Dans le diocèse de Fréjus

Déplacée de Fréjus à Toulon en 1958, la résidence de l’évêque du Var est une coquette villa, engloutie par un jardin luxuriant. Il faut passer par une avalanche de fleurs, de palmiers et de buissons pour accéder au cénacle où Dominique Rey, 69 ans, administre son diocèse depuis 2000. Il est tentant de voir dans cette jungle un reflet de l’Église varoise, comptant plus de 250 prêtres pour un million d’habitants – contre 500 à Paris, par exemple –, des dizaines de communautés religieuses, et ordonnant de nouveaux prêtres à un rythme soutenu. Une situation unique au sein d’un catholicisme français asphyxié par le manque de vocations, qui frappe les nouveaux arrivants dans le diocèse par sa profusion, mais qui peut aussi en inquiéter certains par son aspect anarchique. Et par le coût humain nécessaire à son entretien.

« Permaculture ecclésiale »

« À Fréjus-Toulon, on accueille tout le monde », constatait La Vie en 2015, voyant déjà la « fatigue » poindre dans le diocèse, et s’interrogeant sur la cohérence de cette pépinière qui, du reste, n’a pas été aménagée seulement par Dominique Rey. « La permaculture ecclésiale a toujours été une spécialité du diocèse », commente Gilles Rebêche. Délégué épiscopal à la solidarité et à la pastorale du deuil, ce diacre est un enfant du pays, fils d’un soldat de la garnison de Fréjus : « J’en suis à mon troisième évêque », glisse le patron de la Diaconie du Var, structure qui anime les œuvres sociales du diocèse et vient de fêter ses 40 ans.

Avant Mgr Rey, Gilles Barthe (1962-1983) et Joseph Madec (1983-2000) ont attiré chez eux les communautés « nouvelles », nées après le concile Vatican II. Les Moniales de Bethléem sont installées dans l’abbaye du Thoronet en 1978, les frères de Saint-Jean ont établi leur premier prieuré au sanctuaire de Cotignac en 1981, et la communauté Saint-Martin a reçu dans le diocèse son premier ministère paroissial en 1983. La même année, Joseph Madec rouvrait le séminaire diocésain de la Castille, devenu un lieu important de l’Église catholique du Var. « Il y a un système de parrainage, qui fait que des fidèles que je ne connais pas prient pour moi, témoigne un séminariste actuellement en étude. Et des milliers de gens se déplacent aux ordinations ! »

C’est pourtant sur ce magnifique domaine viticole, à l’est de Toulon, que s’est abattue en début de mois une bourrasque venue de Rome : la suspension des ordinations de quatre prêtres et six diacres prévues le 26 juin, sans explications ni date de report. « Les séminaristes n’ont aucun élément de réponse à apporter à leurs proches », déplore Benoît Moradei, recteur de la Castille depuis septembre 2021, précisant que les familles des ordinands, venant parfois de loin, avaient acheté leur billet de train ou d’avion pour l’événement. « C’est douloureux, mais ils le vivent avec courage », assure cet oratorien natif du Var, qui fait l’unanimité dans le diocèse.

Dieu seul sait ce qui se passe dans l’âme de ces jeunes hommes assistant silencieusement à la messe à la chapelle du séminaire, où leur professeur Christian Ferraro les exhorte : « Ce qui vous arrive est plus important que les cours de cette année ! Tout futur prêtre, configuré au Christ, doit faire l’expérience de la croix… » Un discours que tient aussi Benoît Moradei : « On n’entre pas au séminaire pour faire carrière. L’ordination est un don, pas un dû. Cette épreuve les unit à Jésus qui s’offre pour le monde. »

Deux visites extérieures en 2021

L’absence de communication de Rome – pour l’instant – oblige à rembobiner le fil pour éclairer cette sanction inédite. Recevant une forte population de candidats, cela fait quelques années que la Castille est soupçonnée d’accepter avec largesse les recalés du sacerdoce d’autres diocèses de France. Une accusation à laquelle Benoît Moradei répond : « Chaque parcours vocationnel est unique. Nous consultons les dossiers, et n’hésitons pas à exiger pour certains une période de probation de deux ou trois ans. Nous voulons donner à chacun la chance d’évoluer dans le temps. Il y en a qui mûrissent, d’autres qui partent. »

Il y a deux ans, un ancien recteur de la Castille adressait une lettre ouverte au conseil presbytéral du diocèse – représentant l’ensemble des prêtres auprès de l’évêque – à propos de la gestion du séminaire. À le lire, une place trop importante y serait donnée aux traditionalistes. « Un coup de barre à droite a été donné », accuse un prêtre partageant son avis.

