Chronique géopolitique et diplomatie : Enjeux de la signature de Christiano Ronaldo dans un club de football saoudien 

Le portugais Cristiano Ronaldo, à 37 ans, vient de signer dans un club de football d’Arabie Saoudite, Le quintuple Ballon d’Or rejoint le club d’Al Nassr, entrainé par le français Rudi Garcia. Il signe un contrat de 200 millions d’euros par saison sur deux ans, ce qui, mensuellement, représente une fois et demie le salaire de Messi au PSG. Les commentateurs sportifs, qui semblent tout ignorer des dynamiques contemporaines, s’arrêtent à ce que représente la signature de CR7 pour lui-même et pour le football saoudien. Ils multiplient les interrogations sans intérêt : est-ce trop cher payé ? Est-ce une fin de carrière ? Va-t-il rebondir et retrouver sa place en sélection ? Un journaliste de « L’Equipe », le quotidien français du sport, décrit ainsi l’arrivée de CR7 en Arabie Saoudite : « Du grand monde au désert ». L’Arabie Saoudite reste dans l’imaginaire occidental un immense désert où se déroulent des courses de chameaux. Or, il s’agit de bien comprendre les enjeux d’une telle signature. La seule question qui mérite d’être posée est la suivante : qui est le grand gagnant de cette signature ?

Le grand gagnant de cette signature

Le grand gagnant de cette signature n’est ni CR7, qui ne réalise qu’une très bonne opération financière, ni le club d’Al Nassr, qui domine outrageusement football saoudien avec 27 titres obtenus dans toutes les compétitions et, en 1998, un doublé historique en Asie en remportant également la Coupe des Vainqueurs de Coupe d’Asie. On peut supposer qu’avec CR7, qui reste l’un des meilleurs joueurs du monde, le club d’Al-Nassr étoffera son palmarès. Le véritable vainqueur de cette signature est l’Arabie Saoudite, qui compte passer, avec la présence de CR7 dans son championnat, du désert au grand monde. L’Arabie Saoudite est un grand pays de 40 millions d’habitants, la première économie du monde arabe et le premier producteur mondial de pétrole, Le royaume possède un autre atout : il abrite les deux plus grands lieux saints de l’Islam : la Mecque avec la mosquée al-Harâm et, à Médine, la mosquée du Prophète. Pour avoir une visibilité planétaire, l’Arabie saoudite, à l’exemple du Qatar, s’appuie désormais sur une diplomatie par le sport.

Les limites d’une puissance économique et spirituelle

La puissance de l’Arabie Saoudite est à la fois économique et spirituelle. Economiquement, le Royaume tire des revenus financiers considérables de sa richesse en pétrole, dont elle est le premier pays exportateur mondial, et en gaz naturel. Son statut de gardienne des lieux saints de l’islam, lui confère un immense prestige dans l’ensemble du monde musulman. Elle rassemble autour d’elle la plupart des pays arabes à majorité sunnite dans une alliance contre l’Iran, dont l’islam est dominé par la variante chiite. Mais, la puissance économique et spirituelle ne suffit pas à donner de l’Arabie Saoudite une image positive.

Alors que la planète entière connaît le Qatar, avec des ambassadeurs comme Messi, Neymar et Mbappé, une notoriété accrue avec l’organisation réussie de la dernière Coupe du monde de football, l’Arabie saoudite véhicule encore une image négative. Pour améliorer son image sur la scène internationale, le royaume fait désormais appel à des sociétés de relations publiques qui lui ont conseillé de renforcer sa diplomatie par le sport. Ses moyens financiers lui permettent d’organiser des événements sportifs de prestige comme le Paris-Dakar ou un Grand Prix de Formule 1. Mais, s’il est pour l’Arabie saoudite un outil de soft power et un moyen de diversifier son économie, le sport n’est pas encore une « arme de séduction massive » et planétaire.

