Le Grand Ayatollah Ali Al-Sistani n’a rien dit en public sur les troubles qui ont clat dans les rues d’Irak. Mais les responsables du gouvernement et les initis chiites affirment que seule la position de Sistani en coulisses a permis d’viter un effondrement.

L’histoire de la semaine la plus sanglante qu’ait connue l’Irak depuis prs de trois ans montre les limites de la politique traditionnelle dans un pays o le pouvoir de dclencher et d’arrter les guerres appartient aux religieux – dont beaucoup ont des liens ambigus avec l’Iran, la thocratie chiite voisine.

Les Irakiens qui sont descendus dans la rue ont accus Thran d’avoir attis la violence, qui a commenc aprs qu’un religieux bas en Iran a dnonc le politicien le plus populaire d’Irak, Moqtada al-Sadr, et a demand ses propres partisans – y compris Sadr lui-mme – de demander conseil au Guide suprme d’Iran.

Les partisans de Sadr ont tent de prendre d’assaut les btiments gouvernementaux. la tombe de la nuit, ils traversaient Bagdad dans des camionnettes en brandissant des mitrailleuses et des bazookas.

Des hommes arms que l’on croit tre des membres de la milice pro-iranienne ont ouvert le feu sur les manifestants sadristes qui jetaient des pierres. Au moins 30 personnes ont t tues.

Et puis, en l’espace de 24 heures, tout s’est termin aussi soudainement que cela avait commenc. Sadr est revenu sur les ondes et a appel au calme. Ses partisans arms et ses fidles non arms ont commenc quitter les rues, l’arme a lev le couvre-feu de la nuit et un calme fragile s’est install dans la capitale.

Pour comprendre la fois comment les troubles ont clat et comment ils ont t rprims, Reuters a parl avec prs de 20 responsables du gouvernement irakien, du mouvement de Sadr et de factions chiites rivales considres comme pro-iraniennes. La plupart ont parl sous couvert d’anonymat.

Ces entretiens ont tous mis en vidence une intervention dcisive en coulisses de Sistani, qui n’a jamais exerc de fonction politique officielle en Irak mais qui prside en tant qu’rudit le plus influent dans son centre religieux chiite, Najaf.

Selon les responsables, le bureau de Sistani s’est assur que Sadr comprenait que si Sadr ne mettait pas fin la violence de ses partisans, Sistani dnoncerait les troubles.

“Sistani a envoy un message Sadr, disant que s’il ne mettait pas fin la violence, alors Sistani serait oblig de publier une dclaration appelant l’arrt des combats – cela aurait fait paratre Sadr faible, et comme s’il avait caus l’effusion de sang en Irak”, a dclar un fonctionnaire du gouvernement irakien.

Trois personnalits chiites bases Najaf et proches de Sistani n’ont pas voulu confirmer que le bureau de Sistani avait envoy un message explicite Sadr. Mais ils ont dclar qu’il aurait t clair pour Sadr que Sistani s’exprimerait bientt si Sadr ne mettait pas fin aux troubles.

Un officiel align sur l’Iran dans la rgion a dclar que sans le bureau de Sistani, “Moqtada al-Sadr n’aurait pas tenu sa confrence de presse” qui a mis fin aux combats.

TRAHISON

L’intervention de Sistani a peut-tre permis d’viter une plus grande effusion de sang pour le moment. Mais elle ne rsout pas le problme du maintien du calme dans un pays o tant de pouvoir rside en dehors du systme politique dans le clerg chiite, y compris parmi les religieux ayant des liens troits avec l’Iran.

Sistani, qui est intervenu de manire dcisive des moments cruciaux de l’histoire de l’Irak depuis l’invasion amricaine qui a renvers Saddam Hussein, n’a pas de successeur vident. Malgr son ge, on sait peu de choses publiquement sur son tat de sant.

Entre-temps, bon nombre des personnalits chiites les plus influentes – y compris Sadr lui-mme diffrents moments de sa carrire – ont tudi, vcu et travaill en Iran, une thocratie qui ne fait aucune tentative pour sparer l’influence du clerg du pouvoir de l’tat.

Les violences de la semaine dernire ont commenc aprs que l’ayatollah Kadhim al-Haeri, un religieux chiite de haut rang n en Irak et vivant en Iran depuis des dcennies, ait annonc qu’il se retirait de la vie publique et fermait son bureau en raison de son ge avanc. Une telle dcision est pratiquement inconnue dans les 1300 ans d’histoire de l’islam chiite, o les principaux religieux sont gnralement vnrs jusqu’ leur mort.