« Si c’était un séminaire de fachos, cela ferait longtemps que je serais parti ! », répond du tac au tac un pensionnaire de la Castille, dont la sensibilité liturgique est aux antipodes de la messe en latin. Néanmoins, dans un contexte de bras de fer entre le pape François et le monde traditionaliste, la forte présence de séminaristes « tradis » à la Castille a poussé Rome à envoyer l’archevêque de Marseille, Jean-Marc Aveline, tout récemment créé cardinal par le pape, pour vérifier le sérieux du séminaire, en avril 2021. Dominique Rey a également invité Sylvain Bataille, évêque de Saint-Étienne, accompagné de Gilbert Narcisse, dominicain habitué à suivre les dérives communautaires, en mai 2021.

Ces deux visites furent, de l’avis général, très positives. « Aveline n’a pas émis d’objection, et le frère Narcisse a même parlé d’“excellence” concernant l’enseignement du séminaire », insiste un acteur du dossier.

« Parmi leurs remarques, ils préconisent de mener plus tôt l’évaluation psychologique des candidats au sacerdoce. Ils ont aussi noté que la moitié des effectifs à la Castille viennent de communautés religieuses, en nous demandant d’être attentifs aux équilibres », énumère à son tour Benoît Moradei, pointant cette spécificité du diocèse de Fréjus-Toulon : « Mgr Rey voulait rassembler dans un même lieu des jeunes de sensibilités différentes, pour leur apprendre à vivre et travailler ensemble. Le résultat est qu’il y a une vraie amitié entre séminaristes. »

Un autre prêtre remarque : « L’évêque a perçu que, de nos jours, beaucoup de jeunes aspirant à la prêtrise sont attirés par la vie communautaire, et que le sacerdoce diocésain leur paraît synonyme d’isolement. Cela explique le succès de la communauté Saint-Martin, que Mgr Rey essaie d’imiter. »

« Une conjonction de différentes affaires »

Que s’est-il donc passé entre les visites du printemps 2021 et la sanction de la Pentecôte 2022 ? « En septembre 2021, trois diacres sont arrivés pour être ordonnés prêtres en fin d’année, révèle un anonyme du diocèse. Personne ne savait d’où ils sortaient, sauf l’évêque, qui a imposé leur présence. » Deux venaient d’Italie, le troisième d’une communauté traditionaliste française. La direction du séminaire aurait été mise devant le fait accompli.

Selon les informations que nous avons pu recueillir, cette ultime « greffe » aurait été la goutte d’eau faisant déborder le bénitier. Pour Rome, ce manque de prudence est inquiétant, voire inacceptable. À l’heure où nous publions ces lignes, les clarifications romaines se font attendre, mais le maintien de l’évêque dans ses fonctions serait incertain. Quant aux dossiers des séminaristes, ils seraient passés au crible des dicastères romains.

Dans le même temps, l’épisode réveille des souvenirs aux vétérans du clergé diocésain, qui vident leur sac : « Cela fait des années qu’on voit des jeunes mecs se présenter à la Castille, y compris le jour des ordinations sacerdotales, disant avoir été ordonnés diacres par “Monseigneur” dans une chapelle privée », lâche l’un d’eux, révolté que plusieurs « bébés Rey », incardinés dans le diocèse de Fréjus-Toulon, exercent leur ministère à l’extérieur : « L’incardination est l’enracinement dans un territoire et son peuple. Ici, c’est devenu une bannière de complaisance ! » – référence aux pavillons que des armateurs peu scrupuleux vont chercher dans des pays moins exigeants sur les règles maritimes pour faire naviguer des bateaux qui seraient refusés ailleurs.