L’Arabie saoudite, dont le Prince Mohammed ben Salmane est devenu la figure à l’international, est le dernier émirat à ouvrir ses portes aux compétitions sportives mondiales. Le Royaume accueille la 45e édition du Paris-Dakar : quinze jours et 8 549 km de compétition pour traverser les dunes saoudiennes. Pour le Prince Khalid bin Sultan Al-Faisal, président de la Fédération saoudienne du sport automobile, le Paris-Dakar, qui est « la compétition la plus importante et la plus exigeante au monde » dans cette discipline, « reflète nos ambitions et s’inscrit dans la transformation du voyage du royaume ». Le pays vient d’obtenir l’organisation des Jeux Olympiques d’Hiver asiatique de 2029, à Neom, une ville futuriste qui sera créée dans le désert saoudien. Mohamed ben Salmane, qui imagine l’Arabie saoudite sans les ressources du pétrole et du gaz, étudie, dans le cadre de sa « Vision 2030 », toutes les possibilités de réduire sa dépendance au pétrole et au gaz, dont les réserves qui diminuent devraient être épuisées dans 50 ans, et d’accroître son influence. Les outils de la transformation de son économie sont le tourisme, le cinéma, les jeux vidéo, le sport, etc. La signature de CR7 s’inscrit dans cette stratégie de reconversion et d’influence.

Rattraper le retard pris sur le Qatar

Si on le compare à l’Arabie Saoudite, le Qatar, avec moins de 3 millions d’habitants, est un petit pays qui ne dispose pas des énormes réserves de pétrole des Emirats Arabes Unis. Mais, sa diplomatie active lui a permis de s’imposer sur la scène internationale et son rôle géopolitique est reconnu. Grand comme l’Ile-de-France (11 500 km2) avec un territoire dont la plus grande partie est un désert, le Qatar est, aujourd’hui, une puissance qui compte à l’échelle planétaire, son rôle géopolitique est incontestable. Acteur incontournable, son influence est grande dans une région du globe, malgré un voisinage qui lui a été longtemps hostile. Un soft power intelligent et réfléchi, dont l’axe majeur est, depuis plus de 20 ans, une diplomatie par le sport, lui a permis d’accroître sa visibilité et sa notoriété. L’organisation de la Coupe du monde de football en décembre 2022 est l’aboutissement d’un patient travail qui a fait du Qatar un acteur incontournable du sport. Le Qatar est ainsi parvenu à s’extraire de l’ombre dominante de ses voisins hostiles, l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis.

L’hostilité de ses voisins, réelle depuis les années 1990, s’est affirmée en 2017, lorsque l’Arabie saoudite, accusant le Qatar de soutenir l’Iran et de financer le terrorisme, est parvenue à imposer un embargo à son voisin qatari, suivi par ses alliés : les Émirats arabes unis, Bahreïn, le Yémen et l’Égypte. Le Qatar va faire de cet embargo une opportunité en développant une diplomatie active qui lui permettra d’accroître sa présente et son influence sur la scène internationale, notamment en Afrique. Aujourd’hui, les relations entre l’Arabie saoudite et le Qatar se sont apaisées. En 2021, l’Arabie saoudite et le Qatar ont signé un accord pour mettre fin à plus de trois ans de conflit diplomatique.

L’Arabie Saoudite, consciente de l’avance prise par le Qatar, va chercher à rattraper son retard en développant à son tour une diplomatie active par le sport. Pour le ministre des Sports saoudien, le Prince Abdelaziz ben Turki al-Fayçal, l’arrivée de CR7, l’un des meilleurs joueurs de tous les temps, quintuple « Ballon d’Or », quintuple vainqueur de la Ligue des champions, va mettre en lumière non seulement le football saoudien, mais aussi tout le pays. Dans un communiqué, CR7 a déclaré : « La vision d’Al-Nassr pour le football masculin et féminin est très inspirante, on a pu voir durant la Coupe du monde que l’Arabie saoudite était un pays avec beaucoup d’ambitions et de potentiel. » « Beaucoup d’ambitions et de potentiel » : CR7, appelé à devenir l’ambassadeur de l’Arabie Saoudite, ne parlait pas uniquement de football. Pour le président du Club de football al-Nassr ; Musalli Al-muammar, « « C’est l’Histoire qui est en train d’être écrite. Ce transfert va non seulement inspirer notre club pour qu’il décroche encore plus de succès mais il va inspirer notre championnat, notre pays et les futures générations de garçons et de filles pour donner le meilleur d’eux-mêmes ». On retiendra cette phrase : « C’est l’Histoire qui est en train d’être écrite. »

