Acteurs, procédures, lexique : tout comprendre de la justice dans l’Église

Lexique et « faux amis »

Les tribunaux de l’Église : Les tribunaux de l’Église sont appelés « tribunaux ecclésiastiques » ou « Officialités ». 12 sont « interdiocésains » et 2 diocésains, en Alsace et Moselle, pour 93 diocèses.

Dans les locaux parisiens, par exemple, deux à trois prêtres sont présents aux heures de bureau. Licenciés ou docteurs en droit canonique, ils assurent des missions de juges et parfois d’avocats, soutenus dans leur tâche par quelques secrétaires salariés et par une cinquantaine de clercs ou de laïcs qui répondent aux besoins selon les dossiers en tant qu’avocats, juges, notaires ou défenseurs du lien (une fonction spécifique pour la procédure de nullités de mariage et de nullités d’ordination).

À Auxerre, c’est une petite pièce qui sert « d’officialité » avec seulement un avocat sur place (qui est aussi le secrétaire de l’évêque), le diocèse relevant du tribunal « interdiocésain » de Dijon.

Il y a des tribunaux de première instance, de deuxième instance pour les appels, puis la Rote romaine et enfin le Tribunal suprême de la signature apostolique. En pratique en France, chaque officialité est le tribunal de première instance de son secteur géographique et une officialité d’une autre région sera son tribunal de deuxième instance.

Un  tribunal : La nomination d’un tribunal dans l’Église n’implique pas l’identification d’un lieu où se fera une audition complète des parties en présence lors d’un procès, il peut être le nom donné au groupe de juges nommés pour une procédure. Les juges d’un tribunal convoqué pour mener un procès peuvent être rattachés à différentes officialités.

Un procès : Un procès n’est pas un rendez-vous à une heure dite durant laquelle les forces en présence se retrouvent, se questionnent et argumentent mais le nom d’une procédure. En cela, les procès dans l’Église se rapprochent plus d’une procédure administrative dans la justice étatique que d’un procès au tribunal pénal. La confrontation des points de vue ne se vit pas dans un prétoire ou une salle d’audience, mais à partir des auditions et surtout des mémoires écrits par les avocats ecclésiastiques.

Pour beaucoup qui ont vécu un « procès » dans l’Église (que ce soit dans le cadre d’une nullité de mariage ou d’un procès pénal), cela s’apparente à un procès « sur papier », en cela la procédure est très liée à celle héritée du droit romain. Les juges se retrouvent bien pour rendre leur sentence (le jugement), mais ce temps se déroule sans la présence des avocats et de leur client. La sentence est transmise par les avocats lors des constats de nullité de mariage, par l’ordinaire du lieu (l’évêque ou le supérieur religieux) dans les causes de nature pénale.

Une audition : L’avocat ecclésiastique peut toujours être présent, soulignent les canonistes. Dans les faits, la quinzaine de fidèles impliqués dans une procédure canonique (matrimoniale ou pénale) interrogés par La Vie l’ont dit sans détour : aucun de leurs avocats n’a indiqué cette possibilité, tous leur précisant que l’audition devant le juge se faisait sans eux. « Ce qui n’est pas sans poser question », précise un canoniste.

Les acteurs de la justice de l’Église

Le président du tribunal : Le président du tribunal est habituellement un « official », mais en fonction des lieux, il peut être « vice-official » ou un simple juge clerc. Dans les deux premiers cas, il est nommé collégialement par les évêques concernés qui lui déléguent alors leur pouvoir judiciaire, il porte donc aussi le nom de vicaire judiciaire.

Un juge : Tout prêtre ou laïc, licencié ou docteur en droit canonique, peut être nommé juge dans une officialité. Certains seront avocat dans une officialité et juge dans une autre, faute de moyens humains suffisants. Les procès pénaux dans lesquels un clerc est mis en cause ne peuvent être instruits que par des juges clercs.

Un avocat ecclésiastique : Un avocat ecclésiastique est une personne diplômée qui accompagne une personne lors d’une procédure juridique.Certains le sont uniquement dans le cadre d’une procédure (appelée « cause ») de nullité de mariage. Ils peuvent alors avoir une formation rapide dans une faculté de droit canonique et ne pas avoir une licence ou un doctorat en droit canonique tout en étant qualifiés. D’autres, licenciés ou docteurs en droit canonique, sont habilités à intervenir dans des procédures pénales (le grade de docteur n’étant demandé que pour les « délits les plus graves » jugés devant la Congrégation pour la doctrine de la foi). « Et encore, on peut en demander la dispense », souligne l’enseignant-chercheur Bruno Gonçalves.