À travers le séminaire, c’est surtout la gouvernance de l’évêque qui est mise en cause. « Il y a une conjonction de différentes affaires qui, mises bout à bout, donnent une impression d’explosion, et qui motive la décision du Vatican », opine un autre briscard en col romain.

« Mgr Rey bénit tout, pourvu que ça marche »

Ancien inspecteur des impôts, ordonné prêtre en 1984 pour la communauté de l’Emmanuel, sans être passé par un séminaire, Dominique Rey est une personnalité atypique. Tous, même ses adversaires, reconnaissent son zèle missionnaire. Un zèle que beaucoup d’évêques français n’ont pas, faisant de lui l’icône de nombreux catholiques. « Les intuitions du Congrès mission sont nées ici », atteste le recteur de la Castille.

Ayant manifesté très tôt un intérêt pour le protestantisme évangélique, Dominique Rey organise des voyages d’études dans la mégaéglise Saddleback du pasteur Rick Warren, en Californie. Benoît Moradei s’y est rendu avec lui en 2018, et s’en est inspiré pour mettre en œuvre une implantation d’Église dans un quartier difficile d’Hyères.

Avec un couple de laïcs installé dans un presbytère, ils ont mis en place un micropatronage, une aide aux personnes en précarité, et ont créé un jardin partagé. « Sur ce socle-là, on propose le parcours Alpha aux gens intéressés ! », s’enthousiasme le prêtre.

L’intuition de l’évêque de Fréjus-Toulon, c’est de laisser s’épanouir la créativité apostolique. « Mgr Rey fait le pari de l’optimisme, quand, dans l’Église, on a du mal à distinguer la prudence et la méfiance », réfléchit un ancien bras droit du prélat, citant l’exemple d’un oratoire dédié à la Vierge Marie qui s’est construit à la Castille : « Les fidèles à l’origine du projet m’ont paru être des illuminés… Si cela n’avait tenu qu’à moi, cela n’aurait jamais vu le jour ! Mais il leur a fait confiance, et, au final, le résultat en valait la peine, et beaucoup de gens vont s’y recueillir. »

D’autres sont plus critiques. « Il bénit tout, pourvu que ça marche, que ça attire du monde », critique un prêtre, jugeant que l’évêque a cédé à la tentation pélagienne : obtenir le salut à la force du poignet. « Au début des années 2000, Mgr Rey a conduit le clergé du diocèse en visite à Rome. Nous avons été reçus par le cardinal Ratzinger, qui, interrogé sur le sanctuaire de Međugorje (lieu d’apparitions mariales controversées en Bosnie-Herzégovine, ndlr), l’a décrit comme une vaste entreprise de manipulation. Mais cela n’a pas empêché l’évêque de laisser des prêtres y conduire des pèlerinages… », s’indigne-t-il.

« Ce qui l’intéresse, c’est l’annonce de l’Évangile »

« Visionnaire » et « inspiré », Dominique Rey sait appeler à sa suite. Combien de bonnes volontés, hésitant à s’engager dans l’Église catholique, témoignent s’être entendu dire par l’évêque de Fréjus-Toulon, la main sur l’épaule : « J’ai un projet pour toi » ? Plusieurs séminaristes, prêtres et laïcs disent lui devoir leur vocation.

Mais, de l’aveu général, il n’est pas fort pour accompagner les initiatives sur la durée. « Mgr Rey donne carte blanche à tout ce qu’on lui propose », relate une mère de famille qui a travaillé plusieurs années avec lui. « Il a plein d’idées, il les lance… Si ça rebondit, il continue ; sinon, il laisse tomber. Sa ferveur l’empêche parfois de voir les limites humaines. »

D’un autre côté, sa sensibilité affective lui jouerait des tours. « Quand il découvre une personne, il va se passionner pour elle, l’emmener partout… Certains ont l’impression de vivre une histoire forte avec lui, puis se sentent lâchés du jour au lendemain », affirme un séminariste. À Toulon, certains pensent même que le départ de son ami Marc Aillet, ancien curé de Saint-Raphaël et vicaire général devenu en 2008 évêque de Bayonne, a privé Dominique Rey d’un homme qui savait le tempérer. « Il jouait le rôle de l’évêque auxiliaire qui nous manque », regrette-t-on.