Sport universel, le football est un puissant vecteur diplomatique

Par la visibilité qu’il offre, le football est, à l’échelle internationale un levier de soft power important, ce que le Qatar, pionnier de la diplomatie sportive, a parfaitement compris et ce que l’Arabie Saoudite vient de comprendre. Au Proche et au Moyen Orient, le football est extrêmement populaire, les stades sont pleins. L’Arabie Saoudite est une terre de football et son championnat est d’un bon niveau. Encore discréditée par des affaires comme celle de Jamal Khashoggi ou l’intervention au Yémen, l’Arabie Saoudite cherche à corriger son image par les progrès qu’elle accomplit dans le sport sur les questions d’égalité des genres : droit pour les femmes d’aller au stade (2017), création d’un championnat féminin professionnel (2020). Désormais, l’Arabie Saoudite sait que enjeux géopolitiques dépassent ceux du sport, lorsqu’elle investit dans le football. CR7 est plus qu’un footballeur, il fait partie de la « corporate identity » d’une « entreprise » appelée Arabie Saoudite, avec, à la clef, une meilleure acceptation du pays dans le système des relations internationales. L’« identity corporate » englobe toutes les mesures stratégiques dans le domaine de la communication visant à améliorer l’image de l’Arabie Saoudite. Avec CR7, le football saoudien bénéficiera d’une importante couverture médiatique, dont profitera le Royaume. Deux signes témoignent du réchauffement des relations entre l’Arabie Saoudite et le Qatar depuis 2021, après une crise qui avait duré quatre ans : la signature du gardien de but du PSG, Navas, dans le club d’Al-Nassr ; la tournée de deux jours du PSG en Arabie Saoudite. Le mercredi 18 janvier, le Paris Saint-Germain s’est envolé pour le Qatar puis l’Arabie Saoudite, afin d’affronter, le jeudi, lors d’un match amical, une sélection composée des meilleurs joueurs des formations saoudiennes d’Al-Nassr, nouveau club de la star portugaise Cristiano Ronaldo. Le microcosme des journalistes sportifs s’interroge sur l’intérêt d’un tel déplacement pour le PSG à quelques jours d’un match de Champion Ligue contre la Bayern. Ce jeudi 18 janvier, la planète footballistique aura les yeux rivés vers l’Arabie saoudite jeudi à 18 heures. Le Paris Saint-Germain de Lionel Messi et Kilian Mbappé va affronter une équipe composée de deux clubs saoudiens : Al-Nassr et Al-Hilal, une entente emmenée par Cristiano Ronaldo. Ce match de gala, sans véritable intérêt sportif, représente en réalité un formidable enjeu géopolitique : rayonnement plus grand du PSG et du Qatar, visibilité accrue de l’Arabie saoudite sur la scène internationale. Le Qatar et l’Arabie Saoudite s’appuient sur deux clubs de football à la fortune colossale pour rayonner dans le monde.