Pour aller plus loin : découvrez le témoignage de Nicolas Tafoiry, avocat ecclésiastique

Jusqu’en 2019, seuls un clerc pouvait être avocat ecclésiastique d’un clerc mis en cause. Depuis, une réforme du pape a ouvert la possibilité aux avocats laïcs. Ces derniers peuvent aussi accompagner des tierces parties laïques qui demandent des réparations dans le cadre d’un procès mettant en cause un clerc.

Le promoteur de justice : Le promoteur de justice a une fonction qui peut être rapprochée de celle de procureur dans la juridiction étatique. C’est-à-dire que lors d’un procès pénal, il a pour mission de défendre le bien public et propose une décision au juge au nom de ce bien public. Pour autant, contrairement au procureur, il ne peut habituellement pas décider seul de l’ouverture d’un procès, seul l’évêque peut le faire.

Le défenseur du lien : Le défenseur du lien intervient dans les causes de nullité ou de dissolution de mariage et dans les causes de nullité de l’ordination. Il est celui qui argumentera au nom de la validité du sacrement : son rôle est de souligner les éléments présents constituant le sacrement.

Un notaire : Le notaire assure la régularité en la forme des actes de procédure. Il est présent normalement à toutes les auditions. Son poste est à rapprocher de celui de greffier dans un tribunal étatique.

Trois procédures principales

La cause de nullité de mariage : Dans les milieux catholiques, on connait le tribunal de l’Église, avec l’officialité, principalement pour les nullités de mariage. Cette procédure interroge la  validité du mariage (incapacité à assumer les obligations essentielles, défaut grave de discernement pour immaturité…) : sans chercher à faire porter à l’un ou l’autre des conjoints la responsabilité de l’échec du couple, elle veut vérifier l’existence effective des conditions requises pour que le mariage soit valide. Depuis la fin des années 1990, ce domaine s’est largement transformé, d’abord sous l’effet de l’ouverture des études de droit canonique matrimonial aux laïcs et la possibilité pour eux d’intervenir comme avocats, juges ou défenseurs du lien. C’est ensuite une réforme, publiée dans le motu proprio Mitis Iudex Dominus Iesus en 2015, qui a simplifié la procédure.

Obligation d’une validation successive par deux tribunaux abolie, extension des compétences des officialités pour recevoir des informations sur des situations, création de procédures plus brèves pour des cas précis : « Le déroulement même a été clarifié », note un avocat ecclésiastique. Pas question pour autant d’accorder la  nullité de mariage à tous : « Un afflux a pu être observé face à ce coup de projecteur sur les nullités de mariage, mais les chefs de nullité précis sont restés les mêmes, avec l’obligation de les motiver scrupuleusement », ajoute-t-il.

La réforme de 2015 a aussi imposé à chaque diocèse d’avoir un service pour recevoir les demandes : certains ont misé sur leurs prêtres en paroisse, renforçant leur formation et les invitant à conseiller ce recours dans le cadre de l’accompagnement spirituel le cas échéant ; d’autres ont confié cette mission à leur service de préparation au mariage. À Lyon, une permanence hebdomadaire d’avocats ecclésiastiques renseigne les curieux. L’augmentation des divorces a enfin entraîné une hausse des demandes ces 20 dernières années.

La procédure pénale administrative et judiciaire : Face aux témoignages mettant en cause un clerc ou un laïc missionné dans l’Église pour abus ou violences sexuelles, l’évêque doit informer le procureur de la République. Ensuite, ou en parallèle, il charge l’officialité locale d’une enquête préliminaire.

À partir des retours de la justice étatique, s’il y en a, et de l’enquêteur nommé par l’évêque, celui-ci choisira d’ouvrir un procès ou non. Sauf quand cela touche aux délits les plus graves perpétrés par un clerc, c’est-à-dire toute atteinte au sacrement comme le secret de confession ou l’eucharistie ainsi que les violences sexuelles sur mineurs. Dans cette circonstance, le rapport de l’enquête préliminaire est directement envoyé à la Congrégation pour la doctrine de la foi, par l’intermédiaire de l’évêque, s’il y a matière. Celle-ci statuera alors sur la procédure à enclencher, en suivant ou non les préconisations de l’expéditeur.

Pour aller plus loin : qu’est-ce qu’un procès canonique ?