« Ce n’est pas un manager. Il n’aime pas les conflits, et ne tranche pas », ajoute un bon connaisseur du diocèse, qui blâme en outre son goût pour les mondanités parisiennes, depuis le temps où il était curé dans la capitale, de 1995 à 2000. « Il a un petit côté clinquant », grince notre interlocuteur, tout en réfutant l’étiquette d’« évêque réac » que la presse lui a collé suite à l’invitation de Marion Maréchal aux universités d’été de l’Observatoire sociopolitique (OSP) du diocèse, en 2015.

« À Paris, cela a choqué, mais ici, c’était un non-évènement », balaie notre source, rappelant que Marine Le Pen a recueilli 55,1 % dans le Var au second tour de la dernière présidentielle. Si l’évêque a également rencontré Éric Zemmour pendant la campagne électorale, il préférerait les célébrités du monde de la culture, susceptibles de mettre leur notoriété au service de la mission, comme feu le comédien Michael Lonsdale.

Paradoxalement, cet aumônier de stars et de têtes couronnées d’Europe est isolé au sein de la Conférence des évêques de France (CEF). « Mgr Rey échappe aux caricatures, veut croire son directeur de cabinet Yves-Marie Sévillia. Il n’est d’aucun camp. Ce qui l’intéresse, c’est l’annonce de l’Évangile. »

Juxtaposition de communautés

Suivant cette logique, l’actuel évêque de Fréjus-Toulon a élargi l’ouverture de ses prédécesseurs aux communautés « nouvelles », qu’elles soient charismatiques ou traditionalistes, françaises ou étrangères, en particulier sud-américaines, dans un vaste appel à tous les talents. « Derrière les communautés accueillies, ce sont des églises qui sont ouvertes et des cœurs qui sont touchés », souligne Yves-Marie Sévillia.

Cet accueil large a ses partisans et ses contempteurs. Les uns avancent que se vit une réelle unité et harmonie, voyant des tradis s’initier à la louange, des fils de bonne famille découvrir le Secours catholique et des religieux d’Amérique latine visiter des Provençaux se trouvant dans la précarité. « Pour les Brésiliens, la pastorale sociale est une évidence ! », reconnaît Gilles Rebêche. Les autres affirment, au contraire, que la juxtaposition de communautés morcelle le diocèse, et accusent certains traditionalistes de faire « Église à part ».

« Mgr Rey a ouvert la porte aux tradis après avoir compris que le rite touchait les jeunes générations, alors que la liturgie, ce n’est pas son truc ! », s’étonne un prêtre qui le connaît bien. La communauté traditionaliste emblématique du diocèse est celle des Missionnaires de la miséricorde divine, qui portent l’habit des Pères blancs d’Afrique du Nord, et qui se consacrent à l’évangélisation des musulmans – avec un résultat « minime », reconnaissent-ils.

Bien que la nomination de l’abbé Jean-Raphaël Dubrule, actuel supérieur des Missionnaires, comme préfet des études du second cycle à la Castille ait fait grincer des dents, l’approche de la communauté étant loin de faire l’unanimité, leur intégration sur le terrain diocésain serait vécue sans heurts, au regard de celle d’autres clergés de même sensibilité ailleurs en France : ils concélèbrent autour de l’évêque lors de la messe chrismale et seraient ouverts aux deux formes du rite romain. D’autres tradis, y compris issus de la mouvance lefebvriste, se sont bien fondus dans la vie diocésaine.

Électrons libres et flux financiers

Toute autre est l’attitude de l’abbé Claude Barthe, ex-lefebvriste qui passe son temps à polémiquer contre Vatican II sans vivre sur place. Des tradis diocésains avaient pourtant dissuadé Dominique Rey de l’incardiner chez eux…

Autre cas : celui de dom Alcuin Reid, bénédictin australien arrivé dans le diocèse en 2009, et dont les abbés des abbayes du Barroux et de Fontgombault se seraient opposés à l’ordination sacerdotale.

Cet électron libre, inconnu en France mais très en cour auprès du cardinal Sarah et des réseaux traditionalistes américains, s’est finalement débrouillé pour être ordonné prêtre en avril 2022 par un mystérieux « prélat de haut rang », sans autre autorisation que celle donnée par son propre jugement. Une situation de nature à effrayer Rome, qui redoute plus que tout les ordinations schismatiques.