Haeri avait t oint comme conseiller spirituel du mouvement de Sadr par le pre de ce dernier, lui-mme un religieux vnr qui a t assassin par le rgime de Saddam en 1999. En annonant sa propre dmission, Haeri a dnonc Sadr pour avoir provoqu des dissensions entre les chiites, et a appel ses propres partisans demander des conseils sur les questions religieuses l’Ayatollah Ali Khamenei – le religieux qui dirige galement l’tat iranien.

Sadr a clairement indiqu en public qu’il blmait des personnes extrieures – implicitement Thran – pour l’intervention de Haeri : “Je ne crois pas qu’il ait fait cela de son plein gr”, a tweet Sadr.

Un haut membre du mouvement de Sadr bas Bagdad a dclar que Sadr tait furieux. “Haeri tait le guide spirituel de Sadr. Sadr l’a peru comme une trahison visant le priver de sa lgitimit religieuse en tant que leader chiite, un moment o il combat les groupes soutenus par l’Iran pour le pouvoir.”

Les responsables sadristes de Najaf ont dclar que cette dcision signifiait que Sadr devait choisir entre obir son guide spirituel Haeri et suivre Khamenei, ou le rejeter et potentiellement contrarier les figures plus anciennes de son mouvement qui taient proches du pre de Sadr.

Au lieu de cela, Sadr a annonc son propre retrait de la politique, un geste qui a pouss ses partisans descendre dans la rue.

Le gouvernement iranien et le bureau de Sadr n’ont pas immdiatement rpondu aux demandes de commentaires pour cette histoire. Le bureau de Haeri n’a pas pu tre joint immdiatement.

Les spcialistes de l’islam chiite affirment que la dcision de Haeri de fermer son propre bureau et de demander ses partisans de soutenir le leader iranien aurait certainement sembl suspecte dans un contexte irakien, o les suggestions d’ingrence iranienne sont explosives.

“Il y a de fortes raisons de croire que cela a t influenc par la pression iranienne – mais n’oublions pas que Haeri a galement eu des dsaccords avec Sadr par le pass”, a dclar Marsin Alshammary, charge de recherche la Harvard Kennedy School.

“Il dirige les fidles vers Khamenei alors qu’il n’y a aucune ncessit (religieuse) de le faire. Et il semble peu probable qu’une personne dans sa position ferme ses bureaux qui sont probablement assez lucratifs”, a-t-elle ajout.

LA VIOLENCE EST L’UN DES OUTILS

Alors que les fusillades faisaient rage dans le centre de Bagdad, Sadr est rest silencieux pendant prs de 24 heures.

Pendant ce temps, des personnalits religieuses chiites de tout l’Irak ont tent de convaincre Sadr de mettre fin la violence. Ils ont t rejoints par des personnalits chiites en Iran et au Liban, selon des responsables de ces pays, qui ont dclar que la pression sur Sadr tait canalise par le bureau de Sistani Najaf.

“Les Iraniens n’interviennent pas directement. Ils sont piqus par le contrecoup de leur influence en Irak et tentent d’influencer les vnements distance”, a dclar un responsable du gouvernement irakien.

Bagdad tait calme vendredi, mais l’impasse demeure.

Sadr insiste sur de nouvelles lections, tandis que certains groupes soutenus par l’Iran veulent aller de l’avant pour former un gouvernement. Des affrontements ont clat en fin de semaine dans le sud de l’Irak, riche en ptrole.

Le gouvernement est rest largement silencieux. Le Premier ministre Mustafa al-Kadhimi a dclar mardi qu’il dmissionnerait si les violences se poursuivaient, dans une dclaration faite quelques heures aprs que les combats aient dj cess.

“O est le premier ministre, le commandant en chef, dans tout cela ?” a dclar Renad Mansour, du groupe de rflexion Chatham House, bas Londres. Davantage de violence tait possible, selon Mansour.

“L’objectif principal de Sadr est de devenir le principal acteur chiite en Irak, et il veut donc s’en prendre ses adversaires chiites. En Irak, la violence est l’un des outils utiliss pour rivaliser.”

Comment un religieux de 92 ans a silencieusement arrt le retour de l’Irak dans la guerre.