Entre une procédure pénale administrative et une procédure pénale judiciaire, beaucoup d’éléments diffèrent. « Dans la pratique, le choix se porte sur la première quand les témoins et le clerc mis en cause convergent dans leurs témoignages, c’est-à-dire que l’accusé ne nie pas. La question que doit trancher la procédure devient : quelle sanction l’autorité de ce clerc doit-elle adopter à l’égard de celui-ci ? La seconde procédure, judiciaire, est choisie quand il y a litige et que la matérialité des faits reste à établir. Il faut alors un tribunal composé de juges pour trancher face aux points de vue divergents », souligne l’enseignant à la Faculté de droit canonique de Paris, Bruno Gonçalves.

L’official de Paris, Emmanuel Boudet, ajoute : « La question juridique n’est effectivement pas la même. Dans une procédure administrative, on ne juge pas les faits, on cherche à savoir que faire de la personne mise en cause. Dans la procédure judiciaire, on cherche à établir une culpabilité ou une innocence. On est alors dans une forme contradictoire d’approche juridique, inexistante dans tout autre procédure de justice ecclésiale. »

La voie administrative est « purement épiscopale », selon l’expression d’un canoniste interrogé : l’évêque prend en main le dossier que lui constitue l’enquêteur, il peut prendre conseil auprès d’un assesseur (un canoniste) et décide, tandis que le clerc mis en cause doit de son côté s’adjoindre un avocat ecclésiastique prêtre.

Pour aller plus loin : comment les abus ont fait dérailler la justice de l’Église

« Le procès pénal judiciaire dans l’Église, complète Bruno Gonçalves, se déroule entre deux parties à savoir le clerc mis en cause et le promoteur de justice. Les victimes peuvent être des témoins, et/ou des tierces parties (on dirait des parties civiles en droit français) demandant des réparations pour les dommages causés. » Être tierce-partie n’est possible que si la procédure utilisée est judiciaire.

Le procès pénal judiciaire réclame la désignation d’un tribunal composé d’un président, qui assure souvent l’instruction de la cause, et de deux juges assistants. C’est parfois Rome qui donne les noms, c’est souvent l’évêque du lieu qui les sélectionne. La « cour » ainsi constituée recueille les « mémoires » des avocats des parties (accusé, tierces parties s’estimant victimes) et juge de la sanction à donner, et des possibles réparations à octroyer.

Pour aller plus loin : comment une victime s’est battue pour obtenir réparation lors d’un procès canonique contre son agresseur

Avec la création d’un Tribunal pénal national, les évêques de France devront se dessaisir systématiquement de toute procédure pénale judiciaire qui sera alors entre les mains de l’Official national, selon Joseph de Metz-Noblat, évêque de Langres en charge de sa mise en œuvre.

Pour aller plus loin : tout sur le nouveau Tribunal pénal national

Le secret de la procédure : Les avocats ont l’autorisation de ne pas dévoiler à leur client certains retours des juges ; voire, dans certaines procédures, ils ont l’obligation de ne pas leur communiquer l’existence d’autres témoignages. Pour certains qui ont demandé une procédure en nullité de mariage, ou dont le témoignage a entraîné l’ouverture d’un procès pénal contre leur agresseur, cela peut être difficile à vivre. Jusqu’à récemment, les dépôts de témoignage dans ce dernier cas de figure pouvaient parfois commencer par un serment de secret, y compris devant la police.

Dans l’approche du droit canonique, « ce rapport au secret a du sens car il a pour objectif de protéger l’ensemble de la procédure et d’éviter que les personnes ne s’influencent les unes les autres, explique Ludovic Danto, doyen de la Faculté de droit canonique de Paris. Pour autant, dans le contexte actuel, cela n’a peut-être plus autant de sens qu’avant car cela n’est plus compris de nos contemporains. Il convient donc de ne faire usage d’une telle possibilité que de manière très modérée, voire exceptionnelle ».

Une justice pastorale

Le conseil aux « ordinaires » (évêques et supérieurs religieux) : Les enseignants des facultés de droit canonique et les membres des officialités conseillent juridiquement des membres des diocèses qui leur posent une question. Évêques et chanceliers ont recours à leur expertise quant aux règles qui régissent l’organisation de l’Église (les grands ordres religieux masculins ont leur propre juridiction). « Cela va d’une sollicitation pour le bon formulaire à un détail de droit concernant un bien immobilier en passant par des questions juridiques face à un abus », détaille un canoniste.