« La confiance de Mgr Rey a été trahie », dénonce Yves-Marie Sévillia, précisant qu’il a immédiatement suspendu le bénédictin rebelle. Pour d’autres, l’évêque du Var aurait, dans cette affaire, une fois de plus péché par excès d’optimisme, absence de recul et manque d’encadrement. « Tant de gens ont profité de lui, soupire un curé de Toulon. Des imposteurs ont financé leurs projets avec l’argent du diocèse… ».

Et ce même témoin de pointer du doigt les flux financiers nourris à l’intérieur du diocèse et des multiples structures qu’il héberge, entre appels aux dons, mécénat et placements bancaires. « Mgr Rey a la volonté d’offrir un cadre d’Église à ceux qui n’en ont pas, nuance son directeur de cabinet. C’est un pasteur, qui veut rassembler toutes ses brebis. »

Grand déballage

Hélas ! ce n’est pas la première fois que des brebis galeuses se glissent dans le troupeau. Originaire de l’Oise, Thierry de Roucy, fondateur de l’association Points-Cœur, a ainsi été accueilli dans le diocèse en 2008. Condamné trois ans plus tard par le tribunal ecclésiastique de Lyon pour « abus de pouvoir, abus sexuel et absolution du complice », il a été renvoyé de l’état clérical par Dominique Rey en 2018.

Son organisme, lui aussi reconnu canoniquement par l’évêque, a aussi été mis en cause. « Des enquêtes ont été lancées dès que Mgr Rey a eu connaissance de plaintes faisant état de dysfonctionnements graves », fait valoir Yves-Marie Sévillia, tandis que d’autres objectent que les signaux d’alarmes étaient bien présents au moment de l’incardination de Thierry de Roucy, mais auraient été simplement ignorés.

Dans l’ambiance de crise et le vent de panique qui agitent actuellement le diocèse, les langues se délient. Au fil de notre reportage, nous recevons même plusieurs appels spontanés de personnalités souhaitant s’exprimer, chacun y allant de son indiscrétion ou de sa dénonciation. Sont ainsi évoquées, pêle-mêle, des rumeurs concernant la vie privée de tel clerc qui emmènerait des jeunes de sa communauté au hammam, d’abus spirituels ayant pour certains débouché sur des violences sexuelles…

Ce grand déballage fleurant les règlements de compte personnels incite à la prudence. Un prochain scandale pourrait-il venir de la communauté d’origine suisse Eucharistein, très liée au diocèse et visée par une enquête canonique en février 2022, dont le fondateur, Nicolas Buttet (ordonné par Dominique Rey en 2003 sans avoir fait de séminaire) est de plus en plus critiqué ? Ou de ce prêtre ordonné lui aussi par l’évêque sans passer par un séminaire, incardiné à Fréjus-Toulon mais ayant exercé dans la Confédération helvétique ? Confiné dans une famille pendant la pandémie de Covid, il l’aurait mise sous son emprise… « Ces choses-là n’auraient jamais dû arriver », s’épanche un lanceur d’alerte, reprochant à l’évêque d’avoir tardé à agir contre ce prêtre, aujourd’hui rapatrié dans le Var et signalé au procureur.

Pour sa part, Magali Menut, membre du conseil épiscopal et coordinatrice de la cellule d’écoute des abus sexuels du diocèse, indique travailler en toute liberté vis-à-vis de l’évêque. « Cela fait 10 ans que je suis les diacres en vue du sacerdoce », précise celle qui dispense une formation à l’Éducation affective, relationnelle et sexuelle (EARS) aux séminaristes et à tous les agents pastoraux du diocèse. « J’ai averti à chaque fois que je constatais des dysfonctionnements. Un jour, Mgr Rey m’a envoyé un candidat au séminaire sur lequel il avait un doute. J’ai pu vérifier une personnalité trouble, au point que ce jeune homme m’a lancé : “Par votre faute, le diocèse a perdu un futur séminariste !” L’évêque m’a remercié d’avoir permis d’écarter cet individu », raconte-t-elle.

