enfants. On a eu des enfants dyspraxiques, qui ont été aidés sur le plan de la motricité fine, et globalement sur le plan de l’équilibre. Notre terrain est un peu pentu, il arrive souvent que les enfants trébuchent au début. Mais ensuite, ils arrivent à galoper”. Qui plus est, la vue est imprenable sur les Pyrénées.

Qu’il pleuve ou qu’il vente

Idée reçue sur l’apprentissage par la nature : la météo fait la pluie et le beau temps. Faux, répond Lien Sauvage. “On a une approche qui ne considère pas cela comme un frein, mais au contraire comme des leviers pour d’autres propositions”, explique Elodie Corradini. Il pleut ? “On a une place à boue. C’est un endroit où on a enlevé la première couche de végétation pour qu’il y ait de la gadoue qui sorte, dès qu’il pleut. Les enfants peuvent faire des sculptures avec, des inscriptions, des tartes à la boue…”.

Pareillement, autant en apporte le vent. “En ce moment, à l’automne, les feuilles volent dans tous les sens. C’est le grand jeu pour les enfants : les attraper”. C’est l’hiver, on hiberne ? Au contraire. “Quand il y a de la neige, on a déjà fait des igloos”. Il y a cependant un principe sur lequel Lien Sauvage ne transige pas : le baromètre est surtout celui de l’enfant. Des vêtements de rechange ou un abri-tipie sont proposés.

“L’idée est qu’ils vivent l’expérience avec joie, et qu’ils respectent leurs propres limites. On les sensibilise à leur propre ressenti. Il y a une règle ici : apprendre à prendre soin de soi. Si un enfant est mal équipé, même s’il est hyper motivé, cela peut vite tourner à l’inconfort”. Et parfois, il faut en mettre une couche chez les parents.

Dans une « Forest School » occitane, les enfants apprennent naturellement