Une approche pastorale : « La justice pénale dans l’Église n’est pas seulement là pour appliquer une sanction à qui a commis un délit. Elle souhaite aussi favoriser une plus grande communion dans l’Église et entre les fidèles. Ainsi, celui qui a été outragé sera reconnu comme victime et pris en compte comme tel, explique Bruno Gonçalves. Pour le délinquant reconnu coupable, la peine est aussi un chemin de rédemption et non seulement une sanction :  “j’assume ma faute et un chemin vers le pardon est possible.” La peine rétablit donc également la dignité des personnes. »

La justice restaurative : Ce concept, élaboré aux États-Unis puis au Canada, part d’un constat : tout en restant indispensable, la justice pénale animée par la volonté de punir le coupable ne suffit pas. L’objectif de la justice restaurative ou  justice réparatrice (deux expressions francophones, avec « justice restauratrice », moins utilisée, pour traduire de l’anglais « restorative justice ») est de « réintégrer la victime, le coupable et la communauté dans un processus élargi de réparation », selon les mots du pasteur mennonite américain Howard Zehr, précurseur du concept dans les années 1970.

Face à la crise des abus dans l’Église, de nombreux pays se sont appuyés sur ce processus pour rendre justice aux victimes dont les dossiers sont prescrits ou dont les agresseurs sont décédés. C’est le chemin qu’a aussi choisi l’Église de France à travers la création d’une Instance indépendante de reconnaissance et de réparation.

Pour aller plus loin :
– Qu’est-ce que la justice restaurative : notre analyse

– Retrouvez l’entretien de Marie Derain, présidente de l’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation, qui va mettre en œuvre la justice réparatrice dans l’Église de France

Le droit canonique, un droit spécifique

Une histoire : La justice de l’Église, c’est d’abord un Code de droit canonique à faire appliquer. Son histoire éclaire la manière dont il est vécu aujourd’hui comme le souligne Ludovic Danto, doyen de la Faculté de droit canonique de l’Institut catholique de Paris. « Si on a un droit pénal dans ce Code, c’est grâce à Paul VI qui l’a défendu alors qu’à cette époque, des fidèles aux évêques, on n’en avait ni connaissance ni cure. On a longtemps pensé qu’il fallait oublier les sanctions pour être une Église de la charité et de la miséricorde », rappelle-t-il.

Pour aller plus loin : Comment le droit canonique est-il né ? Retour sur une longue histoire avec Ludovic Danto

Un site pour le découvrir : droitcanonique.fr
C’est un peu le Légifrance du droit canonique (un site internet mis en place par l’État pour rendre accessible le droit français). Droitcanonique.fr a été créé par les enseignants de la Faculté de droit canonique de Paris après deux constats : le Code de droit canonique évolue régulièrement et l’ouvrage n’est pas mis à jour constamment, sans compter son coût qui empêche de le changer trop souvent ; les règles et lois de l’Église sont largement méconnues notamment à cause de leur accès difficile. Dans une approche pédagogique et ergonomique (et gratuite), il comprend les textes fondamentaux et dernières évolutions législatives ainsi que l’accès à des revues canoniques et fiches pratiques sur certaines questions rencontrées dans les paroisses et communautés. Une traduction anglaise et néerlandaise est en cours.

Les facultés de droit canonique en France : Quatre lieux accueillent des étudiants pour faire un certificat universitaire en droit canonique (CUDC), un cursus court, ou pour suivre une licence canonique (cursus long) : la Faculté de droit canonique à l’Institut catholique de Paris, celle de l’Institut catholique de Toulouse, le Studium de Lyon rattaché à cette dernière, l’Institut de droit canonique de la Faculté de théologie catholique de Strasbourg. Différents programmes sont possibles, à distance ou en étalant les matières sur plusieurs années.

Pour aller plus loin : le témoignage de Nathalie Deleuze, étudiante en droit canonique à Paris

La Faculté de droit canonique de Paris cherche à ouvrir l’accès à ses cours avec un nouveau certificat à destination des avocats, notaires, experts-comptables et commissaires aux comptes afin qu’ils soient formés à articuler droit étatique et droit canonique au bénéfice des institutions ecclésiales qui ont recours à eux. Elle cherche aussi à permettre à plus de femmes de s’inscrire en licence canonique : le doyen Ludovic Danto veut ainsi proposer 30 bourses sur trois promotions d’étudiants pour celles qui voudraient passer le pas mais hésitent pour des raisons financières.
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