Un départ de l’évêque en vue ?

Dans ce contexte, il n’est pas exclu que l’accumulation d’affaires réelles comme supposées, ainsi que la répétition des alarmes concernant Fréjus-Toulon, ait fini par agacer au Vatican et déclenché une volonté de clarifier la situation, quitte à se montrer trop tranchant. En l’attente de décisions romaines – ou de révélations supplémentaires d’abus qui aggraverait le climat délétère dans le diocèse –, pour beaucoup, l’épiscopat de Dominique Rey se conjugue maintenant au passé. Mais peu osent encore imaginer ouvertement un avenir sans l’évêque.

« Son départ serait incompris ! Il a tellement donné pour le diocèse, ce serait injuste… », se répète un prêtre. « Je fais confiance au pape », assure un autre, persuadé que Rome pourrait le laisser en place, « avec un cahier des charges précis, comme conditionner toute ordination diocésaine à un passage de deux ou trois ans à la Castille ». Contrairement à plusieurs de ses confrères, ce dernier ecclésiastique ne pense pas que la nomination d’un évêque coadjuteur auprès de Mgr Rey apaiserait les choses. « C’est la pire option, deux coqs sur le même tas de fumier ! »

Une chose est en revanche certaine : quelle que soit l’issue de la crise de Fréjus-Toulon, la plupart des religieux et laïcs engagés du diocèse que nous avons rencontrés veulent préserver son dynamisme, qui tranche dans la Provence post-chrétienne. « À Nice, il n’y a pas grand-chose pour les familles », se plaint une paroissienne du diocèse voisin qui, pour se ressourcer avec les siens, se rend dans les sanctuaires du Var, comme Cotignac. « Il ne faudrait pas tout casser. Il y a besoin d’une aide, d’une rectification, pas d’une destruction », plaide un tradi toulonnais.

« La chute de l’orgueilleuse de Toulon » 

« Un vieux prêtre m’a dit : “Après la chute de l’orgueilleuse de Lyon et de l’orgueilleuse de Paris, c’est celle de l’orgueilleuse de Toulon ; les trois Églises qui croyaient tout savoir sur l’évangélisation” », confie Gilles Rebêche, qui, prêchant à la messe du soir en la cathédrale Notre-Dame-de-la-Seds, invite les fidèles à ne pas chercher un coupable en particulier. « L’Évangile rappelle que c’est le soin apporté aux autres qui atteste de notre attachement au Christ », dit-il de sa voix forte et retentissante, en proposant au diocèse un traitement spirituel de choc.

« Comme Achab, dans le Livre des Rois, qui supplie Dieu d’envoyer la pluie, prions plus, servons plus, persévérons plus, pour être trempés par la grâce. » À l’inverse des quelque 10 000 signataires de la « supplique » en ligne adressée au pape François pour lui demander de maintenir Dominique Rey dans ses fonctions, ni le diacre fréjusien ni Benoît Moradei ne semblent inquiets pour l’avenir. « L’élan missionnaire a été porté par Mgr Rey, mais surtout par une multitude de laïcs et de prêtres, justement parce que l’évêque n’était pas dirigiste. Il n’y a donc pas de raison que cela disparaisse. Je suis sûr qu’il survivra à l’épreuve. »

Se tenant éloigné du tumulte, un séminariste de la Castille médite, dans l’Évangile de Jean, ce passage où Marie Madeleine rencontre Jésus ressuscité au tombeau. « Tant pis si les autres disciples ne l’écoutent pas ou la mettent de côté, elle sait qu’il y a une réalité invisible encore imperceptible », murmure-t-il. La piété populaire enseigne que la première des apôtres aurait débarqué en Provence et achevé sa vie à la Sainte-Baume, devenant la patronne du diocèse de Fréjus, érigé au Ve siècle. « À sa suite, faisons confiance à ce qui va advenir et au jardinier qui se révèle être le Christ. » Ce matin-là, justement, dans le parc de la résidence épiscopale toulonnaise, plusieurs jardiniers sont à l’œuvre pour tailler la forêt de bambous qui envahissait le parking. Visiblement, il était temps.

Dans le diocèse de Fréjus-Toulon, vent de panique face à l’orage annoncé