L’Arabie Saoudite et la diplomatie par le football

Diffusée sur France 2, le3 janvier 2023, à 20 h 30, une heure de grande écoute, la célèbre émission « Tout le Sport » est entièrement consacrée à l’Arabie Saoudite : 1ère partie, le Dakar. Mais, qui s’intéresse au Dakar dans le désert saoudien ?  La 2ème partie de l’émission est consacrée au transfert historique d’un des meilleurs joueurs du monde, Cristiano Ronaldo, une légende devenue par ce transfert le roi du monde arabe : plus de 30 000 supporters dans le stade pour accueillir CR7, 2 millions de maillots vendus en deux jours. Le rachat, le 7 octobre 2021, après 18 mois de discussions difficiles, du club anglais de Newcastle par le « Public Investment Fund » (PIF), le fonds souverain du Royaume, est passé inaperçu. L’arrivée de CR7 au Club saoudien d’Al-Nassr braque les projecteurs sur l’Arabie Saoudite. Après le Qatar avec le PSG et Abou Dhabi avec Manchester City, l’Arabie Saoudite rejoint la liste des émirats du Golfe qui utilisent le football comme investissement financier et vecteur géopolitique. Les émirats du Golfe ont les moyens financiers de recruter les meilleurs joueurs du monde. Ils peuvent décider de l’avenir du football mondial en organisant un super championnat des plus grands clubs de la planète. En 2021, la création d’une « Super Ligue » fermée entre les clubs les plus riches du football européen a été envisagée, afin de concurrencer la « Ligue des champions » organisée par l’UEFA. Ce projet avorté pourrait donner des idées aux riches pays du Golfe.

L’Arabie Saoudite, le football et l’Afrique

En dehors de l’organisation d’épreuves sportives de prestige sur son sol, l’Arabie Saoudite, comme le fait le Qatar en France avec le Paris-Saint-Germain, entend mettre en œuvre sa diplomatie par le sport en Afrique en étant au plus près des populations et des jeunes. La Côte d’Ivoire, fer de lance de l’économie de l’Afrique de l’Ouest, constitue l’un des pays-cibles de la diplomatie saoudienne par le football. Les Saoudiens ont choisi d’accompagner dans ce pays le Projet « Sport + », porté par un ancien footballeur international et un ancien conseiller, Gilles de La Salle. Il s’agit de développer un centre formation pour les jeunes footballeurs ivoiriens. Ce centre existe déjà, mais il fonctionne de façon précaire : un terrain lui est prêté, ce qui rend impossible d’envisager l’installation d’une structure pérenne. Aujourd’hui, le Projet « Sport + » a reçu l’aval des autorités ivoiriennes. La société d’Etat, propriétaire du terrain, accepte de louer le terrain à Sport + ; elle propose même d’être l’un des sponsors du projet. L’Arabie Saoudite, assurée de la pérennité du projet, compte apporter les fonds nécessaires pour la construction d’un centre de détection et d’entraînement des jeunes footballeurs.

Pour Gilles de La Salle, le Directeur de Sport +, il ne s’agit pas simplement de faciliter l’éclosion des futurs footballeurs ivoiriens de haut niveau. La pratique du sport se combine avec des études et l’importance accordée à des questions de santé publique, de diététique, d’hygiène de vie et de respect des règles. La scolarisation et la socialisation sont aussi importantes que la pratique du sport. Gilles de La Salle tient à préciser : « l’interaction entre le sport et les domaines psychosociaux conduit à modifier chez l’individu ou dans un groupe, les comportements sociaux et sociétaux. Le sport est à la fois une activité individuelle, qui conduit au dépassement de soi, et une activité collective, coopérative, qui conduit à la solidarité du groupe. Toute situation de jeu suppose une performance individuelle et le soutien de l’équipe, ce qui correspond aux situations de la vie professionnelle ou sociale. Sport + est, au sens large, une école de vie, ce n’est pas simplement un centre de formation d’une future élite sportive. »

Le soft power que constitue le sport passe par le financement des centres de formation comme Sport +, ce qui permet à un pays comme l’Arabie Saoudite d’être au plus près des jeunes générations qui auront à bâtir l’Afrique de demain. La diplomatie était, jusqu’au XXè siècle, celle des armes, elle est devenue, avec la mondialisation, la diplomatie économique, elle devient de plus en plus, pour des pays qui veulent reconstruire leur image, la diplomatie par le sport.

Christian GAMBOTTI – Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : [email protected]

Chronique géopolitique et diplomatie : Enjeux de la signature de Christiano Ronaldo dans un club de football saoudien